Ces dernières années, le politiquement correct nous a incités à bannir certains mots au profit d'expressions plus abstraites.Un jargon loin d'être anodin.
Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais depuis quelques années, vous aussi, vous portez des lunettes. Les lunettes de la "novlangue", le langage policé, le politiquement correct. Elles vous font voir le monde autrement. On ne dit plus la campagne, mais "la ruralité, les territoires". On ne dit plus non plus une allée ou un trottoir, mais "un parcours piéton". Et non pas un jardin, mais "un espace végétalisé".
Pourquoi utiliser ces expressions ? D’où viennent-elles ? Une personne les voit naître sous ses yeux. Rendez-vous au journal Le Monde. Depuis quinze ans, Muriel Gilbert y est correctrice. Elle lit les articles avant publication, traque les fautes, bien sûr, mais aussi les termes de novlangue. Aujourd’hui, les vieux sont devenus des "seniors, ainés", les plans de licenciement, des "plans sociaux", plus sympas à l’oreille. "Ce sont souvent des termes de communicants, des agences de communication qui gagnent d’abord le discours des entreprises, puis ensuite éventuellement les journalistes vont reprendre ce vocabulaire puisqu’on leur a expliqué les choses de cette manière-là. Et au bout d’un moment, ça gagne la population dans son ensemble", explique-t-elle.
On en vient à concevoir les gens et les choses à travers ce langage édulcoré, qui est en effet un édulcorant des mots mais aussi de la pensée
Françoise Nore, linguiste
Ce langage aseptisé est utilisé pour ne blesser personne, ne surtout pas brusquer. Le politiquement correct s’applique très souvent aux noms de métier. "Cela sert à cacher la réalité. Il serait peut-être plus judicieux et plus utile d’améliorer leurs conditions de travail, voire leurs salaires, plutôt que de leur donner des titres, des noms de profession qui sont ronflants puisque le métier lui-même ne change pas", explique Françoise Nore, linguiste et auteure du livre "Appelons un chat, un chat !".
Qu’on l’aime ou pas, la novlangue a des conséquences. "Ce langage nous restreint. On en vient à concevoir les gens et les choses à travers ce langage édulcoré, qui est en effet un édulcorant des mots mais aussi de la pensée", poursuit Françoise Nore, dans le reportage du 20H de TF1 en tête de cet article.
"Un milieu aquatique profond standardisé"
Les exemples les plus marquants viennent de l’Éducation nationale. Selon d’anciens programmes scolaires, vos enfants n’apprennent pas à parler mais à "produire des messages à l’oral". Ils ne courent pas, "ils créent de la vitesse". Vos enfants ne nagent pas non plus. Ils "traversent l’eau en équilibre horizontalement par immersion prolongée de la tête". Ce qui se fait évidemment dans "un milieu aquatique profond standardisé". Une piscine quoi.
Alors ce charabia a-t-il une utilité ? "C’est avant tout un langage qui est destiné à des initiés. Le jargon rassure, le jargon est aussi un moyen d’exclure en se rapprochant d’une communauté, en se rapprochant de celles et ceux qui comprennent ce jargon. Eh bien finalement, on exclut tous les autres", répond Frédéric Levy, expert en communication.
Enfin, au bureau aussi, nous remplaçons les mots par d’autres. Notre équipe s’est invitée dans une réunion d’une entreprise qui vend des alliances de mariage. Fin de réunion : faisons un point vocabulaire. "Je ne suis pas la patronne, ce sont mes collaborateurs. Pour moi, c’est la vraie valeur d’un salarié. Avoir une vraie notion de responsabilité et qu’il puisse avancer dans le même chemin que nous", affirme Hanna Mechaly, fondatrice du salon de l’alliance. Alors appauvrissement de la langue ou progrès vers la tolérance, à vous de décider !
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