Avec "Les Nuits de Mashhad", l’Iranien Ali Abbasi signe l’un des premiers chocs du 75e Festival de Cannes.Un film noir qui raconte l’histoire vraie d’un tueur de prostituées, pourchassé par une journaliste.TF1info a rencontré ce franc-tireur qui n’a pas peur de bouleverser les codes.
Ali Abbasi frappe fort, très fort avec Les Nuits de Mashhad, en compétition pour la Palme d’or. Après l’étrange Border, prix Un certain regard, il raconte l’histoire d’un tueur en série de prostituées qui a sévi dans la ville sainte de Mashhad, au début des années 2000. Alors que les autorités ferment les yeux sur ses méfaits, une journaliste débarque de Téhéran pour mener sa propre enquête, au péril de sa vie.
Pour donner naissance à ce film noir qui regorge de scènes choc, le cinéaste de 41 ans, installé de longue date en Europe, a été contraint de se rendre en Jordanie, faute d’autorisation de tournage. Il faut dire qu’il ne prend pas de gants pour dénoncer la corruption et la misogynie de son pays de naissance.
L’affaire dont s’inspire le film date de 2001. N’avait-elle jamais été racontée avant à l’écran ?
Plusieurs fois, oui. Un an après les faits, il y a eu un documentaire qui m’a beaucoup inspiré, And Along Came a Spider. J’ai parlé à son réalisateur Maziar Bahari, qui à l’époque faisait un reportage sur les talibans pour Newsweek, je crois. À l’époque, il attendait à Mashhad de pouvoir franchir la frontière vers l’Afghanistan quand il a entendu parler de cette histoire. Il a pu interviewer Saaed Hanaei, le tueur, ainsi que sa famille. Il y a aussi eu un film de fiction en Iran il y a deux ans. Quand son réalisateur a appris que je voulais tourner le mien, il m’a téléphoné un soir pour m’en dissuader et me suggérer d’aller faire des films à Hollywood après le succès de Border. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche ! Il s’est mis en colère, ce que je trouve stupide parce que le sujet est tellement passionnant qu’on pourrait en faire cinq films. Je n’ai pas vu le sien. Mais je doute que le système iranien l’ait laissé aller au fond du sujet.
Le vôtre a été tourné en Jordanie car vous n’avez pas eu les autorisations en Iran. C’est vrai que le bureau de la censure n’a donné de réponse ?
Ils n’ont jamais dit oui et jamais dit non. Le dernier message que j’ai eu, c’est "viens boire le thé avec nous !". Et vous savez quoi ? Fuck you ! Je voulais le faire exactement à ma manière. J’ai proposé un compromis au départ. J’ai dit : "Je n’aime pas votre censure, mais je voudrais tourner dans mon pays, proprement, sans le faire dans votre dos". Parce que ça légitime la censure, d’une certaine façon. Mais peut-être qu’au final, c’est mieux pour le film de l’avoir tourné en Jordanie.
Dans tous les films iraniens, les femmes se couchent avec leur foulard ! Elles ne touchent jamais personne, elles ne serrent jamais la main
Ali Abbasi
Certains plans relatifs au sexe et à la violence ne pourraient clairement pas figurer dans un film iranien, non ?
Là, vous parlez de la partie la plus extrême. Mais même filmer la vie quotidienne ordinaire d’une femme est un problème en Iran. Dans tous les films iraniens, les femmes se couchent avec leur foulard ! Elles ne touchent jamais personne, elles ne serrent jamais la main. Nous les Iraniens, nous nous croyons très malins, nous pensons que nous pouvons avoir recours à la métaphore pour exprimer les interdits. Mais la réalité est bien différente…
Ce que vous voulez dire, c’est que la métaphore est une forme d’autocensure ?
Oui et moi j’en ai marre de ces conneries métaphoriques ! Vous voulez dire quelque chose ? Dites-le ! Ou alors fermez votre gueule. Je ne suis pas aussi raffiné que ces gens, moi je suis brut de décoffrage. Je ne suis pas amoureux de la façon métaphorique de raconter des histoires. Un film, ce n’est pas un bouquet de fleurs, c’est une claque dans la gueule.
Des acteurs qui prennent des risques
Quand avez-vous quitté l’Iran et pourquoi ?
Quand j’avais 20 ans. Je viens de la classe moyenne aisée, je vivais bien, je n’avais pas de problèmes politiques. Je suis allé dans une bonne université et j’aurais pu rester là-bas et devenir un ingénieur de merde. Mais j’étais curieux de voir le monde. Si j’étais Français, je crois que je serais parti au Maroc pour passer du temps avec les bédouins ! Je n’ai jamais été un dissident. Je pense même que ça n’a aucun intérêt parce qu’il y a tellement de raisons de l’être.
Vous êtes plus un expatrié, alors…
Oui et c’est pour ça que je n’aime pas trop commenter ce qui se passe en Iran. Parce que je n’y vis plus. Je pourrais raconter plein de conneries. Mais moi je n’ai pas à subir la censure dont certains réalisateurs sont victimes là-bas. Pour moi, c'est important de dire la vérité dans mon travail. Mais je ne suis pas un activiste.
Qu’est-ce que vous espérez transmettre aux spectateurs avec ce film ?
J’ai envie que les gens entrent dans la salle et vivent une expérience totale. J’ai aussi envie de bouleverser l’image confortable qu’on peut avoir d’un film du Moyen-Orient. Dans tous les festivals, Cannes, Venise, Berlin, vous avez le film japonais, le film latino-américain, le film iranien… Comme si c’était à chaque fois un genre à part entière. Je ne suis pas très à l’aise avec ça.
Votre actrice, Zar Amir Ebrahimi, était une star montante en Iran lorsque sa carrière a été brisée suite à la diffusion malveillante d’une sextape sur Internet. Aujourd’hui, elle vit en France. Ce film, c’est sa revanche ?
Je parlerais davantage de justice que de revanche. C’est sa vie privée, je ne veux pas m’étendre. Mais ce qui est lui arrivé, vous vous rendez compte que dans un autre pays, ça l’aurait rendue encore plus célèbre. Comme Kim Kardashian. Mais c’est la personne la moins sulfureuse que je connaisse. C’est une actrice qui travaille dur et je crois que c’est là que la justice intervient. Après dix ans de galère, à ne décrocher que de petits rôles, elle a l’occasion de montrer qu’elle est géniale.
Imaginez si elle gagnait un prix ici à Cannes…
J’adorerais ! Je ne suis pas impartial, mais pour moi elle est parvenue à élever un personnage qui était un peu unidimensionnel sur le papier et à créer quelque chose qui m’a souvent surpris. Elle mérite une forme de récompense, en tout cas.
Mehdi Bajestani, qui joue le tueur, est lui une immense vedette en Iran. Il prend des risques avec ce film ?
Je crois que jamais un acteur n’a osé faire un truc pareil en cinquante ans. C’est insensé si vous connaissez l’Iran. Un peu comme si votre Gérard Depardieu jouait un pédophile qui abuse d’un petit garçon et réponde qu’il a fait ça pour l’art. C’est ce genre de scandale.
Sur le
même thème
même thème
Tout
TF1 Info
TF1 Info
- 1VIDÉO - "C'est un cauchemar de le voir tous les jours" : le détatouage en plein boomPublié aujourd'hui à 8h00
- 4Avec les variants BA.4 et BA.5, "une reprise épidémique est attendue" en France cet étéPublié le 24 juin 2022 à 13h01
- 5Emmanuel Macron exclut de travailler avec La France insoumise et le Rassemblement nationalPublié aujourd'hui à 8h14
- 7Un garçon de 12 ans se noie dans le Rhône, sa petite sœur sauvée par des témoinsPublié aujourd'hui à 11h21
- 9EN DIRECT - INFO TF1/LCI : l'armée française dément l'interception de canons Caesar en Ukraine par la RussiePublié le 24 juin 2022 à 6h30
- 10Afrique du Sud : les corps inanimés de 21 jeunes gens découverts dans une boîte de nuitPublié aujourd'hui à 10h15
- 1VIDÉO - "Je suis redevenue Mélanie" : les confidences de Diam's dans "Sept à Huit"Publié aujourd'hui à 20h15
- 2Pays en développement : le G7 veut investir 600 milliards de dollars pour répliquer à la ChinePublié aujourd'hui à 18h46
- 4Facture de gaz : le bouclier tarifaire prolongé jusqu'en décembrePublié aujourd'hui à 17h26
- 5VIDÉO - Ukraine : ravitaillement humanitaire à haut risque à Sloviansk, près de la ligne de frontPublié aujourd'hui à 17h10
- 6Canada : la découverte inédite d'un bébé mammouth laineux momifiéPublié aujourd'hui à 16h16
- 7Reportages découverte du 26 juin 2022 - Jeunes agriculteurs et fiers de l'êtrePublié aujourd'hui à 16h10
- 8Droit à l'IVG dans la Constitution : François Bayrou se demande si c'est "utile au pays"Publié aujourd'hui à 16h02
- 10Grands Reportages du 26 juin 2022 - Des enchères d'exceptionPublié aujourd'hui à 14h50
- 2À vendre : l’appartement de rêve où le mariage de Johnny Depp et Amber Heard s’est transformé en cauchemarPublié le 13 juin 2022 à 15h46
- 3Camille Vasquez, l’avocate de Johnny Depp, porte secours à un passager en plein volPublié le 24 juin 2022 à 15h31
- 4"Je ne pensais à rien d’autre" : Brad Pitt victime d'un escroc dans son château du sud de la FrancePublié le 23 juin 2022 à 15h18
- 5Miss France 2023 : l'actrice transgenre Andréa Furet participera à Miss Ile-de-FrancePublié le 24 juin 2022 à 11h32
- 6Face aux jeunes : Edgar Morin, le témoin du sièclePublié aujourd'hui à 13h29
- 7"Le monde est devenu fou" : Kate Bush "choquée" par le regain d'intérêt pour sa musique après "Stranger Things"Publié le 22 juin 2022 à 15h20
- 8Quels sont les départements français les plus abonnés à Netflix ?Publié le 22 juin 2022 à 17h23
- 9REVIVEZ – "Koh-Lanta : le Totem Maudit" : François et Bastien vainqueurs ex æquoPublié le 21 juin 2022 à 20h42
- 10Le cancer lui a pris sa voix : le bouleversant combat de Val Kilmer pour revenir dans "Top Gun : Maverick"Publié le 6 juin 2022 à 19h45
- InternationalLa Cour suprême révoque le droit à l'avortement, ouvrant la voie à son interdiction
- InternationalStatut de candidat de l'UE pour l'Ukraine et la Moldavie
- PolitiqueYaël Braun-Pivet
- PolitiqueAssemblée nationale : le RN présent en force avec 89 députés
- InternationalAfghanistan : un séisme fait plus d'un millier de morts