Mon Journal de Cannes, épisode 5 : tous les cinéphiles ne portent pas de costards

Jérôme Vermelin, à Cannes
Publié le 10 juillet 2021 à 11h00, mis à jour le 10 juillet 2021 à 18h39
Mon Journal de Cannes, épisode 5 : tous les cinéphiles ne portent pas de costards

BILLET D'HUMEUR – Du 6 au 17 juillet, je vous raconte, depuis la Croisette, la 74e édition du Festival de Cannes de l'intérieur, entre coups de cœur et coups de griffes. Aujourd'hui, une petite histoire d'émotion bien plus grande que toutes les polémiques.

Ça y est, c’est arrivé. Ça m’est tombé dessus sans prévenir, comme souvent, au cœur d’une après-midi ensoleillée où après avoir englouti un pan bagnat indigeste et fait une tâche de gras sur ma veste, j’étais confortablement installé mon fauteuil. Une larme, les amis. Une larme a coulé le long de ma joue. Non seulement je n’ai pas su la contenir. Mais je n’ai rien pu faire non plus pour l’empêcher de s’écraser sur mon t-shirt. Parce que le film était beau. Parce que je commençais aussi à ressentir les premiers effets de la fatigue, après quatre intenses journées sur la Croisette. Parce que je n’en avais tout simplement pas envie. 

Depuis 48 heures, j’entends sans cesse parler de cette fameuse vidéo sur laquelle des invités du Palais ne portent pas de masque. La direction du festival a été contrainte de s’expliquer – vous avez le droit d’être convaincus ou pas – et les consignes de bon sens ont été répétées aux festivaliers. Ce qui me chiffonne, au-delà du fait que cette polémique est totalement disproportionnée – 99,99 % des spectateurs des séances auxquelles j’assiste respectent les règles – c’est qu’elle renforce la caricature qu’on nous sert, année après année, au sujet du festival des festivals.

"Seigneurs" et cinéphiles

Ah, ce fameux rendez-vous des bobos, des privilégiés, des nantis, des "seigneurs" comme l’a tweeté un homme politique à la droite de la droite et au centre de lui-même ! Cannes, c’est vrai, véhicule sa propre caricature à travers son tapis rouge sur lequel parade une caste qui ignore ceux massés derrière les grilles de protection. Depuis mardi, ils sont d’ailleurs très peu à être venus leur signer des autographes, hormis Matt Damon et Jessica Chastain. Des Américains, tiens. 

J’entends les critiques, je les partage en partie. J’ai d’ailleurs toujours trouvé étranges, sinon gênantes, ces soirées privées d’après projection où l’on disserte sur une plage illuminée, en smoking, une coupe de champagne à la main, à propos du "très beau film sur les femmes africaines qui n’ont pas le droit d’avorter. Les pauvres, tu te rends compte ?".

Mais Cannes, c’est aussi – et surtout – une armée de cinéphiles invisibles, venus des quatre coins de la planète, qui font la queue pendant des heures pour obtenir un ticket et découvrir le nouveau film de leur réalisateur préféré. Ou découvrir celui d'un espoir qui, peut-être, remportera un jour la Palme d'or. Ils sont jeunes, vieux, entre les deux, et la passion qui les anime ne porte pas de costard. Elle est brute, sincère et donne lieu à d’infinies discussions animées dans les files d’attente. 

Hier, une dame démolissait tous les films que j’ai aimés jusqu’ici avec un enthousiasme qui m’a fait sourire. Je ne l’ai pas retrouvée à la sortie, j’étais encore tout chamboulé, et peut-être qu’elle était en train d’expliquer à ses amis que "cette actrice danoise est vraiment très moche" et qu’elle n’a "pas été émue du tout". Ou pas. Mais je suis ravi d’avoir vécu ma première larme de la semaine avec elle.


Jérôme Vermelin, à Cannes

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