L'acteur belge Aboubakr Bensaihi, 26 ans, tient le premier rôle du nouveau film du duo Adil et Bilall.Il y incarne Kamal, originaire comme lui de Molenbeek, un jeune homme qui part en Syrie où il se retrouve embarqué dans les rangs de l’État islamique."Ça ne m'intéresse pas de jouer un terroriste pour jouer un terroriste", insiste-t-il, louant la poésie qui habite ce long-métrage puissant, en salle ce mercredi.
Le souvenir est inoubliable. "C’était fou", nous dit-il de son tout premier Festival de Cannes. L’adjectif reviendra à plusieurs reprises pour décrire l’expérience qu’a été Rebel. En mai dernier, Aboubakr Bensaihi montait pour la première fois les célèbres marches pour présenter hors compétition ce film coup de poing dont il est la tête d’affiche. Devant la caméra d’Adil et Bilall, l’acteur belge de 26 ans incarne un jeune Belge qui part en Syrie pour venir en aide aux victimes de la guerre avant de se retrouver enrôlé par Daech. Un rôle complexe pour un sujet qui l’est tout autant.
J'ai d’abord dit non parce que ça aurait pu vite se retourner contre moi
Aboubakr Bensaihi
"Ça ne m'intéresse pas de jouer un terroriste pour jouer un terroriste. J'ai eu des propositions avant mais je ne l'ai jamais senti. Je connais le thème, on connaît des gens qui ont eu affaire à ce genre d'histoires", nous explique Aboubakr Bensaihi. Comme Kamal Wasaki, son personnage, lui aussi est originaire de Molenbeek. La commune bruxelloise, où a été arrêté Salah Abdeslam, est devenue le symbole du radicalisme. Quand on lui demande s’il a eu peur d’accepter de rejoindre la distribution de Rebel, sa réponse est cash. "Bien sûr. J'ai d’abord dit non parce que ça aurait pu vite se retourner contre moi. C'est un sujet très sensible que tout le monde ne comprend pas. J’étais très réticent", nous dit-il.
Sur son CV, des apparitions dans le soap flamand Thuis, dans la série Women of the night et surtout une première expérience au cinéma dans Black en 2015. Un film fort signé Adil et Bilall, encore une fois, qui y livrent leur version de Roméo et Juliette en plein Bruxelles. "Un an après, ils m’ont dit qu’ils avaient un film. J’ai attendu, attendu. Je pensais que ça ne se ferait jamais jusqu’à ce que je reçoive le premier scénario", se souvient Aboubakr Bensaihi. Le duo de réalisateurs belgo-marocain a mis près de dix ans à façonner le récit de Rebel, le temps de prendre suffisamment de recul et de trouver le bon angle d’attaque. Ou comment donner vie à un film hybride mêlant"document historique" et "tragédie musicale".
Adil et Bilall ont construit des scènes que j’ai vues dans les documentaires après coup
Aboubakr Bensaihi
"Quand ils m’ont dit qu’ils allaient rajouter des chansons, ça a fait pencher la balance. Je me suis dit : 'OK, pourquoi pas ?' Parce que là, avec la musique, on allait pouvoir expliquer certaines choses qu'on n’aurait pas pu expliquer par les mots", ajoute l’acteur qui a composé les morceaux rappés de Kamal. "C'est incroyable, je pouvais écrire ce que je voulais et toutes mes premières versions étaient gardées. J'étais super content. J'adore écrire, j'adore rapper. C'est ma plus grande passion après le cinéma", sourit celui qui a sorti plusieurs titres sous le nom de Bakr. Il loue le travail collaboratif avec Adil et Bilall dont les méthodes "n’ont pas changé" malgré leur passage à Hollywood (Bad boys for life, Miss Marvel et le défunt Batgirl).
"Ça fait presqu’une décennie qu’on se connaît. Ils me laissent carte blanche assez souvent. Ils aiment bien que je rajoute mes idées, que je change certains dialogues. Quand ils viennent me donner des conseils, ils me parlent comme un grand frère à son petit frère. Et ça, c'est un truc que j'adore", lâche-t-il. C’est seul qu’il a appréhendé le rôle de Kamal, s’appuyant sur des documentaires, des vidéos de propagande de Daech mais aussi des discussions qu’il a eues "avec des gens sur qui l’histoire est un peu basée". Tout dans Rebel transpire le pouvoir de l’image, celui qui peut faire basculer un individu ou l’induire en erreur. "Le plus fou, c’est qu’Adil et Bilall ont construit des scènes que j’ai vues dans les documentaires après coup", s’enthousiasme leur comédien.
Je me suis cassé le nez. Je me suis fait mal à l’épaule, j’ai perdu dix kilos
Aboubakr Bensaihi
Le film raconte l'histoire de Kamal, qui se décide à partir en Syrie après avoir vu un reportage sur le massacre de Ghouta, provoqué par des armes chimiques. Une fois sur place, le rappeur de Molenbeek devient Al-Belgiki et se mue malgré lui en outil de propagande en devenant le vidéaste officiel du groupe terroriste. Au même moment à Bruxelles, son frère de 13 ans se retrouve à son tour dans le viseur des recruteurs du djihad. "Pour se dédouaner, pour ne pas avoir de sang sur les mains, Kamal va demander à ne pas prendre les armes mais plutôt une caméra. À partir de là, il comprend qu’il n’y a plus de retour possible en arrière", analyse son interprète qui provoque des sentiments contradictoires au fur et à mesure qu'avance l'histoire.
Kamal est-il un bourreau ou bien une victime ? "Je pense que c’est un petit mélange des deux. Il commence par être un bourreau en voulant y aller et sur place, il devient une victime. C'est une question difficile. Je pense que le public se fera son propre avis", estime Aboubakr Bensaihi. Sur le tournage, il reconnaît "avoir trop donné". "Je me suis cassé le nez. Je me suis fait mal à l’épaule, j’ai perdu dix kilos. Je me fais taper dans toutes les scènes", détaille-t-il. Rebel a été filmé en Belgique, au Luxembourg et en Jordanie où l’équipe est restée un mois. "Un mois de tournage six jours sur sept" précisément.
On n'est pas là pour dénigrer notre religion. On veut montrer ce sujet du point de vue de quelqu'un qui l'a vécu
Aboubakr Bensaihi
"C'était dur, il faisait chaud, les journées étaient longues. C'était très physique. Mais je pense que le plus difficile, ça a été le côté psychologique. Quand je suis rentré à la maison où tout était calme après un mois où ça explosait de partout, ça a été assez compliqué", confesse-t-il. Le spectateur aura besoin du même sas de décompression tant l’expérience offerte par Rebel est intense. Il faut avoir du cran pour réaliser et jouer dans ce film qui plonge dans les coulisses de Daech à travers le parcours d’un jeune homme qui ne s’attendait pas à ça en arrivant en Syrie.
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"Il faut parfois montrer certaines vérités. On espère que les gens ne garderont que le positif du film, à savoir qu'on n'est pas là pour dénigrer notre religion. Ce n'est pas du tout notre but. On veut montrer ce sujet du point de vue de quelqu'un qui l'a vécu", insiste Aboubakr Bensaihi. Nommé aux Magritte, les César belges, pour Black, le jeune homme de 26 ans pourrait bien faire à nouveau trembler la cérémonie avec ce rôle hors-norme. Il n’a déjà qu’une envie : collaborer à nouveau avec ces réalisateurs fétiches. "Chaque grand réal’ a toujours son acteur. Ce serait énorme qu’avec Adil et Bilall on fasse un film ensemble tous les six-sept ans. Ce serait fou !", lâche-t-il dans un grand sourire que vous ne verrez que très rarement dans Rebel. Le rendez-vous est pris.