Perriscope #10 - Les Français "forcés" d'épargner pendant le confinement : la victoire de l’écureuil

Pascal Perri, économiste
Publié le 22 avril 2020 à 13h12, mis à jour le 22 avril 2020 à 17h49
Perriscope #10 - Les Français "forcés" d'épargner pendant le confinement : la victoire de l’écureuil
Source : LCI

ANALYSE - Une étude publiée cette semaine par l'OFCE évalue à 55 milliards d'euros "l'épargne forcée" des ménages français pendant le confinement. Dans le même temps, les dépôts sur le livret A et le LDD grimpent en flèche. Un phénomène que nous explique l'économiste Pascal Perri.

Selon les économistes de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), les Français auront réalisé 55 milliards euros "d’épargne forcée" au cours de cette période de confinement. C’est une enveloppe (moyenne) de 230 euros par semaine et par ménage. Comme toutes les moyennes, celle-ci agrège des situations très différentes. Les familles désargentées vivant des revenus sociaux en Seine-Saint-Denis ou dans les quartiers sensibles n’ont ainsi sans doute pas été en mesure de mettre un peu d’argent de coté. Les élus du 93 alertent d’ailleurs sur le retour de la faim dans certains foyers. Retenons ce chiffre moyen de 230 euros hebdomadaires épargnés, en gardant à l’esprit que peu de gens se retrouvent dans les moyennes.  

L’explication de cette épargne forcée est chaque jour sous nos yeux : les centres de dépenses potentiels ont pour partie disparu depuis la mi-mars. L’accès à l’offre s’est réduit et le dynamisme du e-commerce est très insuffisant pour substituer la consommation "du coin de la rue" autant que les achats plaisirs. Les deux tiers des Français qui ne vont plus sur leur lieu de travail consomment moins de restauration, moins de snacking. Par la force des choses, ils ont renoncé à l’achat oblatif (achat réalisé dans le but de faire plaisir à autrui)… Les secteurs de l’équipement de la personne ou de l’équipement de la maison sont en net repli. Nul ne pense à acquérir un nouveau véhicule. Bref, l’heure est plus aux fourmis qu’aux cigales. 

Puisque nous filons la métaphore animalière, c’est l’écureuil qui tire profit de la conjoncture. Les dépôts sur les livrets de Caisse d’épargne et sur les L.D.D. (Livret de développement durable) ont augmenté de 50% quand on compare mars 2019 à mars 2020. Cette épargne est sûre, à défaut d’être rentable. Le taux de rémunération des dépôts est faible (égal ou inférieur à l’inflation) mais les Français plébiscitent cette formule liquide, accessible et sans risque, nette d’impôt ! L’aversion au risque est une des caractéristiques des épargnants français. De surcroît, en pleine crise, qui aurait envie d’ajouter le risque financier au risque sanitaire ? 

Pourquoi les Français épargnent-ils autant sur leur livret A ?Source : JT 13h Semaine

En marge de cette épargne somnolente, les dépôts à vue sur les comptes courants dépassent à ce jour les 410 milliards d’euros. C’est considérable. Le matelas français s’est bien rempli. En période de crise, la propension à épargner augmente. L’épargne est un des thermomètres de la peur. Dans le cas présent, on retiendra l’attrition de l’offre mais aussi, sans doute, la part de l’incertitude. La loi dite de Ricardo (Effet Ricardo-Barro ou équivalence ricardienne) montre un coefficient de corrélation élevé entre les déficits publics et le taux d’épargne. Les ménages savent que les emprunts (publics) d’aujourd’hui alimenteront la dette de demain qui se transformera en impôts après demain. Ils réalisent rationnellement une épargne de précaution. J’utilise le mot rationnellement car tout agent économique est rationnel quand il se prépare à des dépenses à venir. 

Quels peuvent être les ressorts du retour de la confiance ? Pour passer du couple inquiétude-épargne au couple confiance-consommation, les ménages observent les politiques publiques.
Pascal Perri

Qu’en sera t-il au lendemain du confinement ? Les ménages dont les revenus sont modestes ou moyens pourraient avoir tendance à garder un peu d’épargne sous le pied en attendant que l’économie ne reparte vraiment. A l’issue des périodes de tension, les agents économiques sont souvent circonspects. Ils craignent une rechute et ils s’achètent du temps avant de casser leur tirelire. Dès lors, quels peuvent être les ressorts du retour de la confiance ? Pour passer du couple inquiétude-épargne au couple confiance-consommation, les ménages observent les politiques publiques. Quand ils comprennent que les institutions, ici la BCE ou les Etats, sont décidés à mettre le paquet pour soutenir l’activité,  ils estiment que tout est fait pour les protéger et pour protéger leurs intérêts. De quoi se rappeler que la science économique est en grande partie la science des incitations ! 


Pascal Perri, économiste

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