Six femmes au départ du Vendée Globe : "En 2020, on devrait être beaucoup plus nombreuses"

Propos recueillis par Yohan ROBLIN
Publié le 2 novembre 2020 à 17h24, mis à jour le 6 novembre 2020 à 19h12

Source : TF1 Info

MIXITÉ - Depuis sa création en 1989, sept femmes seulement ont participé au Vendée Globe. Elles seront six à s'élancer sur l'édition 2020, qui débute ce dimanche. La skippeuse Isabelle Joschke, qui se bat pour plus de mixité, s'en réjouit. Mais, comme elle l'explique à LCI, ce n'est pas une fin en soi. Il reste encore beaucoup à faire.

Six femmes dans le vent. Grandes absentes il y a quatre ans, elles seront six cette année à prendre le départ du tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance. En 2016, seule Anna Corbella s'était préinscrite. "Quand j'ai vu qu'il n'y avait pas de femmes, je me suis dit qu'on ne pouvait pas laisser partir un Vendée Globe sans femme", avait-elle confiée. Mais, faute d'avoir pu réunir un budget minimum de 700.000 euros, la navigatrice espagnole avait dû renoncer à l'aventure. Une régression pour la mixité alors que les cinq précédentes éditions avaient habitué le public à la présence d'une ou deux skippeuses.

Quatre ans plus tard, les femmes reviennent toutes voiles dehors. Dimanche 8 novembre, à 13h02 précisément, six concurrentes s'élanceront au large des Sables-d'Olonne : Alexia Barrier (TSE - 4myplanet), Clarisse Crémer (Banque Populaire X), Samantha Davies (Initiatives-Cœur), Isabelle Joschke (MACSF), Miranda Merron (Campagne de France) et Pip Hare (Medallia). Du jamais-vu sur la mythique course au large, qui a vu concourir sept femmes depuis sa création en 1989. "C'est une super étape franchie, sachant qu'on n'est que six à avoir fini la course. Potentiellement, on peut doubler le nombre de femmes qui ont fini le Vendée Globe", affirme à LCI Sam Davies, qui s'alignera pour la troisième fois après 2008 et 2014. 

Un enthousiasme partagé mais nuancé par la navigatrice franco-allemande Isabelle Joschke. La Bretonne d'adoption, qui a créé en 2012 l'association Horizon Mixité, milite pour plus de mixité femme-homme dans le monde de la course au large, dans le sport et la société en général. Contactée par LCI, la skippeuse de 43 ans, confinée avant de participer à son premier tour du monde en solitaire, nous livre son regard sur la présence des femmes sur le Vendée et le rôle qu'elle espère les voir jouer à l'avenir.

Le foot n'est pas un sport de mecs, la voile non plus
Isabelle Joschke, skippeuse MACSF

LCI : Vous serez six femmes au départ, il y en avait zéro en 2016. Comment l'analysez-vous ?

Isabelle Joschke : Dans mon parcours, j'ai vu le taux de femmes fluctuer. Quand j'ai couru la Solitaire du Figaro, j'ai déjà été la seule participante, alors que l'année d'avant on était quatre ou cinq. Cela n'a rien de surprenant de voir une édition où il n'y a pas de concurrente et une édition où il y en a quelques-unes. Finalement, ce serait très choquant de voir un Vendée Globe où il n'y aurait pas d'hommes, mais c'est moins choquant de voir un Vendée Globe où il y a moins de femmes parce que, de manière générale, on est sous-représentées. Certes, on est six mais, en 2020, on devrait être beaucoup plus nombreuses. 

Croyez-vous que cette participation record revêt de l'épiphénomène ? 

Si on est plus nombreuses encore dans quatre ans, on pourra se dire qu'on est à un tournant. Si ce n'est pas le cas, on est que dans la fluctuation. On retournera à un taux de participation assez faible. Si on est aussi peu, ce n'est pas que les sponsors ne nous font pas confiance. S'il y avait plus de femmes à se présenter, elles y arriveraient. Mais, finalement, il n'y en a pas beaucoup qui rêvent de faire le Vendée Globe. Le fond de la question est là : comment fait-on pour avoir plus de femmes qui s'engagent dans la course au large, qui font une vraie carrière ? J'ai dix-huit ans de courses au large derrière moi. Sur ce Vendée Globe, je ne suis pas là par hasard. Samantha Davies n'est pas là par hasard, Miranda Merron non plus. Il y a beaucoup d'années de pratique pour parvenir à se faire une place dans ce milieu. Aujourd'hui, il est souhaitable que les femmes qui rêvent de faire ce métier osent franchir le pas. Il y a des sponsors qui nous attendent. Certes, il n'y a pas encore eu le budget gagnant pour une participante, mais il faut qu'elles aient conscience qu'il y a de la place pour nous. On est plutôt bien accueillies dans ce métier. On n'évolue pas dans un environnement machiste, contrairement aux préjugés qu'on peut avoir. 

Comment peut-on les convaincre de répondre à l'appel du large ?

Cela repose sur l'éducation des enfants : éduquer les jeunes filles à se lancer dans la compétition et à oser entreprendre des métiers physiques et à risques. On veut aider les toutes petites pour qu'elles puissent se rendre compte que la place des femmes est une vue de l'esprit. Il faut leur apprendre que les sports masculins uniquement n'existent pas. Le foot n'est pas un sport de mecs, la voile non plus. Il faut aussi travailler sur le modèle de société, pour que les femmes de 30 ou 40 ans puissent avoir des carrières où elles partent, l'année du Vendée Globe, entre quatre et cinq mois. Pour ce que ce soit possible, il faut que la société se mobilise. Pas que pour les hommes, aussi pour les femmes. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. 

Le physique, une barrière mentale qu'on se met à nous-mêmes
Isabelle Joschke, skippeuse MACSF

Le physique est souvent dressé en barrière dans votre sport. Avec votre gabarit, 1,59m et 53 kilos, vous prouvez pourtant, au quotidien, avec les autres concurrentes, que les femmes ont elles aussi leur place. 

Le physique est un aspect des choses. Le Vendée Globe, c'est une aventure, il arrive tout plein d'histoires. Il faut réparer son bateau, il y a une stratégie, il y a de la gestion sur la durée, de la solitude et du mental. Il y a la connaissance de la météo, l'intuition de savoir où aller et quoi faire. Il y a beaucoup de prises de décision. Il y a une intelligence à avoir pour bien marcher dans ce métier et dans ce sport. C'est pour ça que je pense que l'histoire de la barrière physique est une barrière mentale qu'on se met à nous-mêmes. 

La skippeuse Isabelle Joschke a fait installer un pédalier sur la colonne de winch pour reposer ses bras.
La skippeuse Isabelle Joschke a fait installer un pédalier sur la colonne de winch pour reposer ses bras. - MACSF

Vous sentez-vous comme des pionnières dans votre domaine ?

Aussi longtemps que les gens ne trouveront pas normal qu'une femme gagne, on sera un peu des pionnières, on sera considérée comme des "outsiders". Il y a quelque chose d'exotique parce qu'on est des femmes. On parle de nous parce qu'on est des femmes. Un jour, cela prendra du temps mais ça va forcément arriver, il y aura plus de femmes engagées en compétition. Et, là, on ne posera plus la question "Est-ce qu'elle peut gagner ?" ou on ne s'étonnera qu'on fasse un bon résultat. 

Plus on est nombreuses, plus on aura de chances
Isabelle Joschke, skippeuse MACSF

Dans un futur proche, voyez-vous un projet gagnant avec une femme à la barre ? 

Cela aurait déjà pu être le cas sur cette édition avec Samantha Davies. Elle a déjà fait le tour du monde plusieurs fois. On a aujourd'hui des concurrentes qui font de très bons résultats. On peut imaginer que, dans quatre ans, il y ait un projet gagnant avec une femme à la barre. On n'en est pas si loin que ça. Je n'ai pas trop d'inquiétude. Il faut juste que les femmes soient plus nombreuses, c'est toujours la même chose. Plus on est nombreuses, plus on aura de chances. Sur cette édition du Vendée Globe, on est six femmes. Mais, parmi les six profils, on est que trois à avoir fait une carrière un peu longue dans la course au large. Il y a Miranda (Merron), Samantha (Davies) et moi. Clarisse (Crémer) s'est lancée il y a quelques années, elle est encore toute fraîche. Pip (Hare) et Alexia (Barrier) n'ont pas fait carrière. Si vous voulez pour qu'un sponsor mette un projet gagnant sur une femme, il faut qu'il y ait plus de femmes qui arrivent avec un palmarès démontré. Le Vendée n'est que la face cachée de l'iceberg, il faut qu'il y ait plus de femmes qui fassent plein de Solitaires du Figaro. Or, très peu de femmes en font beaucoup. 

Selon vous, il faudrait un plateau féminin plus ouvert et régulier sur les courses annexes...

Exactement, le Vendée Globe n'existe pas tout seul. C'est l'aboutissement d'un métier. 


Propos recueillis par Yohan ROBLIN

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