DECOUVERTE – Son premier roman, "Désorientale" (Liana Levi), réchauffe l’eau plutôt tiède de la rentrée littéraire. Négar Djavadi a publié un récit épique où l’on croise une dynastie iranienne, une héroïne en mouvement perpétuel et un amour filial immense, contre lesquels aucune frontière ne résiste.
On est presque étonné que Désorientale ne pèse pas dix bons kilos. Le livre est si dense, si foisonnant, qu’il pourrait avoir l’épaisseur des Mille et une nuits, ce classique absolu des lettres persanes. Or ce premier roman est aussi discret qu’une lampe magique, et il suffit de l’entrouvrir pour en voir sortir non pas un génie, mais un conte moderne aux ramifications infinies, sur l’Iran d’hier et la France d’aujourd’hui, la mémoire et l’identité, l’exil et la filiation, et tant d’autres choses encore.
Au début du roman, l’héroïne, Kimiâ, patiente dans la salle d’attente d’une clinique parisienne pour une procréation médicalement assistée. On apprend beaucoup plus loin que Kimiâ ne désire pas un enfant avec Pierre, le "donneur", mais avec son amie Anna, rencontrée en Belgique pendant un exil temporaire. Car Kimiâ vient de loin, et revient de loin pourrait-on dire. Elle a quitté l’Iran, son pays natal, clandestinement. Elle a bataillé pour trouver sa place, et les souvenirs familiaux affluent tandis qu’elle observe les autres couples. Des souvenirs d’une véritable dynastie, rocambolesque, inouïe, dans un Iran oublié.
Un Iran des années 70 plus moderne que celui d’aujourd’hui
L’auteur, chaleureuse et spontanée, sert du thé avec des graines de cardamome. Lorsqu'elle parle, on retrouve la voix du livre, qui raconte avec douceur et humour sa propre histoire, comme point de départ de son livre. Négar Djavadi est née à Téhéran en 1969, dans une famille d’intellectuels. En 1981, sa mère, sa soeur et elle ont fui le régime de Khomeiny à cheval, à travers les montagnes du Kurdistan, pour rejoindre son père en France, patrie vénérée, un peu fantasmée, des Iraniens d’alors.
Il y avait déjà là de quoi filmer son épopée, mais Négar Djavadi, scénariste de métier, a choisi la littérature et la fiction pour décrire le parcours de Kimiâ : "Mon désir, c’était de raconter une saga familiale en Iran, et de faire connaître mon Iran à moi, celui d’avant puisque je ne peux plus y retourner. Je n’ai même aucun papier certifiant que j’y suis née." Elle voulait aussi essayer de comprendre comment l'Iran, pays non arabe, s'est retrouvé voilé et réprimé en quelques mois à peine. "Regardez les photos des Iraniennes des années 70, et celles d’aujourd’hui : c’est incroyable comme celles d’avant font actuelles, alors que celles d’aujourd’hui ont l'ai d'être revenues deux siècles en arrière… Et pourtant, les Iraniennes résistent, avec beaucoup de courage."
Résistance, révolution et filiation
De résistance, il est beaucoup question dans Désorientale. Ses autres héros sont Darius et Sara Sadr, parents éclairés de Kimiâ, cultivés, ouverts au monde, opposants au régime du Shah puis de Khomeiny. "L’Iran a toujours été divisé entre les intellectuels, la monarchie et les mollahs", constate Négar Djavadi. "Les mollahs ont toujours biaisé, là où ça les arrangeait. Après la monarchie, ce sont ces derniers qui ont pris le pouvoir. Les Sadr représentent le côté intellectuel de la société ; les gens n’imaginent pas à quel point ils étaient ancrés dans la révolution, ils en ont payé le prix aussi."
Négar Djavadi a aussi su éviter l'indigestion des récits enchâssés. "J’avais plus ou moins l’histoire, qui grossissait au fur et à mesure que je remontais le temps, mais j’ai mis longtemps à trouver le ton", admet-elle. "Je crois avoir trouvé le bon équilibre entre le cinéma, le conte, l’Iran, la France, la littérature intimiste…" Le résultat, c’est une saga dont les digressions ne ralentissent jamais le rythme, où l’humour colore les moments les plus inattendus, et où la famille reste la seule véritable terre natale.
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