Interview

Corinne Masiero : "Tous et toutes, on s’est retrouvés marginaux à un moment de notre vie"

Publié le 3 mai 2023 à 16h16, mis à jour le 3 mai 2023 à 16h26

Source : TF1 Info

La star de la série "Capitaine Marleau" est la vedette de "La Marginale", au cinéma ce mercredi.
Une comédie douce-amère où elle donne la réplique à Vincent Chalambert, un acteur autiste.
TF1info les a réunis pour évoquer cette collaboration qui les a profondément marqués l’un et l’autre.

C’est une rencontre aussi étonnante que bouleversante. Dans La Marginale, en salles ce mercredi, le réalisateur Franck Cimière réunit Corinne Masiero, la star de la série Capitaine Marleau, et Vincent Chalambert, un acteur autiste, membre de la troupe du Théâtre du Cristal. Elle incarne Michèle, une SDF qui squatte les couloirs de Roissy. Lui joue Théo, un jeune employé de l’aéroport qui s’est pris d’affection pour elle. Suite à un incroyable coup du destin, ils prennent la direction du Portugal à bord d’une voiturette électrique… TF1info a réuni les deux vedettes de ce road movie inédit pour un entretien croisé pas tout à fait comme les autres…

Comment s’est passée votre première rencontre ? Vincent, j’imagine que vous connaissiez "Capitaine Marleau"…

Vincent Chalambert : Oui, mes parents regardent beaucoup la série et quand j’ai dit à ma mère que j’allais faire un film avec Capitaine Marleau, elle a rigolé ! C’est vrai que tourner avec quelqu’un qui est un peu spécial, rude et cash comme Corinne Masiero, c’est un sacré défi. Il a fallu m’adapter à son jeu d’actrice, ses humeurs, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Les humeurs du personnage de Michelle sont les humeurs de Corinne et moi, je suis Théo, un garçon qui la voit comme une copine, une mère adoptive.

Corinne Masiero et Vincent Chalambert dans "La Marginale".
Corinne Masiero et Vincent Chalambert dans "La Marginale". - Sony Pictures France

Corinne, on dirait que vous lui faisiez un petit peu peur…

Corinne Masiero : Pourquoi vous dites ça ? (sourire). Il n’y a pas de quoi être impressionné, je ne suis pas Isabelle Adjani. Il faut se calmer. Je ne suis pas Madonna non plus. Je ne suis pas Capitaine Marleau non plus. Je m’appelle Corinne Masiero. C’est différent. Franck Cimière, le réalisateur, m’avait parlé de Vincent, de son parcours professionnel. Et j’étais impressionnée par les choses qu’il avait faites. Par sa vie aussi. Les handicaps dont il a pu souffrir rejoignaient les miens, même s’ils sont différents. On a subi les mêmes regards hostiles, les mêmes moqueries, les mêmes mépris. Après, quand on est sur le plateau, ce n’est pas de la psychothérapie filmée. Pas du tout. Vincent, c’est un acteur professionnel très doué. Et j’ai dû m’adapter à son niveau de jeu qui était quand même très élevé. Parce qu’intellectuellement, il est beaucoup plus balèze que moi !

Ces personnages ne sont pas des marginaux. Ils ont été marginalisés par les autres
Corinne Masiero

Les préjugés dont votre personnage est victime, ça ressemble à ceux dont vous avez souffert dans la vraie vie ? 

Vincent Chalambert : Il y a un peu de vrai, oui. Moi aussi, je suis un handicapé de la vie. J’ai grandi avec mes parents, mais je n’ai pas eu une enfance pas très facile. Les enfants se moquaient, ils avaient peur de moi. Aujourd’hui, je fais partie d’une troupe pour les personnes handicapées grâce à laquelle Franck Cimière m’a repéré. Et je me retrouve un peu malgré moi dans ce monde du cinéma. Je fréquente Corinne Masiero. Je joue dans un film où une fille en petite tenue essaie de m’embrasser ! Je vis une aventure alors que je suis un peu un marginal, moi aussi.

Corinne Masiero : Tu ne crois pas qu’on est tous des marginaux ?

Vincent : Oui, c’est vrai.

Corinne : Ça raconte ça aussi, le film de Franck. Toutes et tous, on s’est retrouvés marginaux à un moment de notre vie. L’humiliation, le mépris, la souffrance, la solitude… Ce sont des instants qu’on a tous vécus. Le fait de se sentir "en dehors". D’un groupe, de la société. Et c'est ça qui est fort dans le film. Ces personnages ne sont pas des marginaux. Ils ont été marginalisés par les autres. Et c’est un sentiment universel qui est bien retranscrit. En regardant La Marginale, on est touché même si on n’a jamais vécu dans la rue. Même si on n’a pas de handicap physique ou psychique. Et tout ça avec de l’humour parce qu’on se marre quand même pas mal !

Vincent Chalambert appartient au Théâtre du Cristal, une troupe qui accueille des personnes en situation de handicap.
Vincent Chalambert appartient au Théâtre du Cristal, une troupe qui accueille des personnes en situation de handicap. - Sony Pictures France

Corinne, vous avez connu la rue, vous l’avez raconté par le passé. Tourner ce film a-t-il remué des choses ? Vous en êtes-vous servi ? 

Corinne Masiero : Je ne sais pas si on fait appel à des choses. Sans doute pour des façons de se tenir, des gestes. Après, encore une fois, le cinéma ou le théâtre, ce n’est pas le lieu d’une thérapie. Je trouverais même ça indécent, à moins de tourner un documentaire. Parler de choses qui ont été douloureuses jadis, ce n’est jamais rigolo. Ça remue, oui. Mais ça renforce l’envie de vivre et de partager ça pour en faire bénéficier un maximum de gens. Pour dire : "regardez !". Les accidents, ça peut arriver à tout le monde. N’importe qui ici dans la pièce peut se retrouver du jour au lendemain dehors à demander un truc à becqueter ou whatever… Ça peut arriver à n’importe qui. Et si le film, grâce à son humour, permet de changer le regard sur les gens dans cette situation, alors tant mieux.

Si je n’avais pas fait ce métier, je ne serais pas là à répondre à votre interview aujourd’hui
Corinne Masiero

Faire ce métier d’acteur, ça vous a sauvé la vie tous les deux ? 

Vincent Chalambert : Être comédien professionnel m’a un peu sauvé la vie, oui. Moi et mes collègues de la compagnie. Avant de faire du cinéma, je jouais dans des cabarets, je participais à des visites de musées avec mes collègues, tous un peu spéciaux. J’en ai un qui est mal voyant, un autre qui est un peu entre l’homme et la femme…

Corinne : Mais tu ne crois pas qu’on est tous un peu spéciaux ? 

Vincent :  Je crois que oui. 

Corinne  : Et si tu n’avais pas fait comédien, tu aurais fait quoi ? 

Vincent : Vendeur.

Corinne : Vendeur ? Et tu crois que tu te serais autant fendu la gueule ?

Vincent : Ben… Je ne sais pas.

Corinne : Mais si tu avais le choix, tu préférerais rester acteur ou devenir vendeur ? 

Vincent : Rester acteur !

Corinne : Pourquoi ? 

Vincent : Parce que j’aime bien jouer et être quelqu’un d’autre.

Corinne : Être quelqu’un d’autre… C’est pas merveilleux ça !

Et vous, Corinne, jouer la comédie vous a sauvé la vie ? 

Corinne Masiero : Sauver la vie, oui, parce que le moment où c’est arrivé, j’étais au bout du tunnel… et il était bouché. Le jour où j’ai mis les pieds sur un plateau de théâtre, j’ai enfin eu le droit d’exister telle que j’étais. De parler comme je parlais sans entrer dans des normes en tant que marginale. Et en plus, on me le demandait. Et quand on découvre ça alors que ça fait un moment qu’on a l’impression de ne pas avoir le droit d’exister, ça sauve la vie. Si je n’avais pas fait ce métier, je ne serais pas là à répondre à votre interview aujourd’hui. C’est certain.

Corinne, il faut inviter Vincent à jouer dans un prochain épisode de Capitaine Marleau, non ? 

Corinne Masiero : Ah mais ce n’est pas moi qui m’occupe du casting ! La créatrice de Capitaine Marleau, c’est Josée Dayan. Mais je serais ravie, oui. Toi aussi Vincent ? 

Vincent : Ce serait sympa ! (rires)

Corinne : Moi, j'aimerais bien retourner avec toi.

Vincent : Oui, je comprends, moi aussi ! (rires)

>> La Marginale de Franck Cimière. Avec Corinne Masiero, Vincent Chalambert, Karina Marimon. 1h37. En salles.


Jérôme VERMELIN

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