Rugby : après un Tournoi réussi, le XV de France sur la route du Mondial

INTERVIEW - France-Namibie : en quoi consiste le protocole commotion, à l'origine de la sortie d'Antoine Dupont ?

Publié le 21 septembre 2023 à 22h42, mis à jour le 23 septembre 2023 à 14h43

Source : Rugby - Coupe du Monde

Antoine Dupont a été victime d'un violent choc à la tête, ce jeudi, face à la Namibie.
Le capitaine du XV de France a cédé sa place lors d'un protocole commotion.
En quoi consiste-t-il ? Le médecin du club de Castres, Cédric Chadourne, répond à TF1info.

Un gros coup sur la tête. Le capitaine du XV de France, Antoine Dupont, est sorti juste après la pause, face à la Namibie, ce jeudi 21 septembre, victime d'un violent choc au visage de la part de Johan Deysel. Le demi de mêlée des Bleus a regagné les vestiaires du stade Vélodrome (Marseille), visiblement sonné, remplacé par Baptiste Couilloud pour un protocole commotion cérébrale.

Avec la multiplication des chocs, toujours plus violents, les grandes instances de l'ovalie se sont penchées sur ce phénomène de plus en plus courant. Il faut dire que les procédures juridiques entamées par d'anciens joueurs à l'encontre de leurs clubs - Alexandre Lapandry et Jamie Cudmore contre Clermont par exemple - et des études aux résultats édifiants - une équipe de l’Université de Glasgow a, par exemple, révélé en octobre 2022 que les anciens joueurs de rugby avaient deux fois et demie plus de risque que la population générale de développer des maladies neurodégénératives - ont également aidé à mettre le sujet au centre de la table. 

Désormais, même s'il n'est pas encore parfait, le protocole commotion est bien rodé et permet de minimiser les conséquences des collisions sur la santé des sportifs. Mais en quoi consiste-t-il exactement ? Quels sont les différents tests auxquels sont soumis les joueurs ? Quelles sont les dispositions spécifiques à cette Coupe du monde ? Sollicité par TF1info, le médecin du club de Castres, Cédric Chadourne, fait le point. 

TF1info : La notion de protocole commotion s'est démocratisée ces dernières années, notamment chez les suiveurs réguliers de rugby. Mais concrètement, à quel moment est-il déclenché lors d'une rencontre ? 

Cédric Chadourne : Il est déclenché dès qu'il y a une suspicion de choc à la tête. Il s'agit soit d'un choc direct, soit d'un mouvement très rapide de la tête, de l'avant vers l'arrière ou de l'arrière vers l'avant. Dans les deux cas, cela crée une secousse passagère susceptible d'engendrer une commotion cérébrale, c'est-à-dire un dysfonctionnement du cerveau pendant un court instant. Celui-ci peut entraîner des signes cliniques (vertiges, vomissements, perte d’équilibre, troubles du sommeil…) durant plusieurs jours, voire semaines. 

Quels dégâts la commotion cérébrale cause-t-elle sur le long terme ? 

La commotion à proprement parler peut engendrer des maladies neurologiques ou des troubles neuro-psychiatriques, notamment lorsqu'elle est répétée. À ce titre, un joueur comme Jonathan Sexton, coutumier du fait, est particulièrement exposé. En plus des séquelles neurologiques, un joueur commotionné a beaucoup plus de chances de contracter une blessure grave (rupture du ligament croisé, fracture...), qui le tiendra éloigné des terrains pendant de longs mois. Comme le cerveau ne fonctionne pas normalement, tous les mécanismes de protection du corps sont inertes. Donc, on peut se blesser gravement. 

Surtout, le protocole commotion vise à éviter ce qu'on appelle le syndrome du second impact : une deuxième commotion, dans la foulée d'une première, est toujours plus destructrice. On peut carrément en décéder. C'est déjà arrivé chez les jeunes.

L'importance du médecin indépendant

Dans la pratique, comment se déroule un protocole commotion ? 

En Top 14 (le championnat de France, ndlr) et pour les matchs internationaux, il y a un médecin indépendant de match. Il est spécialement formé à la détection de la commotion cérébrale. Il est équipé d'une tablette sur laquelle il dispose de tous les angles de vue pour chaque action. Huit ou neuf caméras permettent de bien voir si l'impact est directement ou non à la tête, et de juger de l'intensité du choc. C'est cet officiel indépendant qui est chargé de faire une première évaluation. Son rôle est central, même s'il s'appuie régulièrement sur le staff médical de l'équipe du joueur touché. 

Ensuite, des critères ont été établis pour estimer la gravité potentielle d'une commotion : quand il n'y a aucun doute, que la commotion cérébrale est certaine (perte de connaissance, ataxie, hébétude, confusion, convulsion, changement évident de comportement...), il s'agit d'un critère 1 (environ 10/15% des cas). Ce dernier est synonyme de sortie immédiate et définitive. 

Mais dans la majorité des cas, ce sont des critères 2. Cela signifie qu'il y a un doute sur une éventuelle commotion. On a vu un joueur prendre un coup à la tête et on suppose que le joueur est possiblement commotionné. On s'aide de la vidéo, qui donne une première tendance. On regarde comment il tombe au sol, comment il se relève et son attitude après s'être relevé. Si on a un doute, on le fait sortir et là, on déclenche le protocole commotion. Le joueur concerné a ensuite dix minutes pour se soumettre à une batterie de tests qui déterminent son aptitude, ou non, à revenir en jeu. S'il réussit l'ensemble de ces examens, il peut effectuer son retour sur la pelouse. S'il en manque ne serait-ce qu'un seul, son match est terminé. 

Pendant la Coupe du monde, deux médecins spécialisés sont présents à chaque match, accompagnés de traducteurs
Cédric Chadourne

À quels types de tests sont alors soumis les joueurs ?

La procédure porte le nom un peu barbare de head injury assessment (HIA). Elle comprend : 

- un test d'orientation : on pose les cinq questions de Maddock (Dans quel stade jouons-nous aujourd'hui ? Dans quelle période du match sommes-nous ? Quelle équipe a marqué en dernier dans ce match ? Contre quelle équipe avez-vous joué la semaine dernière ? Votre équipe a-t-elle remporté son dernier match ?)

- un test de mémoire immédiate : il consiste à retenir et répéter à trois reprises une série de cinq à dix mots sélectionnés au hasard 

- un test de concentration : on donne une série de chiffres qui doit, ensuite, être retranscrite à l'envers (par exemple : 4-1-8-3 si le soigneur dit 3-8-1-4)

- plusieurs tests d'équilibre, de plus en plus difficiles

- un test de symptômes (le joueur doit décrire les symptômes auxquels il fait face). 

Pour être complet, il faut savoir qu'un HIA est effectué immédiatement après le choc, c'est le HIA 1. Un autre est mené trois heures après le match, c'est le HIA 2. Enfin, le HIA 3 a lieu 48 heures après le HIA 2. Dans les deux derniers cas, les tests sont un peu plus poussés. Ils permettent de définir l'intensité de la commotion, mais aussi de détecter les commotions retardées, qui peuvent se déclarer après quelques minutes ou jours. À noter que tous les joueurs effectuent un HIA de pré-saison pour établir des valeurs de référence. Cela permet de ne pas les pénaliser outre mesure, chacun n'ayant pas les mêmes capacités pour tel ou tel exercice. 

Plusieurs jours de repos forcé

Des dispositions spéciales sont-elles prévues pour cette Coupe du monde ? 

Pendant la compétition, deux médecins spécialisés seront présents à chaque match. Ils seront accompagnés de traducteurs. Normalement, tous les joueurs parlent anglais. Il n'y a que les Français qui sont nuls et qui ne parlent pas bien anglais (rires). Mais le test HIA doit être fait dans la langue maternelle, là encore pour ne pas pénaliser inutilement les joueurs et obtenir des bilans les plus fiables et précis possibles. Il faut vraiment comprendre qu'une commotion ne laisse trace d'aucune lésion anatomique visible au scanner ou à l’IRM. Ces examens spécifiques sont donc extrêmement importants pour la santé du joueur. 

Quid de la récupération des joueurs ?

Il n'existe pas réellement de soins pour ce type de traumatisme. C'est surtout du repos auquel peuvent s'ajouter des exercices de vision, d'équilibre, de la kiné vestibulaire. En général, il y a une période d'arrêts de plusieurs jours ("aucun joueur ne reprendra le jeu avant le septième jour après la blessure et le retour de tout joueur devra être approuvé par un consultant indépendant en matière de commotions cérébrales", indique World Rugby dans son règlement, ndlr). Après, c'est vraiment du cas par cas.


Maxence GEVIN

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