Rodéos sauvages : ce qui change (ou pas) avec la future loi

Maître Jean-Baptiste le Dall (édité par L.V. )
Publié le 15 juin 2018 à 16h30, mis à jour le 15 juin 2018 à 16h39
Cette vidéo n'est plus disponible

Source : Sujet JT LCI

COMPORTEMENTS A RISQUES - Une nouvelle loi devrait venir sanctionner spécifiquement les rodéos sauvages que certains chauffards organisent en auto ou, plus souvent, à deux roues. Pour Maître le Dall, avocat en droit automobile, il n’était pas forcément nécessaire d’adopter un nouveau texte.

Fléau sur les routes de certaines villes et et certains villages, les rodéos sauvages sont dans le viseur des autorités. Ces pilotes de voitures, quads ou motos produisent non seulement des nuisances sonores mais représentent aussi un danger pour les riverains. Une proposition de loi "renforçant la lutte contre les rodéos motorisés" a été déposée début juin 2018. Le texte ne se contente pas de vouloir créer un nouvel article dans le Code de la route, c’est un chapitre entier qui serait créé ex-nihilo

Lire aussi

Les futurs textes

Ce nouveau chapitre "Comportements compromettant délibérément la sécurité  ou la tranquillité des usagers de la route" entend mettre en place un dispositif complet de répressions de ces "manifestations" avec l’arrivée dans le Code de la route de trois nouveaux articles : 

• Art. L. 236-1

"I. – Le fait d’adopter, au moyen d’un véhicule terrestre à moteur, une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité ou de prudence prévues par les dispositions législatives et réglementaires du présent code dans des conditions qui compromettent la sécurité des usagers de la route ou qui troublent la tranquillité publique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

II. – Les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 30.000 euros d’amende lorsque les faits sont commis en réunion.

III. – Les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende :

1° Lorsqu’il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire que la personne a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants ou lorsque cette personne a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par le présent code destinées à établir s’il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants ;

2° Lorsque la personne se trouvait sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang ou dans l’air expiré égale ou supérieure aux taux fixés par les dispositions législatives ou réglementaires du présent code ou lorsque cette personne a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par le présent code et destinées à établir l’existence d’un état alcoolique.

IV. – Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en cas de cumul des circonstances prévues aux 1° et 2° du III du présent article."

• Art. L. 236-2

"Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait :

1° D’inciter directement autrui à commettre les faits mentionnés à l’article L. 236-1 ;

2° D’organiser un rassemblement destiné à permettre la commission des faits mentionnés au II du même article L. 236-1 ;

3° De faire, par tout moyen, la promotion des faits prévus audit article L. 236-1 ou du rassemblement mentionné au 2° du présent article."

• Art. L. 236-3

"Toute personne coupable des délits prévus aux articles L. 236-1 et L. 236-2 encourt également, à titre de peine complémentaire :

1° La confiscation obligatoire du véhicule ayant servi à commettre l’infraction, si la personne en est le propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, si elle en a la libre disposition. La juridiction peut toutefois ne pas prononcer cette peine, par une décision spécialement motivée ;

2° La suspension pour une durée de trois ans au plus du permis de conduire ;

3° L’annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant trois ans au plus ;

(…)

6° L’interdiction de conduire certains véhicules terrestres à moteur, y compris ceux pour la conduite desquels le permis de conduire n’est pas exigé, pour une durée de cinq ans au plus ;

7° L’obligation d’accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la sécurité routière."

Des textes pour l’été

Cette proposition de loi a fait l'objet d'une procédure accélérée pour une arrivée avant la période estivale propice aux rodéos sauvages. On comprend l’empressement du législateur, mais on ne peut que s’interroger au-delà de la question du calendrier sur la pertinence de cette énième modification du Code de la route. 

Cette nouvelle infraction est justifiée par la nécessité d’opposer à des comportements à risques des peines dissuasives. Il est vrai que la perspective d’une verbalisation pour non avertissement préalable avant changement de direction (l’oubli des clignotants) ne devrait pas effrayer outre mesure les adeptes du rodéo sauvage mécanique. Les 35 euros d’amende forfaitaire ne devraient pas trop amputer le budget carburant. Bien entendu, l’amende pourra demeurer impayée. De même que le retrait de point afférent à cette infraction (3 points) pourrait être évité si l’engin ne nécessite pas la détention d’un permis de conduire. 

Lire aussi

Mais se pose surtout la question de la verbalisation. Pour qu’une amende puisse être payée, et un éventuel retrait de points de opéré, encore faut-il pouvoir dresser la verbalisation. Les textes les mieux ciselés du Code de la route demeureront inutilisables si les forces de l’ordre ne peuvent pas relever une plaque d’immatriculation (l’absence de plaque est assez fréquente ne matière de rodéo sauvage) ou intercepter les fauteurs de troubles. 

Les nouvelles infractions créées aux articles  L. 236-1 et suivants du Code de la route ne régleront donc pas le problème majeur posés par les rodéos : intercepter les contrevenants. C’est pourtant l’objectif affiché dans l’exposé des motifs de la proposition de loi : "l’interpellation en flagrance est dangereuse à mettre en œuvre et les preuves du délit souvent difficiles à apporter, les individus roulant souvent sans casques et à grande vitesse sur des engins non immatriculés. Ainsi, nombre d’arrestations n’aboutissent que rarement au prononcé de suites judiciaires dissuasives".

Des délits qui existent déjà

Alors bien sûr l’argument d’une peine dissuasive pourra être utile en cas d’interception. Les chauffards sauront que s’ils se font arrêter ils vont risquer gros. En réalité, la législation permet déjà de sanctionner lourdement les conducteurs impliqués dans les rodéos sauvages.

Il suffit pour s’en convaincre de consulter les dispositions de l’article 223-1 du Code pénal en matière de mise en danger de la vie d’autrui : "le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende."

Le délit de refus d’obtempérer vient également de voir son dispositif législatif renforcé. Les nouvelles infractions relatives au rodéo mécanique n’offrent en réalité pas forcément plus d’opportunités de sanctions en cas de poursuites pénales. 

Lire aussi

Des organisateurs qui pourront être condamnés

Un des intérêts de ce nouveau dispositif pourrait résider dans l’incrimination de l’organisation de ces rodéos puisque les dispositions du futur article L. 236-2 du Code de la route concernent ceux qui inciteraient ou organsinaient "un rassemblement destiné à permettre la commission" de rodéos. Dans la pratique, ces rassemblements se caractérisent justement par l’absence d’organisation et d’encadrement.

Une dissuasion à relativiser

L’argument de la dissuasion ne vaut que s’il est connu des délinquants qu’il s’agirait de dissuader. Et si certains automobilistes et quelques observateurs privilégiés s’intéressent aux soubresauts constants du droit routier, il est peu probable que les premiers concernés s’en préoccupent réellement. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter au délit de refus d’obtempérer. La loi du 28 février 2017 qui a musclé les sanctions pour ce délit est largement passée inaperçue et n’a clairement aucunement dissuadé les adeptes de la poudre d’escampette. 

Du baume au cœur pour des riverains excédés

S’il fallait rechercher un message dans cette innovation législative, les destinataires seront aisés à identifier. Il s’agit bien sûr des riverains souvent excédés par des nuisances qui demeurent impunies. Avec ce texte, la majorité peut afficher son soutien à ces victimes du quotidien. Dans les faits, l’ampleur de ce soutien se mesurera également à l’ampleur des textes d’application : les forces de l’ordre recevront-elles ou pas pour consigne d’intercepter les chauffards ? Car sur le terrain, l’interpellation s’avère parfois délicate, les fuyards pouvant provoquer un accident.

Des textes qui pourraient être utilisés pour d’autres faits

Comme souvent la prolifération de textes entraîne un risque d’utilisation dévoyée des dispositions créées au départ pour réprimer d’autres faits. Tout le monde aujourd’hui comprend ce qu’est un rodéo sauvage, la loi pénale est certes d’interprétation stricte et l’on pourrait penser que les nouveaux textes ne s’appliqueront qu’à ces rodéos mécaniques. Sauf que le terme de rodéo ne figure bien évidemment pas dans les futurs textes du Code de la route.

L’article. L. 236-2 futur réprime par exemple le fait de promouvoir par tout moyen l’adoption, au moyen d’un véhicule terrestre à moteur, d’une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité ou qui troublent la tranquillité publique. 

Est-ce que le simple fait de poster ou de partager bêtement une vidéo sur les réseaux sociaux pourrait être assimilé à cette "promotion" et ainsi être condamné ? La justice tranchera sans doute cette question. Le nouveau dispositif pourrait également poser des difficultés aux organisateurs d'événements  ou rassemblements automobiles ou motos qui pourraient être "pollués" par des chauffards. Les risques de mise en cause des organisateurs pourraient rendre encore plus compliquée la tenue de ces manifestations. 

Et peut-être encore plus embêtante, la référence à des manœuvres troublant la tranquillité publique laisse craindre une utilisation inconsidérée de ces textes. 

Maître Jean-Baptiste le Dall, docteur en droit et vice-président de l'Automobile Club des Avocats, intervient sur son blog et sur LCI. 


Maître Jean-Baptiste le Dall (édité par L.V. )

Tout
TF1 Info