SÉCURITÉ ROUTIÈRE - Le Premier ministre a annoncé début 2018 différentes mesures destinées à faire baisser le nombre d'accidents. Dans le viseur du gouvernement : l’alcool au volant et les récidivistes. Les explications de Maître Jean-Baptiste le Dall, avocat en droit automobile.
L'alcool est en cause dans près d'un tiers des accidents mortels, selon les chiffres rappelés à l'issue du dernier Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) de janvier 2018. Précisément, 1009 personnes ont été tuées et près de 3500 blessées dans des accidents impliquant un conducteur alcoolisé au cours de l'année 2016. L'alcool au volant et les récidivistes figurent ainsi dans la série de mesures annoncées par le Premier ministre dans le but d’infléchir ces statistiques.
C’est quoi un récidiviste ?
L’article 132-10 du Code pénal précise que lorsqu'une personne physique, déjà condamnée définitivement pour un délit, commet, dans le délai de cinq ans à compter de l'expiration ou de la prescription de la précédente peine, soit le même délit, soit un délit qui lui est assimilé au regard des règles de la récidive, le maximum des peines d'emprisonnement et d'amende encourues est doublé.
En droit pénal routier ces problématiques de récidive visent particulièrement l’alcool au volant, la conduite après usage de stupéfiants ainsi que le grand excès de vitesse, c'est-à-dire un dépassement de la vitesse de plus de 50 km/h qui sous l’effet de la récidive passe de contravention à délit.
Les textes réservent déjà aux délinquants routiers récidivistes l’application systématique de certaines peines. Pour l’alcool et les stupéfiants, une peine de plein droit d’annulation du permis de conduire privera de leurs titres tous les condamnés et ce quel que soit le nombre de points affectés à leurs permis de conduire. A cette annulation du permis, le juge pourra adjoindre une interdiction de solliciter un nouveau titre d’une durée plus ou moins longue.
La loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi 2) avait également introduit une peine de confiscation obligatoire du véhicule des récidivistes en matière de délinquance routière. Cette peine de confiscation n’est toutefois pas une peine de plein droit comme l’annulation du permis de conduire. Un magistrat peut, en effet, choisir de l’écarter en rendant une décision motivée sur ce point. Le gouvernement Philippe entend aujourd’hui faire preuve de plus de sévérité envers ces récidivistes, notamment ceux condamnés pour des faits d’alcool au volant. A l’issue du CISR, l'éthylotest anti-démarrage a été remis en avant.
Mesure 11
La onzième mesure du CISR a pour objectif de "lutter contre la conduite sous l'emprise de l'alcool". Voici l'un des dispositifs prévu :
"Rendre obligatoire la pose d’un éthylotest anti-démarrage (EAD) avec suivi médico-psychologique en cas de récidive d’infraction de conduite en état alcoolique."
L’EAD quèsaco ?
L’EAD, l’antidémarrage couplé à un éthylotest électronique n’est pas une nouveauté. Ce dispositif a été imaginé par la loi Loppsi 2, dont l’article 71 avait ajouté un alinéa supplémentaire à l'article L. 234-2 du Code de la route réprimant les délits de conduite sous l’empire d’un état alcoolique et de conduite en état d’ivresse manifeste avec une nouvelle peine :
"L'interdiction, pendant une durée de cinq ans au plus, de conduire un véhicule qui ne soit pas équipé par un professionnel agréé ou par construction d'un dispositif homologué d'anti-démarrage par éthylotest électronique. Lorsque cette interdiction est prononcée en même temps que la peine d'annulation ou de suspension du permis de conduire, elle s'applique, pour la durée fixée par la juridiction, à l'issue de l'exécution de cette peine".
Le législateur a immédiatement prévu de sanctionner celui qui passerait outre l’EAD en conduisant un véhicule non pourvu de cet équipement avec un article L. 234-16 du Code de la route prévoyant les sanctions suivantes :
I. Le fait de contrevenir à l'interdiction (de conduire un véhicule non équipé d’un EAD) est puni de deux ans d'emprisonnement et de 4500 € d'amende.
II. Toute personne coupable de l'infraction prévue au I. encourt également les peines complémentaires suivantes :
1° L'interdiction de conduire certains véhicules terrestres à moteur, y compris ceux pour la conduite desquels le permis de conduire n'est pas exigé, pendant une durée de cinq ans au plus.
2° L'annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis pendant trois ans au plus.
3° La peine de travail d'intérêt général [...].
On ne peut que saluer cette innovation apportée par la loi Loppsi 2. Avec cette nouvelle peine complémentaire les parlementaires pensaient permettre une lutte quotidienne contre les problématiques de l’alcool au volant. On peut, en effet, espérer qu’un automobiliste à l’encontre duquel serait prononcée l’interdiction de conduire un véhicule non muni d’un EAD opérera un changement de comportement face à l’alcool. Cette peine complémentaire a, en effet, vocation à s’inscrire dans la durée (pour cinq ans au maximum, et trois ans maximum dans le cadre d’une composition pénale) et aura sans doute un réel rôle pédagogique en s’inscrivant dans le quotidien de l’automobiliste condamné.
Et dans le pire des cas, si le conducteur tente de réitérer les faits pour lesquels il a été condamné, l’appareil empêchera tout démarrage du véhicule. Il est donc probable que cette peine complémentaire, pour peu qu’elle soit prononcée, ait un véritable impact en matière de récidive de conduite sous l’empire d’un état alcoolique.
Du côté du condamné, l’arrivée de l’EAD pourrait être également intéressante. Jusqu’à présent les réponses qui pouvaient être formulées par la justice au problème de l’alcool au volant étaient relativement limitées et prenaient essentiellement la forme d’une amende, d’une privation de permis ou d’une peine privative de liberté. Exception faite d’un stage de sensibilisation à la sécurité routière, les peines qui pouvaient être prononcées n’étaient pas forcément particulièrement pertinentes. Et quelles qu’aient été les particularités de la situation professionnelle ou personnelle du prévenu celui-ci devait toujours s’attendre à une privation plus ou moins longue de son titre de conduite.
Avec la possibilité de contraindre un condamné à passer quotidiennement l’épreuve de l’éthylotest, il n’est pas interdit d’espérer que, dans certaines situations, les juges modulent les sanctions en diminuant une période de suspension de permis de conduire au profit de l’EAD. Certains condamnés dont le permis de conduire est un impératif professionnel pourraient, ainsi, retrouver l’espoir de conserver leur emploi sous réserve de pouvoir y mettre le prix.

Après la loi de mars 2011, un certains nombre de textes d’application sont venus compléter le cadre juridique du dispositif d’EAD. Ainsi, le décret n° 2011-1048 du 5 septembre 2011 relatif à la conduite sous l'influence de l'alcool est ainsi venu renforcer l’arsenal répressif à l’encontre de ceux qui tenteraient de duper l’EAD en insérant un article R.234-5 dans le code pénal :
I. Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait pour une personne ayant été condamnée à la peine d'interdiction de conduire un véhicule qui ne soit pas équipé par un professionnel agréé ou par construction d'un dispositif homologué d'antidémarrage par éthylotest électronique de conduire un véhicule équipé d'un tel dispositif soit après que celui-ci a été utilisé par un tiers pour permettre le démarrage, soit après l'avoir neutralisé ou détérioré ou l'avoir utilisé dans des conditions empêchant la mesure exacte de son état d'imprégnation alcoolique (…)
II. Le fait, par toute personne, de faciliter sciemment, par aide ou assistance, la préparation ou la consommation de la contravention prévue au I est puni de la même peine.
III. Les personnes coupables des contraventions prévues au présent article encourent également les peines complémentaires suivantes :
1° La suspension du permis de conduire pour une durée de trois ans au plus, cette suspension ne pouvant pas être limitée à la conduite en dehors de l'activité professionnelle, ni être assortie du sursis, même partiellement ;
2° L'interdiction de conduire certains véhicules terrestres à moteur, y compris ceux pour la conduite desquels le permis de conduire n'est pas exigé, pour une durée de trois ans au plus ;
3° L'obligation d'accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la sécurité routière ;
4° La confiscation du véhicule dont le prévenu s'est servi pour commettre l'infraction, s'il en est propriétaire.
IV. La récidive des contraventions prévues au présent article est réprimée conformément à l'article 132-11 du code pénal.
V. Ces contraventions donnent lieu de plein droit à la réduction de six points du permis de conduire.
Mais le cadre juridique de l’EAD qui a été peaufiné dans les moindres détails il y a de cela des années n’a jamais vraiment été utilisé par les juridictions pénales.
L’EAD obligatoire ?
Avec la mesure n°11 annoncée à l’issue du CISR de janvier 2018, l’EAD pourrait enfin connaitre son heure de gloire. Pour autant, appliquée de façon automatique, l’EAD pourrait poser de véritables problèmes. Rappelons tout d’abord que la loi Loppsi 2, qui avait permis l’arrivée de cet appareil dans le Code de la route, a également mis en place un dispositif de confiscation obligatoire du véhicule des récidivistes.
Même si la confiscation du véhicule peut être écartée par le magistrat, EAD et confiscation peuvent sembler, de prime abord, antinomiques. Il pourrait s’avérer difficile d’installer un EAD dans une voiture que l’on vient de nous confisquer. Au-delà de ces considérations, il est bien évidement possible de se faire confisquer un véhicule et de devoir installer un EAD dans un autre véhicule.
Mais se pose alors de façon accrue la question du coût du dispositif. L’installation de l’EAD reste en effet à la charge du condamné. Aujourd’hui peu répandu, ce dispositif représente un coût d’environ 1200 euros. La somme pourra poser problème aux condamnés les moins argentés surtout s’ils viennent en plus de se faire confisquer leur véhicule.
Un dispositif visible
S’il présente énormément de qualités, l’EAD est une peine complémentaire dont la durée pourrait poser problème. Si le dispositif d’EAD peut permettre à des condamnés de continuer à conduire et ainsi, peut-être, préserver leurs situations professionnelles, la récidive implique automatiquement l’annulation du permis de conduire.
Appliquer à la récidive de façon automatique l’EAD viendrait s’ajouter à une période d’annulation du titre de conduite. Pour le condamné, il ne s’agit plus alors d’une possibilité de poursuite de la conduite, mais bien d’une peine supplémentaire à l’issue de la période d’interdiction de solliciter un nouveau permis de conduire. Et il ne faut pas se le cacher, un dispositif d’EAD peut s’avérer très discriminant.
Avec un tel dispositif, difficile de cacher à son employeur une condamnation qui peut gravement nuire à la carrière professionnelle du condamné. Imposer de façon automatique et aveugle l’EAD posera inévitablement problème, alors que dans le même temps ce dispositif peut véritablement prévenir les comportements à risque et contribuer à une amélioration en termes de sécurité routière. Plutôt que de passer du rien au tout, peut-être serait-il préférable d’inciter le parquet à imposer l’EAD plus souvent sans pour autant le rendre systématique.
Maître le Dall, docteur en droit et vice-président de l'Automobile Club des Avocats intervient sur son blog et sur LCI.
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