TRIBUNE - L'économiste Pascal Perri prend la plume pour radiographier la France à l'aune de la crise du coronavirus. La situation difficile des hôpitaux est-elle liée à un abandon des pouvoirs publics ? Quels changements faudra-t-il opérer à la fin de cette période pour sauver le système de santé français ? L'analyse de Pascal Perri.
Quelques principes de base doivent être posés quand on parle d’économie de la santé. Tout d’abord, la santé n’est pas une marchandise. L’accès aux soins est considéré en France comme un droit universel et inconditionnel. Le choix collectif que nous avons fait est celui du financement par le travail. Les Français peuvent avoir l’illusion que la santé est gratuite et on a pu les encourager à le croire. C’est une très grave erreur d’appréciation qui est à l’origine de nombreux malentendus.
Dans le parcours de soins, qu’il s’agisse de médecine publique ou de médecine privée, l’argent qui finance la santé est le plus souvent d’origine publique. C’est l’argent des assurés sociaux dont le régime est obligatoire ou des contribuables.
Le temps médical disponible se réduit
Pascal Perri
Les dépenses de santé ont beaucoup augmenté depuis la création de la Sécurité sociale en 1945. Inquiets de leur croissance, les gouvernements ont mis en œuvre une politique de rationnement des dépenses de santé à travers l’ONDAM (Objectif nationale des dépenses de santé de l’assurance maladie). Selon la DRESS (Direction de la recherche, des études et de l’évaluation statistique), la consommation de biens et de services médicaux représentait en 2018 une dépense de 3100 € par habitant, soit un total de 205 milliards d’euros. Avec 47% des engagements financiers, l’hôpital, y compris les consultations externes, représente presque la moitié de nos dépenses de santé (47%), suivi par la médecine de ville (27%), les médicaments (16%), le transport de patients (2%) et les autres biens médicaux (8%).
La France n’a pas désinvesti le champ de la santé publique. Notre système est au contraire hospitalo-centré mais les moyens ne sont pas toujours fléchés vers les fonctions opérationnelles. Les professionnels de santé appellent à réinvestir l’espace clinique. Ils font justement remarquer que si les dépenses de santé continuent d’augmenter en France, le temps médical disponible se réduit.
L'Allemagne paie mieux ses médecins et infirmières avec un budget moindre
Pascal Perri
La faute à un système très administratif. L’argument de la maîtrise des dépenses de santé s’est traduit par la création de nombreuses strates de décision de contrôle et d’orientation. Les cliniciens de l’hôpital public affirment qu’ils consacrent plus d’un tiers de leur temps à remplir des documents. La sur-administration frappe le système de santé public comme les médecins libéraux. A cet égard le lien entre médecine de ville et médecine hospitalière doit être amélioré. Le rationnement des postes de médecins libéraux (à travers le numerus clausus) a produit un report de la demande de soin vers l’hôpital. Une étude parue en 2019 montrait ainsi que plus de la moitié des consultations aux urgences étaient dues à l’absence d’offre médicale en ville.
L’épisode tragique de la pandémie de Coronavirus renforce la crise latente de notre système de santé. Trop lourd, trop administratif, souffrant d’une mauvaise allocation des ressources aux charges. Avec 10 points de dépenses publiques en moins que la France, l’Allemagne paye ses infirmières plus de 2 fois le salaire des infirmières françaises et ses professeurs de l’enseignement 3 fois plus que les nôtres. La question qui se pose est de savoir où passe l’argent investi ?
Une nouvelle organisation de notre système de santé s’impose pour des raisons d’efficacité opérationnelle et financière mais aussi pour des raisons démographiques. La France, comme tous les pays développés vieillit. C’est en soi une bonne nouvelle, une conquête du progrès. Mais les professionnels de santé et les économistes savent aussi que plus la population vieillit, plus les besoins en matière de santé publique augmentent. Nous en revenons à l’objectif de maîtrise des dépenses de santé symbolisé par l’ONDAM. Personne ne peut plus sérieusement croire que le rationnement des dépenses de santé réduira les besoins exprimés par la population. Il conviendra soit d’élargir le financement de la santé, en identifiant de nouvelles sources de contribution, soit d’obtenir des gains de productivité du système.
la médecine de ville ne peut pas commencer la lundi matin et s’achever le vendredi soir
Pascal Perri
Une réforme pertinente de notre politique de santé pourrait ainsi s’adosser à trois grands principes :
1. Une vraie politique de prévention destinée à réduire les comportements à risques (mauvaise alimentation, tabagisme, consommation d’alcool, sédentarité). Ces comportements expriment des externalités négatives qui pèsent lourdement sur notre système de santé.
2. Le rééquilibrage médecine de ville-médecine hospitalière. L’exercice libéral de la médecine de ville ne peut pas commencer la lundi matin et s’achever le vendredi soir. La médecine de ville doit jouer un plus grand rôle dans la prise en charge des patients en lien avec les pharmaciens dont l’espace clinique s’élargit. En contrepartie, les médecins de ville seront débarrassés des taches administratives qui leur incombent. Il faut ici libérer du temps médical pour le rendre à la patientèle.
3. La recherche de l’efficacité opérationnelle de l’hôpital public. Elle ne se fera pas sans une réforme profonde de la gestion de ses ressources humaines. Les cas de maltraitance, les lourdeurs de la technostructure ont non seulement réduit le temps médical disponible mais produit un profond malaise parmi les personnels soignants. Il est temps de rendre la parole à l’espace clinique. Un comble dans des établissements qui sont le bras armé de notre système de santé !
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