Le long-métrage de Romain Gavras figure parmi les fictions non anglophones les plus regardées sur Netflix dans le monde.Loin de faire l’unanimité, cette fable sur une cité à la dérive s’est offerte une visibilité inespérée grâce à la plateforme américaine.
Vous souvenez-vous de la dernière fois qu’un film français a autant animé les discussions ? Depuis sa mise en ligne sur Netflix le 23 septembre, Athena de Romain Gavras n’en finit plus de générer des commentaires tantôt dithyrambiques, tantôt assassins… et pas grand-chose entre les deux. Et ça paye puisqu’avec 6,9 millions d’heures de visionnages en sept jours, il s’agit du deuxième long-métrage non anglophone le plus regardé sur la plateforme dans le monde. Seul le polar allemand Le Parfumeur, inspiré du roman de Patrick Suskind, Le Parfum, fait mieux avec 9,3 millions d’heures de visionnages.
Athena, si vous faites partie de ceux qui ne l’ont pas encore vu, raconte l’histoire d’une fratrie qui se déchire lorsque le petit dernier est victime de ce qui semble être une bavure policière. De retour dans la cité où il a grandi, Abdel, militaire, tente en vain d’apaiser la situation. Mais le cadet Karim a décidé de se venger et d’organiser une guérilla sans merci tandis que l’aîné Mokhtar, dealer, ne pense qu’à évacuer sa marchandise avant l’arrivée des forces de l’ordre. Au cours d’une nuit de cauchemar, les trois hommes vont croiser la route de Jérôme, un jeune CRS totalement dépassé par les événements…
Un film impossible à tourner sans Netflix
Dans le détail, Athena figure dans le top 10 de 28 pays dont l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Brésil, le Marc, la Thaïlande ou encore Israël. Chez nous, il est resté à la première place jusqu’à la sortie mercredi de Blonde, autre fiction qui fait déjà polémique. Critiqué aussi bien par les cinéphiles que les politiques à l’image d’Eric Zemmour ou bien de certains habitants de cité qui s’estiment caricaturés, comme on peut le lire dans Le Parisien, le phénomène Athena confirme que Netflix – et les plateformes en général – sont devenues une formidable caisse de résonance pour des films qui n’auraient pas forcément le même écho au cinéma.
Il faut aussi rappeler que si Romain Gavras a choisi de travailler avec Netflix, et de se priver de la salle en raison de la chronologie des médias à la française, c’est pour des raisons budgétaires. "Le film n’aurait pas été possible si Netflix ne l’avait pas financé. C’est aussi simple que ça", confiait-il à TF1info avant la sortie. "Les guichets normaux ne m’auraient pas donné le budget, m’auraient sûrement imposé des comédiens extra connus. Alors que Netflix ne m’a rien imposé du tout. J’ai juste eu des conversations intelligentes sur son contenu, en ayant la liberté la plus totale pour le fabriquer."
En France, il y a souvent une confusion. On trouve que le travail de l’image, c’est vulgaire. Alors que lorsqu’on fait du cinéma, selon moi, le travail de l’image est essentiel. La forme raconte quelque chose du fond
Romain Gavras
Très critiqué sur les réseaux, le fils de Costa-Gavras est resté muré dans le silence ces derniers jours. Il en est sorti ce vendredi en publiant sur Twitter une vidéo des coulisses de fabrication de la phénoménale scène d’ouverture, un plan séquence de dix minutes dans lequel la bande de jeunes emmenée par le personnage de Karim, joué par Sami Slimane, saccage un commissariat et s’enfuit avec une camionnette de police. Comme on peut le découvrir, plusieurs équipes se sont relayées pour faire circuler la steadycam d’un lieu et d’un véhicule à l’autre, un travail méticuleux dont le cinéaste nous avait parlé avec enthousiasme.
pic.twitter.com/umifMjmjTE — romain gavras (@ROMAIN_GAVRAS) September 30, 2022
"On a répété le film pendant un mois et demi avec les comédiens et une petite caméra, comme si c’était une espèce de filage d’opéra ou de théâtre, pour pouvoir ensuite intégrer tout ce qui arrive après : la pyrotechnie, la figuration", expliquait-il à propos de la période de préparation en amont du tournage dans le quartier du Parc aux Lièvres à Évry-Courcouronnes, à l'été 2021. "Tout était donc millimétré, presque militairement, parce que c’est dangereux, parce que les plans durent tellement longtemps que si quelque chose sort du cadre prévu, si l’acteur tourne à gauche au lieu d’aller à droite par exemple, alors tout est raté."
Présenté début septembre à la Mostra de Venise, Athena en était rentré bredouille, même si la presse anglo-saxonne avait dans l’ensemble salué le travail de Romain Gavras. Au cours de notre entretien, le cinéaste avait répondu aux attaques de ceux qui l'accusent de proposer une vision esthétisée de la violence, déjà récurrente à l'époque du clip de "Stress" pour le duo electro Justice en 2007. "En France, il y a souvent une confusion. On trouve que le travail de l’image, c’est vulgaire", déplorait-il. "Alors que lorsqu’on fait du cinéma, selon moi, le travail de l’image est essentiel. La forme raconte quelque chose du fond."
Quelques jours avant la sortie d'Athena, Netflix avait dévoilé sur les réseaux les commentaires enthousiastes du réalisateur David Fincher et du rappeur Jay-Z, qui avaient eu droit à des projections privées à leur demande aux États-Unis. Le premier suit le Français depuis plusieurs années tandis que le second a tourné avec lui le clip de "No Church in the Wild" avec Kanye West, en 2012. Outre-Atlantique, le film est sorti dans quelques cinémas, tout comme à Londres. Ce n’est pas le cas en France puisqu'en vertu de la chronologie des médias, la plateforme aurait dû attendre 15 mois pour mettre en ligne le film si elle avait souhaité le diffuser d'abord en salles. Sans visa du CNC, Athena ne pourra d’ailleurs pas concourir aux prochains César. Sans regret ?