A L'OMBRE - L’interdiction des vitres teintées avait été combattue avec succès devant de nombreuses juridictions, mais un récent arrêt de la Cour de cassation pourrait bien sonner le glas des vitres noires. Les explications de Maitre Jean-Baptiste le Dall, avocat en droit automobile.
Depuis le 1er janvier 2017, le Code de la route prohibe l’apposition de films teintés trop sombres à l’avant des véhicules. Un article R.316-3 modifié à cet effet précise que "les vitres du pare-brise et les vitres latérales avant côté conducteur et côté passager doivent en outre avoir une transparence suffisante, tant de l'intérieur que de l'extérieur du véhicule, et ne provoquer aucune déformation notable des objets vus par transparence ni aucune modification notable de leurs couleurs. La transparence de ces vitres est considérée comme suffisante si le facteur de transmission régulière de la lumière est d'au moins 70%. En cas de bris, elles doivent permettre au conducteur de continuer à voir distinctement la route. Toute opération susceptible de réduire les caractéristiques de sécurité ou les conditions de transparence des vitres prévues aux alinéas précédents est interdite."
Une verbalisation à l’œil nu ?
Le texte est très clair et fait référence à un facteur de transmission régulière de la lumière d'au moins 70%. Or, jusqu'à présent, les forces de l'ordre ne disposent pas d'appareils homologués permettant de mesurer ce facteur de transparence.
C'est ce qui a conduit plusieurs juridictions à relaxer les automobilistes ayant contesté leurs verbalisations. Après un premier jugement rendu par le tribunal de Police de Bernay le 10 octobre 2017, c'est le tribunal de Police de Montargis qui, à son tour, le 20 octobre 2017 avait tranché en faveur de l’automobiliste en rappelant "qu'il appartient au ministère public de rapporter la preuve de l'infraction et en matière de constatations techniques la réglementation impose d'ordinaire aux forces de l'ordre l'emploi d'un appareillage de contrôle homologué, certifié et calibré chaque année, telle que les cinémomètres ou les éthylomètres".
"Force est de constater qu'aucun appareil de ce type n'est mis à la disposition des forces de l'ordre alors que d'après divers avis d'experts, il est difficile voire impossible de déterminer à l’œil nu si le minimum requis de 70% de facteur de transmission de la lumière est atteint ou non. En l'absence d'une telle constatation appuyée sur un appareil homologué, certifié et vérifié, la réalité de l'infraction n'est pas justifiée."
Vitres teintées : une décision en demi-teinte
Cette analyse s’inscrivait en droite ligne de celle utilisée en matière d’alcool ou de stupéfiant. Pour l’alcool au volant, une infraction, la conduite sous l’empire d’un état alcoolique qui repose sur un taux, implique le recours à un éthylomètre ou une analyse de sang, alors qu’une autre infraction, la conduite en état d’ivresse manifeste, qui n’implique pas de taux chiffrés, sera constatée sans appareil. Pour ce délit de conduite en état d’ivresse manifeste, les constatations des agents permettront au magistrat d’entrer en voie de condamnation. De même la Cour de cassation exige pour le délit de conduite après usage de stupéfiant la présence au dossier d’une analyse toxicologique.
Cette position jurisprudentielle, qui avait été largement adoptée par les juridictions saisies des contestations formées par les automobilistes verbalisés, aurait pu aisément être contournée par l’administration par la livraison aux Forces de l’Ordre sur le terrain de quelques appareils.
Le contentieux avait de toute façon vocation à s’éteindre de lui-même. La présence de vitrages trop foncés à l’avant du véhicule entraîne désormais contre-visite au contrôle technique. Nombreux ont donc été les automobilistes à faire défilmer leurs véhicules avant le contrôle technique ou une vente.
On pouvait donc supposer que d’ici quatre ans la plupart des véhicules aurait été mise en conformité ‘‘volontairement’’ par leurs propriétaires. Mais le sort des vitres teintées pourrait être scellé avant même la mise aux normes naturelle du parc. La Cour de cassation vient, en effet, de rendre un arrêt qui laisse aux agents des Forces de l’Ordre la possibilité de verbaliser sans recours à un appareil de métrologie.
Pas besoin d’appareil de mesure pour la Cour de cassation
Dans cet arrêt du 19 juin 2018, l’automobiliste soutenait que "la loi pénale (étant) d'interprétation stricte, que le défaut de transparence des vitres d'un véhicule n'est incriminé que si le facteur de transmission régulière de la lumière est inférieur à 70% et que la méconnaissance de ce seuil, qui n'est pas déterminable à l'œil nu, doit être établie par un instrument de mesure" ; qu'en retenant que "la contravention est constituée dès lors qu'un service de police ou de gendarmerie peut estimer que la visibilité intérieure de l'avant d'un véhicule est insuffisante", "quand la transparence des vitres est légalement considérée comme suffisante lorsque le coefficient de transmission lumineuse est supérieur à 70% et quand la transparence des vitres du véhicule n'avait fait l'objet d'aucune mesure par photomètre", la juridiction de proximité a violé les textes.
La chambre criminelle n’a, malheureusement pas suivi l’argumentation de cet automobiliste et retient au contraire qu’il "résulte de l'article R.316-3 du Code de la route, en premier lieu, que la preuve de l'infraction à la réglementation sur la transparence des vitres de véhicule est établie par la constatation, par l'agent verbalisateur, de ce que celle-ci n'est pas suffisante (ndla : traduction, pas besoin d’appareil spécifique), en second lieu, qu'il est permis au contrevenant de rapporter la preuve contraire conformément à l'article 537 du code de procédure pénale, notamment en établissant que le facteur de transmission régulière de la lumière est d'au moins 70%."
On ne peut que regretter la position de la chambre criminelle, l’appréciation du facteur de transmission de la lumière s’avérant réellement très difficile à l’œil nu, tout du moins pour l’évaluer avec précision. La possibilité de rapporter la preuve d’un facteur de transmission dans les normes s’avérera la plupart de temps très compliqué, puisque bon nombre de conducteurs verbalisés s’empressent de faire retirer leurs films de peur d’une nouvelle verbalisation.
Une nécessaire caractérisation de l’infraction
Si le pourvoi formé par cet automobiliste rendra désormais très hasardeuses les contestations des autres propriétaires de véhicules aux vitres teintées, la Cour de de cassation lui a néanmoins donné raison en estimant que les agents verbalisateurs n’avaient pas suffisamment caractérisé tous les éléments constitutifs de l’infraction.
Pour la Cour de cassation "le procès-verbal de contravention, qui ne précisait pas concrètement quelles vitres étaient concernées ni en quoi leur transparence était insuffisante, ne comportait pas de constatations au sens de l'article 537 du code de procédure pénale."
Un faible espoir est donc laissé aux automobilistes rebelles adeptes des vitres très sombres, il demeure toujours possible de contester mais ils n’auront gain de cause que si les agents verbalisateurs se sont contentés de simplement noter le libellé de l’infraction sans plus de précision sur le PV.
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