Akira Mizubayashi : "Le gouvernement japonais minimise Fukushima le plus possible"

par Jennifer LESIEUR
Publié le 22 septembre 2014 à 14h37
Akira Mizubayashi : "Le gouvernement japonais minimise Fukushima le plus possible"

ESSAI - Universitaire et professeur de français à l'université de Sophia à Tokyo, Akira Mizubayashi dénonce dans son "Petit éloge de l'errance" (Folio/Gallimard) l'irresponsabilité du gouvernement japonais face à la catastrophe de Fukushima, entre souvenirs personnels et évocations artistiques.

"Mon épouse m'a dit : tu es allé un peu trop loin, tu ne t'inquiètes pas ?" Non, Akira Mizubayashi n'est pas inquiet. Cet élégant professeur, qui parle français sans le moindre accent, a ressenti l'urgence de dire ce qui cloche au japon. Osé, dans un pays où les gens n'expriment jamais frontalement leurs désaccords. Or Akira Mizubayashi a pour arme la langue française, qu'il enseigne et dans laquelle il écrit merveilleusement. Son dernier livre, Petit éloge de l'errance, offre sans intermédiaire le regard rare, à la fois révolté et sensible, d'un Japonais sur l'après-Fukushima.

Des manifestations inédites au Japon

"J'ai voulu comprendre pourquoi ce pays ne change pas, pourquoi il n'y a pas de prise de conscience citoyenne au Japon, explique Akira Mizubayashi. Pourtant, un début de contestation a bien eu lieu : « Tous les vendredis soirs, il y a un rassemblement devant la résidence du Premier ministre. Il y a deux ans, on a dénombré 200 000 personnes, du jamais-vu. Les manifestations sont très mal vues au Japon depuis les mouvements de protestation étudiantes qui étaient devenues très violentes. Depuis, y participer, c'est être un peu extrémiste. Déjà, s'intéresser à la politique est extrémiste !"

Le gouvernement japonais veut reléguer Fukushima dans l'oubli


Après Fukushima, Akira Mizubayashi a passé une année sabbatique en France et suivi l'actualité en position d'observateur. De retour au Japon, ce qu'il a vu l'a accablé. "La volonté du pouvoir, c'est de minimiser les conséquences, et Fukushima s'efface peu à peu de la mémoire. Comment est-ce possible aujourd'hui, malgré Hiroshima et Nagasaki ? Il n'y a même pas de débat national pour décider si le Japon peut sortir du nucléaire, le gouvernement veut relancer toutes les centrales et en revendre à l'étranger, alors qu'il y a toujours 150 000 personnes qui ont tout perdu."

150 000 errants, puisqu'il en est question dans son essai, qui est aussi "un essai d'auto-compréhension : je suis né au Japon, j'y ai grandi, ce n'est pas pour rien qu'il y a des scènes qui relèvent de l'histoire individuelle, et des pans entiers de l'histoire nationale de l'autre côté". Mizubayashi convoque notamment un autre Akira, le cinéaste Kurosawa, ainsi que l'écrivain Natsume Soseki, des créateurs qui se sont servis de la figure de l'errant pour évoquer le retrait, le déracinement. On observe toujours mieux à distance...


Jennifer LESIEUR

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