Opéré d'une fracture maxillo-zygomatique après un choc violent à la tête contre la Namibie, Antoine Dupont va être éloigné pendant plusieurs semaines des terrains.La suite de la Coupe du monde s'écrit en pointillés pour le capitaine tricolore, déjà forfait contre l'Italie, même si un retour lors des phases finales est envisagé.Quand bien même le Toulousain dispose de doublures de qualité, cette blessure constitue un immense coup dur pour le XV de France. Voici pourquoi.
Personne n'est irremplaçable, à plus forte raison au rugby où le collectif a toujours raison des individualités. Mais dans certains cas, c'est la qualité d'un joueur qui permet de faire basculer une rencontre. Romain Ntamack l'a rappelé en juin dernier, lorsqu'il a transpercé la défense rochelaise dans les derniers instants d'une finale de Top 14 qui semblait perdue pour Toulouse. Antoine Dupont est de cette trempe, de ces rugbymen de génie capable de dynamiter une défense avec ses crochets dévastateurs ou un coup de patte millimétré.
La blessure du demi de mêlée - victime d'une fracture maxillo-zygomatique contre la Namibie (96-0) - donne donc des sueurs froides aux supporters de la sélection au Coq. Et ce, quand bien même les options pour le remplacer existent et sont de qualité. D'ores et déjà forfait pour le match décisif, une défaite éliminerait les Bleus, contre l'Italie (6 octobre, 21h, en direct sur TF1 et MYTF1, et en live commenté sur TF1info), le Toulousain est des plus incertains pour le potentiel quart de finale.
Son absence contre les Transalpins constitue déjà un coup dur en soi. Il s'agirait d'une immense tuile pour des tricolores privés de leur "monsieur à tout faire" si elle venait à se prolonger lors de ce qui s'annonce peut-être comme le match le plus difficile de la compétition, vraisemblablement contre l'Irlande ou l'Afrique du Sud, voire l'Écosse.
Pas la même équipe de France sans lui
Antoine Dupont est sans doute à l'équipe de France de rugby ce que Zinedine Zidane était en son temps aux Bleus du football : un joueur qui change le visage d'un collectif. Parmi les cadres sur lesquels s'est appuyé Fabien Galthié dès sa prise de fonction à la tête d'une sélection à la dérive, le costaud N.9 (1,74m/85kg) occupe une place de choix.
L'ancien Castrais a disputé 31 matchs depuis l'arrivée de l'ancien entraîneur de Toulon et Montpellier, tous comme titulaire. Et il n'a connu la défaite qu'à... quatre reprises : en Angleterre (23-20) en 2021, contre l'Écosse (28-17 en 2020 et 27-23 en 2021) et en Irlande (32-19) en 2023. Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, Australie, Irlande... toutes les grandes nations de l'ovalie ont mordu la poussière sous sa houlette.
C'est simple, en sa présence, le XV de France affiche un taux de succès exceptionnel de 87%. En revanche, lorsqu'il n'est pas aligné, ce chiffre chute à 64%, avec quatre défaites en onze matchs. Même si cela reste bien meilleur que lors des années noires sous Philippe Saint-André, la différence est notable. Toutefois, elle doit aussi être nuancée par le fait que ce sont régulièrement les habituels remplaçants qui étaient à l'œuvre lorsque le "ministre de l'Intérieur", surnom dont il a hérité après ses nombreuses courses de soutien lors des percées de ses coéquipiers, ne figurait pas dans le XV de départ. En d'autres termes, ce n'était, dans une majorité des matchs en question, pas l'équipe type qui était alignée, au contraire des matchs couperets à venir.
Au-delà des chiffres, Antoine Dupont a contribué à transfigurer une équipe historiquement réputée pour son jeu au pied fragile, ou du moins pas à la hauteur des plus grands, pour en faire une machine dans l'occupation du terrain et plus largement dans le fameux jeu de "dépossession" prôné par le staff tricolore.
Un joueur "exceptionnel"
Élu meilleur joueur du monde en 2021, et meilleur joueur du Tournoi des Six Nations à trois reprises - il n'est que le deuxième à réussir pareil exploit dans l'histoire après la légende irlandaise Brian O'Driscoll - en 2020, 2022 et 2023, Antoine Dupont possède un palmarès individuel long comme le bras. Presque aussi conséquent que ses trophées collectifs (champion de France 2019, 2021 et 2023, vainqueur de la Champions Cup 2021, vainqueur du Tournoi des Six Nations 2022). Une litanie de titres et de distinctions qui suffisent à comprendre l'impact de l'intenable demi de mêlée. "Il est vraiment exceptionnel, [...] c'est le meilleur joueur du monde", reconnaît l'expérimenté Anglais Danny Care, qui évolue au même poste.
Le compère d'Anthony Jelonch, dont il est très proche depuis l'adolescence, sait tout faire. Doté des deux pieds, il soulage son équipe dans les moments chauds par ses gros "coups de pompe". Sa puissance écœure souvent les adversaires, inexorablement repoussés dans leur camp après ses dégagements. Par exemple, il est le botteur qui a gagné le plus de terrain (1939 mètres) lors du Six Nations 2022, et le deuxième à avoir grignoté le plus de mètres (1588) lors de l'édition 2023, alors même que la charge au pied était beaucoup plus répartie avec Romain Ntamack et Thomas Ramos.
Il n'y a personne comme Antoine Dupont
Ronan O'Gara
En plus, il se montre capable de distiller de véritables caviars, à la main comme au pied. Sa diagonale millimétrée pour Louis Bielle-Biarrey contre la Namibie, alors même qu'il se trouvait sous pression, en est le symbole parfait. D'ailleurs, avec dix passes décisives, Antoine Dupont est le joueur qui a réalisé le plus de transmissions précédant un essai au cours de l'année 2023.
Particulièrement teigneux en défense, le capitaine tricolore fait surtout d'énormes dégâts balle en main. Son activité autour des rucks constitue l'un des plus grands casse-tête du rugby actuel. Au même titre que sa capacité à rester sur les appuis et à casser les placages. À ce sujet, Antoine Dupont est de (très) loin le demi de mêlée des nations majeures qui a battu le plus de défenseurs (85) depuis la Coupe du monde 2019.
Sa lecture de jeu et sa pointe de vitesse, qui lui permettent de se retrouver souvent à la finition des actions, sont également remarquables, au sens premier du terme. Même chose pour sa capacité à faire vivre le ballon après contact (sept passes après contacts en seulement deux matchs dans ce Mondial, personne ne fait mieux).
2224 - Antoine Dupont has played the most minutes of any Tier 1 scrum half since the 2019 RWC (2224), averaging the most defenders beaten per 80 mins (3.1, Cobus Reinach 2nd on 2.7), while he's top for carries (9.8), line break assists (0.9) and offloads (1.9) per 80. Value. https://t.co/Jiz2vQqcH9 — OptaJonny (@OptaJonny) September 22, 2023
"Il n'y a personne comme Antoine Dupont. Aucune équipe n'a un joueur comme lui : il a la force d'un avant, la défense d'un centre, la vitesse d'un ailier et l'intelligence d'un demi d'ouverture", résume l'ancien international irlandais Ronan O'Gara, désormais entraîneur de La Rochelle, dans les colonnes du site britannique RugbyPass. "Lui, il rend la France imprévisible. Il est complètement atypique dans sa façon de jouer", confirme son compatriote Paul O'Connell, actuel entraîneur adjoint en charge des avants du XV du Trèfle.
Un leadership sous-estimé
Régulièrement au centre de l'attention médiatique - rarement un rugbyman n'a été autant sous le feu des projecteurs et fait l'unanimité auprès des marques - et des discussions du grand public, Antoine Dupont est avant tout un meneur d'hommes hors pair, sur le terrain comme en dehors. S'il donne surtout l'exemple par ses performances sur le terrain, il sait aussi avoir le petit mot au bon moment, exhorter ses partenaires dans les moments difficiles.
"C'est un leader dans la vie de groupe, dans ce qu'il dégage et ce qu'il fait sur le terrain", résume le centre français Gaël Fickou. "Il ne parle pas beaucoup mais quand il le fait, il a toujours le mot juste", abonde son partenaire de la troisième ligne François Cros.
En tant que capitaine, et par son aura, il possède de plus un rôle non négligeable auprès des arbitres, ce qui, au plus haut niveau, peut se révéler bien plus qu'un détail. "Antoine Dupont est l’élément indispensable au XV de France. Il fait tout dans cette équipe", jugeait auprès de TF1 Info Pierre-Henry Broncan, adjoint de la sélection australienne, avant le début de la compétition. Charge à Maxime Lucu et Baptiste Couilloud, remplaçants désignés, d'assurer l'intérim avec brio, en attendant le retour de l'homme providentiel.