Après quatre ans d’attente, "Black Mirror" fait son grand retour pour une sixième saison de 5 épisodes sur Netflix.À l’heure où l’intelligence artificielle fait les gros titres de l’actualité, la série d’anticipation a-t-elle encore des choses à dire ?Entre farce, drame et horreur, son créateur Charlie Brooker varie les plaisirs pour mieux dénoncer les dangers du progrès technologique.
Voilà déjà douze ans que Charlie Brooker, le créateur britannique de Black Mirror, nous met en garde contre la place grandissante – et inquiétante - des nouvelles technologies dans notre quotidien. Depuis, les assistants personnels se sont implantés dans les foyers, les influenceurs monnaient leur intimité sur les réseaux sociaux, des campagnes de désinformation massive ont bouleversé les élections partout dans le monde et ChatGPT est à deux clics de remplacer les scénaristes hollywoodiens en grève. Sans parler des ravages du harcèlement en ligne dans les cours de récré… La réalité aurait-elle rattrapé la fiction ? C'est un peu le sentiment qu'on éprouve après visionné les cinq épisodes de la saison 6.
Dans "Joan est horrible", l’héroïne incarnée par Annie Murphy est cadre intermédiaire dans une entreprise high tech. Sa vie manque de sel comme la cuisine de son boyfriend ? Au soir d’une journée "compliquée", elle découvre que sa morne existence fait l’objet d’une série dans laquelle elle est interprétée par... Salma Hayek !. Si c’est l’avenir de la téléréalité, bonjour les dégâts. La satire est d’autant plus mordante que ce programme hybride est diffusé sur Streamberry, une plateforme dont le logo ressemble étrangement à celui de Netflix, qui héberge Black Mirror. Malin.
Netflix en prend pour son grade !
Dans "Loch Henry", Davis (Samuel Blenkin), un jeune réalisateur britannique embarque Pia (Myha'la Herrold), sa petite amie américaine dans la réalisation d’un documentaire sur le fait divers qui a chassé tous les habitants du village où il a grandi. Après une mise en place un brin laborieuse, Charlie Brooker propose une critique redoutable de la mode du "true crime" qui fait recette auprès des téléspectateurs avides de sensations fortes. Là encore Netflix & co en prennent pour leur grade. Sauf que cette fois, c’est glaçant.
Plus anecdotique, "Mazey Day" nous embarque à Los Angeles, vraisemblablement en 2006 puisque les infos font référence à la naissance de Suri, la fille de Tom Cruise et Katie Holmes. Bo (Zazie Beetz), une jeune paparazzi en plein questionnement existentiel, cherche la trace d’une starlette qui a mystérieusement disparu des radars lors d’un tournage. Cet épisode propose une critique un peu facile d’une profession prête à tout pour un cliché qui tue. Mais elle est sauvée par un hommage aussi efficace qu’inattendu à un grand classique du cinéma horrifique. Lequel ? Mystère…
Le meilleur rôle d'Aaron Paul depuis "Breaking Bad"
Le meilleur épisode de la saison est certainement "Mon cœur pour la vie", le plus long aussi avec 80 minutes au compteur. Nous sommes aux Etats-Unis, dans une version alternative de l’année 1969 où Cliff (Aaron Paul) et Davis (Josh Hartnett), deux astronautes, effectuent une mission de six ans dans l’espace. Grâce à une technologie miraculeuse, chacun d’entre est capable de transférer son esprit dans leur corps de son avatar, resté sur Terre auprès de leur proche. Là-haut, une harmonie parfaite règne entre ceux hommes, jusqu’au jour où l’un d’entre eux est frappé par un drame terrible…
Si Charlie Brooker est un grand farceur, il est capable d’écrire de magnifiques drames intimistes comme il l’a prouvé par le passé avec "The Entire History of You", "Be right Back" et son grand chef d’œuvre, "San Junipero". Porté par la performance épatante de Aaron Paul, dans son meilleur rôle depuis Breaking Bad, "Mon cœur pour la vie" propose l’une des fins les plus perturbantes depuis la création de "Black Mirror".
On est moins fan de "Démon 79", un épisode qui comme son titre l’indique, se déroule en 1979, dans une petite bourgade du Nord de l’Angleterre. Victime du racisme qui gangrène la société thatchérienne, une jeune vendeuse d’origine indienne (Anjana Vasan) rêve de se faire justice lorsqu’elle croise la route d’un esprit maléfique (Paapa Essiedu). Non seulement le message politique est convenu, mais il est plombé par une accumulation de scènes gore qui finissent par lasser.
Après une saison 5 qui avait divisé, voire déçu, ces cinq nouveaux épisodes prouvent que Black Mirror reste dans le haut du panier des séries télé. Charlie Brooker a peut-être déjà tout dit sur le fond. Mais son humour noir, sa capacité à créer des personnages complexes et des situations qui interrogent notre rapport au progrès est indéniable. Et puis l’actualité lui donne chaque jour de nouvelles sources d’inspirations, n’est-ce pas ?