INTERVIEW – Cinq ans après le coup d'essai réussi "Apnée", Jean-Christophe Meurisse revient en force avec le jubilatoire "Oranges Sanguines", en salles ce mercredi. De sa passion pour les faits divers sanglants à son regard sur classe politique, le metteur en scène s’est confié à LCI.
C’est le film le plus méchamment drôle de l’année. Avec Oranges Sanguines, son deuxième long-métrage en salles ce mercredi 17 novembre, Jean-Christophe Meurisse orchestre un jeu de massacre réjouissant où personnes n’est épargné, des politiques aux prédateurs sexuels en passant par les banques qui acculent leurs clients au suicide. Fondateur de la troupe Les Chiens de Navarre, ce metteur en scène de 46 ans décortique les névroses de notre époque avec un mélange de colère et d’humour plutôt rare par les temps qui courent. Il s'est confié à LCI.
Oranges Sanguines, c’est plus qu’une comédie ?
Quand j’écris, quand je tourne et quand je monte Oranges Sanguines, ça ne m’intéresse pas d’entrer dans une éventuelle classification. J’ai l’impression que c’est un film qui a plusieurs tons, plusieurs genres, plusieurs registres, plusieurs personnages, plusieurs facettes… Parce que c’est ça que je veux vivre quand je fais un film : être pris par plusieurs émotions, avoir envie de rire, pleurer, désirer, avoir peur, aussi. Ma réponse sous-entend une forme de combat contre le cinéma qui pourrait devenir une industrie qui voudrait rassurer les gens sur le produit qu’ils vont voir. Or avec ce film, il n’est pas du tout question de rassurer le spectateur. Je ne tiens à rassurer personne sur le fait que ce film est dérangeant, qu’il provoque, comme moi je suis provoqué par plein de choses qui m’indignent dans le monde.
Le point de départ, c’est un fait divers bien précis…
C’est un fait divers qui s’est passé en 2015 aux États-Unis : une toute jeune fille de 16 ans s’est vengée d’un violeur récidiviste en lui faisant bouffer ses testicules. Mais elle y avait mis une forme d’élégance en mettant les testicules au micro-ondes pour les ramollir ! Je me suis tout de suite dit ‘Tiens, ça, c'est une image pour le cinéma’. Ce qui m’intéressait aussi, c’était la portée politique et puissante de ce fait divers. Aujourd’hui dans un combat légitime contre la domination masculine, n’est-ce pas une des meilleures réponses de dire qu’une femme peut être encore plus barbare que les hommes ? Pour mettre ces derniers en garde !
À partir de ces deux personnages, vous avez imaginé tous ceux qui allaient graviter autour ?
Oui, il y avait aussi, dans les années 2010, cette vague de suicides chez des seniors ensevelis sous des crédits revolving. Au lieu de donner leur maison aux créanciers, ils s’y donnaient la mort. Il y en a eu pas mal en Espagne, en Italie, en France aussi. Ça m’intéressait de mettre ce drame en parallèle avec la fraude d’un homme de pouvoir. Et ça, ça arrive tous les jours encore.
Je parle avant tout de monstres
Jean-Christophe Meurisse
Justement, la classe politique en prend pour son grade dans le film. Votre ministre de l’Économie est-il librement inspiré de responsables existants ?
Oui, même si je ne tenais pas à faire un film politique au sens militant. Je parle avant tout de monstres. Et cet homme politique est un monstre. Il fraude, il ment, il baise à tout-va... Attention, Oranges Sanguines n’est pas non plus un film social. Je le vois plus comme un western spaghetti dans notre monde contemporain : un méchant rencontre un autre méchant qui rencontre un encore plus méchant qui lui-même va tomber sur le plus méchant des méchants ! Il y a un donc un côté ludique et western. Néanmoins, ce ministre incarne sans doute les pires hommes politiques qu’on a connus. C’est comme un puzzle.
Dans une scène qui rappelle furieusement l’émission "Une ambition intime", votre ministre joue clairement la comédie. Pour vous, les politiques sont des acteurs comme les autres ?
Je crois que c’est vieux comme le monde. Reagan était acteur avant de devenir président ! Ça fait partie de ce métier, dans le sens où il faut convaincre. Mais de temps en temps, je trouve ça assez cynique. Cette scène dont vous parlez est clairement inspirée de l’émission présentée par Karine Le Marchand. Ce n’est même pas une parodie, c’est une reconstitution ! Elle fait beaucoup rire les spectateurs. Mais c’est aussi une manière de dire qu’à un moment, il faudrait arrêter la mise en scène de la mise en scène de la mise en scène pour avoir un parler vrai. De manière plus ou moins consciente, c’est de ma part un appel à un peu plus de vérité dans la communication politique.
"J’aime bien qu’il y ait une part d’improvisation"
Au théâtre comme au cinéma, votre travail est basé sur la part d’improvisation, plus ou moins importante, que vous laissez aux acteurs. Quelle est votre méthode ?
Il n’y a pas de règles. C’est ça la méthode. Il y a des situations où c’est très dialogué. D’autres où ça l’est moins et d’autres pas du tout. Mais j’aime bien qu’il y ait une part d’improvisation parce que j’ai besoin d’être surpris. Si je suis surpris, le spectateur pourra être surpris. Et puis j’aime la nature de jeu que ça offre. Ça met les acteurs dans un naturalisme, dans une justesse, mais aussi dans une profusion parce qu’il y a plein de choses à jouer. Quelques fois, je donne beaucoup de liberté, quelques fois moins. Ce qui est certain, c’est que je cherche à capter le vivant. En tout cas mon vivant à moi, parce que c’est une notion subjective à chaque metteur en scène. J’aime beaucoup Cassavetes, Pialat, Kechiche parce qu’ils donnent beaucoup de liberté aux comédiens pour arriver à un jeu très naturaliste. Mais l’impro n’est pas obligatoire.
On parle beaucoup de la cancel culture, ces temps-ci, et des limites qu’il pourrait y avoir à l’humour, notamment. Est-ce que ça vous inquiète ?
Avec Les Chiens de Navarre, la troupe que j’ai créée en 2005, nous sommes un peu considérés, avec beaucoup de modestie, comme les Charlie Hebdo du théâtre. Mon travail est assez assimilé à une liberté de ton à laquelle je tiens. Donc je ne crois à aucune forme de censure. Je crois à la puissance intellectuelle et sauvage du rire. Le rire est le propre de l’homme, même si j’entends dire qu’il y a des animaux qui se marrent aussi entre eux. Mais je tiens effectivement à rire du pire. Parce qu’il faut rire du pire pour pouvoir se sauver. Il n’est donc pas question de censure. Par contre, tout ça peut être fait en bonne intelligence. Pour éviter tout jugement, toute condamnation, il faut que personne ne soit sauvé dans les situations que l’on montre. Il ne faut pas être distant et dire : "regardez, je me moque !". C’est pour ça que mon travail avec Les Chiens de Navarre a toujours été accepté jusqu’ici. Parce que les gens comprennent que personne n’est sauvé par ce que je raconte, surtout moi ! Je ne montre pas les maladresses, les incohérences, les monstruosités de l’humanité. Je montre nos maladresses, nos incohérences, nos monstruosités. S’il y a "nos", alors le rire peut se faire dans une grande catharsis et dans une grande entente.
>> Oranges Sanguines de Jean-Christophe Meurisse. Avec Christophe Paou, Alexandre Steiger, Lilith Grasmug. En salles mercredi.
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