PerriScope #11 - Le grand retour du trou de la Sécu : c'est grave ?

Pascal Perri, économiste
Publié le 23 avril 2020 à 15h41
PerriScope #11 - Le grand retour du trou de la Sécu : c'est grave ?
Source : LCI

Gérald Darmanin l'a annoncé mercredi, la Sécurité sociale enregistre un déficit de 40 milliards d'euros. C'est le retour du fameux "trou" de la Sécu. Pourquoi ce chiffre est inquiétant ? Les explications de notre économiste, Pascal Perri.

Commençons par quelques idées simples et par un rappel pour comprendre comment la situation actuelle percute notre modèle social.

1. Pour schématiser, ce modèle repose sur 3 grands piliers : L’Assurance maladie, l’Assurance retraite et l’Assurance chômage. La France complète ces dispositifs par une politique de la famille (les allocations familiales) et par la distribution de revenus sociaux aux plus fragiles mais pour l’essentiel des grandes masses distribuées, retenons la trilogie : maladie, retraite, chômage. 

2. Ces systèmes sociaux efficaces présentent très régulièrement des déficits de financement. En 2018, l’Assurance chômage a distribué presque 41 milliards de prestations pour seulement 37 milliards de recettes. Son déficit annuel représente l’écart entre ces deux flux (Environ 4 milliards d’€). Ce déficit annuel est venu s’ajouter à la dette qui elle doit être considérée comme un stock. Il est utile de ne pas confondre le déficit et la dette. Le déficit alimente la dette qui présente malheureusement un caractère de permanence. Elle est financée en empruntant sur les marchés internationaux. Une partie de notre dette sociale est financée par des Fonds étrangers !  

Tout ceci posé nous amène à la situation de nos comptes sociaux. Gérald Darmanin, ministre des comptes publics a lâché une bombe hier devant la commission des affaires économiques du Sénat : cette année, le déficit de la Sécurité sociale dépassera 40 milliards d’euros : 20 milliards de baisses de recettes liées à l’arrêt de l’activité, 11 milliards de recettes fiscales perdues (fléchées vers la protection sociale) et entre 8 et 10 milliards de dépenses supplémentaires. C’est beaucoup plus que le déficit historique de 2010, post crise 2008, qui avait franchi la barre des 28 milliards. La France a mis 10 ans à rattraper son retard. C’est dire que la tâche sera rude, d’autant que les chiffres avancés correspondent à "une hypothèse favorable", celle dans laquelle les reports de cotisations sociales sont remboursés ! Or, comment imaginer que la période actuelle ne se traduira pas par des faillites et par des défauts de paiement. Sur les 14 milliards de cotisations patronales reportées combien seront honorées d’ici à la fin de l’année ?

La situation de l’UNEDIC, l’Assurance chômage est une deuxième source d’inquiétude. Les mesures de chômage partiel depuis le début du confinement ont couté 25 milliards d'euros et rien n’assure à ce jour que l’addition n’augmentera pas. Un tiers de ces 25 milliards est à la charge de l’Assurance chômage. Le reste est financé par l’Etat. L’UNEDIC est assise sur un stock de dette de plus de 36 milliards d'euros. On peut au passage s’interroger sur sa gestion par les partenaires sociaux ! L’Assurance chômage finance des régimes déséquilibrés et couvre les dépenses de Pôle emploi. On estime la part de son déficit correspondant aux décisions des pouvoirs publics à 14 milliards mais le reste ? Les plus de 20 milliards qui sont la différence entre 14 et 36 milliards ? 

Pourquoi le déficit de la Sécu a-t-il atteint les 41 milliards d'euros ?Source : JT 20h Semaine

En France, la protection sociale est majoritairement financée par les cotisations sociales (56% des ressources collectées en 2018), par la CSG (Contribution sociale généralisée) à hauteur d’un petit quart (24%), par des taxes affectées (tabac-alcool) et par divers autres produits venant de l’Etat ou de recettes propres. La question qui se pose désormais est de savoir comment financer ces dépenses exceptionnelles. Plusieurs hypothèses sont disponibles. Toutes sont douloureuses ! 

a) augmenter le temps de travail comme le suggère Bruno Retailleau, c’est-à-dire travailler 1700 heures par an contre environ 1600 aujourd’hui pour augmenter la valeur créée et élargir l’assiette des cotisations ; 

b) augmenter la CSG que payent tous les revenus, revenus du travail et du capital, mais son niveau est déjà élevé. C’est la deuxième recette fiscale de l’Etat (Environ 130 milliards d’euros de recette annuelle) ;

c) augmenter les cotisations sociales payées par les salariés et les employeurs mais le risque est cette fois de renchérir le coût du travail dans un pays où l’écart entre salaire brut et salaire net est le plus élevé des grands pays développés. 

La sauvegarde du modèle sociale français demandera quoi qu’il en soit un effort collectif de financement. 


Pascal Perri, économiste

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