Interview

VIDÉO - "J'ai toujours rêvé d'être un réalisateur français" : Woody Allen de retour avec "Rifkin's Festival"

Propos recueillis par Jérôme Vermelin
Publié le 13 juillet 2022 à 10h25, mis à jour le 13 juillet 2022 à 10h30

Source : Sujet TF1 Info

"Rifkin's Festival", son nouveau film, sort ce mercredi au cinéma dans toute la France.
C'est depuis son appartement à Manhattan qu'il a accepté de répondre aux questions de TF1info.
Un entretien où il évoque ses projets, dont un prochain tournage à Paris, mais aussi sa vie de famille.

Il n’a pas encore dit son dernier mot. Trois ans après Un jour de pluie à New York, Woody Allen est de retour sur les écrans français avec Rifkin’s Festival. Tourné à l’été 2019, en Espagne, cette comédie est longtemps restée invisible, en partie à cause de la pandémie de Covid. Une période au cours de laquelle le cinéaste aujourd'hui âge de 86 ans a peaufiné le scénario d’un nouveau long-métrage, qu’il entend tourner à l’automne à Paris.

C’est via zoom, depuis son appartement à Manhattan, que ce monstre sacré du cinéma américain a répondu à nos questions. Avec malice et bonne humeur, il n’élude aucun sujet, sauf lorsqu’on aborde les accusations d’agression sexuelle de sa fille adoptive Dylan. Elles ont fait l’objet d’un documentaire sulfureux, diffusé l’an dernier sur HBO. Et comme dans sa récente biographie, Soit dit en passant, il les a toujours niées en bloc. 

Au soir de son incroyable carrière, il nous a parlé de sa vie durant la pandémie, de ses projets, de son épouse Soon-Yi, à laquelle il sera bientôt marié depuis 25 ans, ainsi que de leurs deux filles, Manzie et Bechet. Il nous a également livré son sentiment sur la situation politique de son pays et la décision de la Cour Suprême d'invalider l’arrêt Roe vs Wade, qui garantissait le droit à l’avortement…

Comment allez-vous Woody Allen ?

Je vais bien, merci ! Je suis relax, je me détends à la maison.

À quoi ressemble votre quotidien à Manhattan en ce moment ? Vous écrivez tous les jours ? Vous jouez de la clarinette tous les jours aussi ? 

Je fais les deux tous les jours, oui ! Vous savez lorsque la pandémie a commencé, je préparais un nouveau film et ça a changé tous mes plans. Depuis, j’ai beaucoup écrit. Et ça fait très peu de temps que je sors à nouveau et que je réfléchis à faire un autre film.

Vous devez avoir 10 scénarios prêts à tourner dans vos tiroirs, alors ? 

Non, juste un ! Mais j’ai aussi une pièce de théâtre qui est prête et je viens de sortir un livre qui s’intitule Zero Gravity, qui est basé sur des petits textes amusants comme j’ai pu le faire par le passé. 

Comment se fait-il que vous n’ayez pas attrapé le Covid ?

J’ai fait beaucoup trop attention ! Je suis resté à la maison tout le temps. Quand j’allais faire une promenade, je contournais les gens dans la rue. J’ai fait mon vaccin, puis mes rappels. Mais je crois que c’est inévitable que je l’attrape. J’attrape toutes les saloperies qui circulent alors je l’aurai un jour. Ma femme aussi y a échappé, juste en faisant attention.

Si rien ne vient se mettre en travers de mes plans, je commencerai à tourner à Paris au début du mois d’octobre
Woody Allen

Dans Rifkin’s Festival, le personnage de Mort est quasi hypocondriaque, il s’écoute beaucoup en tout cas. Vous êtes comme ça aussi ? 

Je le comprends très bien ! Si vous réfléchissez un peu, nous sommes vulnérables à un million de petites choses. On ne nous parle que de quelques-unes. Mais il y a des millions d’ennemis exotiques qui circulent tout autour de nous. Ce sont autant de menaces auxquelles nous ne pensons pas. On avance dans la vie sans réfléchir… Mais moi j’y pense ! Et ça m’apporte beaucoup d’anxiété.

Ce film a été tourné à l’été 2019. Vu tout ce qui s’est passé dans le monde depuis, avez-vous l’impression que c’était il y a une éternité ?

2019, oui ça me paraît très loin. Nous avons tourné à Saint-Sébastien, en Espagne, et je pensais enchaîner avec un film à Paris. Et puis le Covid est arrivé. On nous disait qu’il faudrait patienter quelques mois, puis encore quelques mois. Le virus partait puis il revenait… 

Où en est aujourd’hui ce projet de film à Paris ?

Je ne peux pas vous dire grand-chose sinon que c’est dans la même veine que Match Point, c’est ce genre de film. Je l’ai écrit avec Paris en tête. Si rien ne vient se mettre en travers de mes plans, je commencerai à tourner au début du mois d’octobre. Là nous sommes en train de chercher des acteurs et des actrices.

Ce sera en langue française ?

Je pense que oui. Ce sera drôle parce que j’ai toujours eu envie d’être un réalisateur français. Mais je ne parle que quelques mots de français. Mon français est presque "non existant". Et ce sera intéressant de voir si j’arrive à mener à bien ce projet avec succès.

Gina Gershon et Wallace Shawn dans "Rifkin's Festival"
Gina Gershon et Wallace Shawn dans "Rifkin's Festival" - APOLLO FILMS

Comment se fait-il que vous ne vous donniez plus de rôle dans vos films ? Dans Rifkin’s Festival, le personnage de Mort aurait été parfait pour vous, non ? 

C’est une bonne question ! Je ne me donne plus de rôle dans mes films parce que je ne peux plus jouer le héros romantique. Vous voyez ce que je veux dire ? J’ai 86 ans, c’est trop tard pour moi. Ça devient dur de me trouver quelque chose à jouer mais je serais ravi de jouer encore dans l’un de mes films. Dans Rifkin’s Festival, je n’y ai jamais songé. J’avais d’ailleurs écrit le rôle de Mort pour quelqu’un de plus jeune. Mais je ne trouvais personne et quelqu’un m’a suggéré de faire appel à Wallace Shawn et j’ai réalisé qu’il serait parfait. C’est un intellectuel, je pouvais réécrire pour que le personnage soit un peu plus âgé. Mais je n’ai jamais pensé le faire moi-même. Si on me l’avait proposé, j’en aurais été capable. Mais pas aussi bien que Wally. Il est bien plus profond, bien plus expérimenté que moi. 

Dans Rifkin’s Festival, Mort fait des rêves et des cauchemars qui ressemblent à des classiques du cinéma. C’est du vécu ?

Eh bien, je ne fais pas trop de rêves, des cauchemars à l’occasion. Mais rien à voir avec un film de Fellini, de Bergman ou de Truffaut. Les miens sont affreux. Le personnage de Mort Rifkin est tellement obsédé par l’art, le cinéma, la disparition d’un certain milieu culturel, qu’il fantasme en dormant, mais le plus souvent en plein jour. Ce sont des œuvres qui ont eu leur importance, chez vous en France comme aux États-Unis. Ils appartiennent désormais au passé mais lui continue à s’y accrocher.

Tous les jours il y a des salles de cinéma qui ferment. De plus en plus de films arrivent directement sur un écran de télévision, en streaming, etc.
Woody Allen

Partagez-vous cette nostalgie des grands maîtres du Septième art ? Ou bien êtes-vous heureux dans le monde tel qu’il est aujourd’hui ?

Oui, je la partage. Quand j’étais jeune homme, les cinéastes que je viens de citer ont eu une grande influence, pas seulement sur moi mais sur tout le cinéma. Ici à New York, il n’y avait pas une semaine qui passait sans qu’on découvre un nouveau Truffaut, un nouveau Godard, un nouveau Resnais… Je pourrais également citer Antonioni, De Sica. Ils faisaient de grands films, des films qui avaient de l’importance, des films magnifiques. Moi et mes amis allions les voir et nous en faisions de passionnants sujets de discussion. Aujourd’hui, ça n’existe plus. Tous les jours, il y a des salles de cinéma qui ferment. De plus en plus de films arrivent directement sur un écran de télévision, en streaming, etc. Ce n’est plus la même chose. Je suis nostalgique de cette période merveilleuse de ma vie, une période qui m’a donné envie de faire du cinéma. Et Rifkin exprime cette nostalgie.

Dans le film, Louis Garrel incarne un jeune réalisateur très arrogant, qui prétend résoudre le conflit israélo-palestinien avec son prochain film. Avez-vous déjà rencontré un type dans son genre ? 

La vérité, c’est que la plupart des réalisateurs que j’ai rencontrés dans ma vie, à la télévision ou au cinéma, ont toujours été très sympathiques avec moi. Mais dans tous les festivals, il y a toujours quelqu’un – un réalisateur, un acteur, un producteur ou un scénariste – qui vous parle de son film avec un tel sérieux, une sorte de profonde confiance… Et puis lorsque vous découvrez le film, c’est vide. C’est ennuyeux, sans imagination. Mais entendre ce genre de personnage vous parler de son travail de manière tellement solennelle, j’ai toujours trouvé ça très drôle !

Louis Garrel et Woody Allen sur le tournage de "Rifkin's Festival", en 2019
Louis Garrel et Woody Allen sur le tournage de "Rifkin's Festival", en 2019

Avec votre épouse Soon-Yi, vous avez adopté deux filles, Manzie et Bechet. Elles ont d’ailleurs travaillé avec vous sur Rifkin’s Festival, n’est-ce pas ?

C’est vrai. Mes deux filles sont diplômées désormais. Bechet travaille dans une galerie d’art à New York et Manzie travaille en ce moment à Paris... sur la série Emily in Paris ! Je crois qu’elle va faire carrière dans le cinéma, d’une manière ou d’une autre. Elle sera assistante réalisatrice, ou directrice de casting. Elle aime les films. Et je crois que je ferai encore appel à elle pour mon film à Paris.

Vous l’imaginez réalisatrice dans le futur ?

Je ne crois pas qu’elle veuille devenir réalisatrice. C’est une personne plutôt relax, à l’écart. Elle sera plus à l’aise avec un job où elle n’a pas toutes les responsabilités, tous les maux de tête que je dois affronter. L’anxiété, la pression, tous les problèmes… C’est mieux si elle ne s’impose pas tout ça.

À Noël, Soon-Yi et moi fêterons nos 25 ans de mariage. Ce sont les meilleures années de ma vie
Woody Allen

Si aujourd’hui vous pouvez encore vous concentrer sur l’écriture et la réalisation, jouer de la musique aussi, c’est parce que Soon-Yi gère tout à la maison ? C’est elle la patronne, non ?

Oui, c’est vrai. Soon-Yi gère tout à la maison. Elle gère nos vies et elle est hyper efficace. Elle est très douée dans ce domaine et moi pas du tout. Alors ça fonctionne parfaitement ! 

Soon-Yi, c’est la femme de votre vie ?

Oui et j’ai beaucoup de chance. À Noël, Soon-Yi et moi fêterons nos 25 ans de mariage. Ce sont les meilleures années de ma vie. C’était pourtant une union très improbable. Si vous m’aviez dit il y a très longtemps que je serais marié à une femme beaucoup plus jeune que moi, une femme qui venait de Corée, je vous aurais dit : 'Vous êtes fou !'". Les femmes avec lesquelles je sortais pendant longtemps étaient des actrices de New York ou de Los Angeles. Au final cette chose improbable est arrivée et nous sommes mariés et heureux depuis un quart de siècle !

Woody Allen et son épouse Soon-Yi à Cannes, en 2016, pour la présentation de "Café Society"
Woody Allen et son épouse Soon-Yi à Cannes, en 2016, pour la présentation de "Café Society" - AFP

Lorsque vous êtes attaqué, comme dans le documentaire de HBO l’an dernier, c’est vous qui la protégez ou elle qui vous protège ?

Mais il n’est pas question de se protéger ! Je veux dire, elle me protège si elle a l’impression que je vais avoir une crise cardiaque ! Et moi, j’ai peur pour elle lorsqu’elle fait de la gym et qu’elle prend le risque de se froisser un muscle. Mais ça ne va pas plus loin !

Il y a deux ans, vous avez publié votre biographie, Soit dit en passant. Si vous pouviez rajouter un chapitre, il parlerait de quoi ? 

Si je pouvais rajouter quelque chose, je crois que je reviendrais sur des passages de ma vie que j’ai laissés de côté. Vous savez, je suis dans le showbusiness depuis plus de 50 ans, et j’ai vécu plein d’expériences dans le cabaret, la radio, la télévision, ou sur scène en jouant du jazz. Je ne pouvais pas tout inclure. Mais tout ce qu’il y avait d’important à dire, je l’ai écrit dans ce livre, d’une manière amusante, pour que le lecteur ne s’ennuie pas, tout en étant très scrupuleux sur les détails. Si je rajoutais des choses, ce serait pour le fun !

Je me lève le matin, je me mets au boulot et je n’arrête pas. Certains trouvent que c’est une façon de vivre très ennuyeuse
Woody Allen

Pour ma génération, vous avez longtemps été une référence. Mais aujourd’hui, vous êtes beaucoup plus clivant. Certains vous haïssent à cause des accusations de votre fille adoptive Dylan et ne veulent pas entendre votre version des faits. Comment le vivez-vous ? 

Personne n’aime être haï. Cependant vous ne pouvez rien y faire. Il en va des films comme des individus et je crois que c’est inévitable lorsque vous êtes un personnage public. Mais pour être honnête, je préférerais toujours être aimé que détesté.

Est-ce qu’il est devenu plus difficile pour vous de tourner un nouveau film désormais à cause de cette affaire ? 

Non. Ça a toujours été difficile et ça l’est tout autant aujourd’hui. Et là je compte d’ailleurs bien faire ce film à Paris dont je vous parlais tout à l’heure.

Donc rien ne peut vous arrêter ? 

Oh, je ne dirais pas ça. Je peux toujours me faire renverser par un bus demain ! Vous savez, je suis quelqu’un qui travaille tout le temps, je ne suis pas le genre de personne qui va dans les fêtes. Je ne socialise pas. Je me lève le matin, je me mets au boulot et je n’arrête pas. Certains trouvent que c’est une façon de vivre très ennuyeuse. C’est certainement très petit bourgeois et pas franchement excitant. Mais c’est pour ça que j’étais heureux durant la pandémie : parce que je pouvais écrire tout le temps.

Tant que ce pays n’aura pas retrouvé un parti républicain plus modéré et humain, nous n’allons plus avancer
Woody Allen

Vous avez longtemps été le symbole d’une certaine Amérique progressiste. Quand vous voyez l’évolution politique de votre pays, êtes-vous inquiet ?

J’ai honte ! J’ai l’impression que les États-Unis traversent une période très sombre parce que l’un des deux partis politiques sur lesquels l’équilibre de ce pays était fondé, le parti républicain, a dégénéré au point de devenir un mouvement plus dangereux pour la démocratie que certains pays avec lesquels nous avons été en guerre comme le Vietnam ! Tant que ce pays n’aura pas retrouvé un parti républicain plus modéré et humain, nous n’allons plus avancer.

Vous avez l’impression que le pays s’auto-détruit ?

Je ne pense pas qu’il s’auto-détruit. Je pense juste qu’il y a une partie du pays qui doit davantage coopérer avec l’autre partie du pays. Pour moi, c’est une minorité antagoniste qui doit se rapprocher de la majorité du pays. Il y aura toujours des conflits, bien sûr. D’ailleurs, c’est compliqué d’avoir une démocratie quand vous avez 50 États aussi différents répartis sur une telle superficie. C’est difficile d’avancer ensemble mais c’est une question de décence. Quand ça échoue, comme en ce moment, c’est très difficile de faire fonctionner cette démocratie. J’espère que les gens vont s’en rendre compte dans les années à venir.

Quel regard portez-vous sur la décision de la Cour Suprême vis-à-vis de l’avortement ?

Je pense qu’il est obligatoire que l’avortement soit le choix de la femme. Ça doit être automatique. La décision de la Cour Suprême est donc une erreur catastrophique.

Comment se fait-il que vous n’ayez jamais tenté de devenir maire de New York ? 

(Rires) Parce que je tiens à ma vie ! Je serais le pire candidat, le pire maire. Je suis apolitique en fait. La seule chose que je connais à la politique, c’est ce que je lis dans le journal et que je vois aux infos à la télé. Je porte les mêmes jugements ignorants que tout le monde, basés sur la désinformation, les rumeurs, des connaissances que je n’ai pas sur le fonctionnement des choses. Je suis aussi imbécile que les autres.

>> Rifkin's Festival de Woody Allen. Avec Wallace Shawn, Gina Gershon, Louis Garrel.  1h32. En salles le 13 juillet


Propos recueillis par Jérôme Vermelin

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