Anne-Claire Coudray : "Aux Etats-Unis, je n’ai rencontré personne qui ait une certitude sur l’issue du scrutin"

Propos recueillis par Jérôme Vermelin
Publié le 23 octobre 2020 à 13h18, mis à jour le 23 octobre 2020 à 14h17

Source : Sujet TF1 Info

INTERVIEW - Jusqu’à dimanche soir, les JT du Week-End de TF1 présentés par Anne-Claire Coudray passent à l’heure américaine. La journaliste s’est rendue outre-Atlantique il y a quelques jours pour une série de reportages et de rencontres dont elle nous a raconté les coulisses…

A quelques jours de l’élection présidentielle du 3 novembre, Anne-Claire Coudray et les équipes des JT du Week-End de TF1 sont allés à la rencontre d’une Amérique traversée par de profonds clivages. De la Géorgie à la Californie en passant par le Wyoming, la journaliste évoque les temps forts de son périple outre-Atlantique.  

LCI : Quel est l’esprit de ce "Week-End américain" qui débute ce soir dans le JT de 20h ?  

Anne-Claire Coudray : L’idée, c’était de partir d’un constat partagé par à peu près tout le monde : la société américaine est plus divisée que jamais. Il y a la fracture raciale, qui existe depuis de longues années, la fracture climatique qui est plus récente, et puis cette fracture entre l’Amérique de l’intérieur et celle des élites des côtes. Or cette Amérique de l’intérieur, c’est celle qui a élu Trump et que personne n’avait vu venir. A la fin de son premier mandat, on voit bien que ses prises de positions ont exacerbé ces divisions. Ce que nous voulions avec ce week-end de reportages, c’est illustrer et essayer de comprendre les positions des uns et des autres.  

Comment avez-vous construit votre périple et les reportages que nous allons découvrir ?  

Nous avons organisé nos pages spéciales en trois parties : la première diffusée ce vendredi soir se déroule à Atlanta et porte sur la fracture raciale. Là, le constat c’est de dire que depuis 1964 et la fin de la ségrégation, le gouffre financier entre les Noirs et les Blancs ne s’est pas réduit. Même si une classe moyenne afro-américaine s’est créée, elle n’arrive pas à rattraper son retard et à briser le plafond de verre. Face à cette désillusion, nous avons rencontré une famille qui, avec une vingtaine d’autres, a décidé d’acheter un terrain de 40 hectares, à deux heures d’Atlanta, avec ce projet fou de créer leur propre ville qu’ils appelleraient "Freedom". Pour des gens dont les arrière-grands parents sont arrivés en Amérique en tant qu’esclaves, c’est très symbolique. Mais ça témoigne aussi d’une tentation du repli communautaire.  

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Vous vous êtes également rendue chez un fermier du Wyoming, qui compte revoter pour Donald Trump. Comment explique-t-il son choix ?  

Ce que nous voulions avec lui, c’est comprendre les ressorts du vote républicain. Ce fermier nous dit lui-même être assez choqué de ce que le président peut dire, ou de son comportement parfois, mais qu’il incarne cette philosophie républicaine de l’homme d’affaires, dans la droite ligne des pionniers. Et qui considère qu’on ne compte pas sur l’État qui, finalement, est plus là pour vous prendre que pour vous donner. Cet homme que nous avons rencontré nous explique que lorsque son grand-père est arrivé de Norvège, en 1902, il a fallu qu’il se débrouille tout seul pour survivre dans le Grand Ouest américain. Et il explique son vote Trump comme ça : parce qu’il n’a pas envie d’un État plus fort, il n’a pas envie d’une Sécurité Sociale pour tous, il a envie de garder son indépendance.  

Le troisième volet porte sur la fracture écologique… 

Et elle est assez incroyable ! Il y a tellement de climato-sceptiques aujourd’hui aux États-Unis… et tellement de gens qui sont convaincus de l'urgence à agir ! Nous avons choisi la Californie - qui est l’État le plus concerné par ces problèmes -, à cause des incendies, de la sécheresse, du fait que Los Angeles soit aussi la ville la plus embouteillée au monde. Et c’est précisément là qu’on est le plus avancé dans la recherche de solutions, avec notamment le véhicule électrique qui représente près de 300.000 emplois.

Beaucoup de Trumpistes disent s’être donnés la consigne de ne pas répondre aux sondages ou de leur mentir
Anne-Claire Coudray

Avez-vous constaté l’intérêt semble-t-il inédit des Américains pour cette élection ?  

C’est vrai qu’à Atlanta, dans les quartiers noirs, il y a des files d’attentes incroyables. Même si on ne sait pas si les gens se déplacent parce qu’ils ont peur du Covid, et qu’ils n’ont pas envie de sortir de chez eux le 3 novembre, ou si effectivement il y a une sorte de sursaut démocratique. Après si les minorités votent plus que la fois précédente, ça pourrait faire une différence… Mais je n’ai rencontré personne qui ait une certitude sur l’issue du scrutin. A cause du système des grands électeurs, qui n’a rien à voir avec notre suffrage universel. Et aussi du fait que beaucoup de Trumpistes disent s’être donnés la consigne de ne pas répondre aux sondages ou de leur mentir. Je constate aussi que les Américains n’ont pas le même rapport que nous au président. Chez nous il est central, il incarne la politique. Chez eux la personnalité du président est beaucoup moins importante. Beaucoup nous ont dit : "Je n’aime pas qui il est, je le trouve outrancier, menteur. Mais finalement je vote pour lui parce que je veux voter républicain".

A-t-il été compliqué de tourner au regard de la situation sanitaire actuelle aux États-Unis, l’un des pays au monde les plus frappés par la pandémie de Coronavirus ?  

Les Américains n’ont pas la même perception de la pandémie en fonction du lieu où ils habitent. C’est d’ailleurs là où on se rend compte que c’est un pays grand comme un continent et qu’il n’y a quasiment rien de commun entre la famille noire d’Atlanta et le fermier du Wyoming. À Atlanta, on porte le masque, on fait attention, il est obligatoire partout. On l’a juste enlevé pour les interviews mais tout le monde le porte. En revanche dans le Wyoming, personne ne le porte. Là on n'a non seulement pas de masque, mais on vous sert la main spontanément ! Ce sont deux pays, deux réalités, deux façons de voir. C’est encore une fois le petit miracle de ce pays : il abrite des gens qui ont des convictions, des valeurs radicalement différentes. Mais comme il est immense, ils peuvent tous y vivre sans forcément se croiser ou se côtoyer.  

>> Retrouvez le "Week-end américain d' Anne-Claire Coudray" du vendredi 23 octobre au dimanche 25 octobre dans le JT de TF1.


Propos recueillis par Jérôme Vermelin

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