Le réalisateur américain adapte l’autobiographie de Bob Zellner, petit-fils d’un membre du Ku Klux Klan qui va se battre pour les droits civiques dans l’Amérique ségréguée des années 60.Nous l'avons rencontré lors de sa venue à Paris, à une semaine de la sortie du film, programmée le 16 mars au cinéma.
Il se dit "honoré" de l'accueil que réserve la France à son film. Distingué lors de l'Artisan Film Festival en marge du dernier Festival de Cannes, Un fils du Sud a été présenté au Festival du cinéma américain de Deauville dans la foulée avant de recevoir le prix du public du Festival international du film de fiction historique en Haute-Garonne.
Barry Alexander Brown part à la conquête du public français dans son ensemble dès le 16 mars avec la sortie au cinéma de ce biopic militant qui plonge le spectateur dans l'Amérique ségréguée des années 60. Il raconte l'histoire vraie de Bob Zellner, un étudiant blanc de l'Alabama élevé dans la haine de l'autre, mais deviendra l'une des figures de la lutte pour les droits civiques. Un projet très personnel pour le cinéaste, nommé à l'Oscar du meilleur montage pour BlacKkKlansman, de Spike Lee, qui a grandi dans la région. Rencontre.
Bob Zellner nous a dit qu’il ne se sentait "pas digne" de voir sa vie racontée dans un film parce qu’il "n’était pas aussi important ou héroïque que beaucoup d'autres personnes dans son histoire". Pourquoi avoir choisi de raconter la sienne ?
(Il sourit). Je pense qu’aucun d’eux ne se voyait probablement comme un vrai héros. C’était toujours l’autre. Pour Bob, c’était sans doute John Lewis, le révérend King, Rosa Parks, Stokely Carmichael ou Ella Baker. Mais je suis désolé, Bob est un vrai héros. Il a risqué sa vie autant qu’eux. Il n’est pas venu quelques semaines ou quelques mois dans le Sud profond. Il y est né. Quand il a rejoint le mouvement des droits civiques, il n'est pas parti. Il est allé en prison dix-sept fois. On a voulu le tuer, on a vraiment voulu le pendre. Je ne l’ai pas inventé pour le film. Bob n’a jamais abandonné. J’ai pu raconter son histoire parce que je viens de Montgomery, dans l’Alabama. Je sais ce que c’est d’être blanc là-bas.
Expliquez-nous…
Dans le film, le jeune Bob, âgé de 4 ans, est sorti d’une fontaine parce qu’elle est réservée aux personnes de couleur. Ça n’est pas arrivé à Bob, mais à moi, c’est mon premier souvenir de race. On vous apprend que ces personnes ne sont pas vos égaux, qu’elles sont inférieures. Dans une autre scène, Bob, adolescent, est dans une voiture et ils frappent les Noirs avec des bâtons. Il y a un terme pour ça, que je ne vous répèterai pas. On a grandi dans une culture qui acceptait ces horreurs comme si c’était la norme.
Pendant combien de temps avez-vous façonné Un fils du Sud, dont vous signez aussi le scénario et le montage ?
Je dirais dix ans à partir du moment où j’ai écrit le script. On n’arrivait pas à rassembler de l’argent. Stan Erdreich, l’un des producteurs, a levé des fonds auprès d’investisseurs privés de l’Alabama, d’où il est aussi originaire. Il a réussi à réunir quelques millions.
Quand Spike Lee est-il arrivé dans l’aventure ?
Je travaille avec lui depuis 35, 36 ans et je le connais depuis plus longtemps encore. Quand je lui ai dit sur quoi j’écrivais, il m’a dit : "Oh non, tu écris The Great White Hope ?" (terme utilisé dans les années 1900 pour désigner les adversaires blancs qui pourraient battre le premier champion noir de boxe, Jack Johnson, ndlr). Il a lu le scénario une fois fini et m’a dit : "Ok, bon script, bonne personne sur qui faire un film". Et il a décidé de nous rejoindre en tant que producteur exécutif.
Je n’ai pas eu besoin d'expliquer à Lucas Till ce que c’était qu’être sudiste
Barry Alexander Brown
Vous avez tourné dans les lieux où tout s’est déroulé dans les années 1960. Pourquoi était-ce si important ?
C’était un cadeau. Pouvoir filmer au dépôt de bus où les Freedom Riders ont été attaqués en mai 1961, dans l’église du révérend Abernathy, devant cette porte où Rosa Parks a dit à Bob Zellner : "Ne pas choisir, c’est un choix"… C’était vraiment significatif pour moi en tant que natif de Montgomery et en tant que cinéaste. Je pense que ça rend le film plus vrai et plus puissant. J’ai dû me battre avec mes producteurs pour tourner là-bas et dieu merci, ils ont cédé !
Comment ont réagi les habitants de Montgomery lors du tournage ?
Très favorablement ! Je pense qu’ils ont aussi apprécié que je sois natif de la région. Je vis à New York depuis des dizaines d’années, mais ma mère de 96 ans est toujours à Montgomery. Au début, ils disaient : "Tu vas donner une mauvaise image de nous, pas vrai ?" La vérité, c’est que les méchants de ce film sont des sudistes. Tout comme les héros. Et la plupart d’entre eux viennent de l’Alabama. C’est une histoire de bien et de mal. Je voulais que ceux qui agissent mal soient de vraies personnes, pas des méchants en carton. Le personnage de Doc a été infirmier pendant la guerre de Corée, il a sauvé des soldats noirs des fusillades. Pourtant, quand il revient dans le Mississippi, il est prêt à pendre les mêmes personnes. C’est fou.
Pourquoi avoir choisi l’acteur Lucas Till (X-Men, MacGyver) pour interpréter Bob Zellner ?
Je voulais, dans la mesure du possible, que tous mes acteurs soient originaires du Sud. Lucas a grandi à Marietta, dans la banlieue d’Atlanta, en Géorgie. C’était super parce que de temps en temps, il improvisait avec des expressions tellement sudistes que ça me faisait beaucoup rire. Je n’ai pas eu besoin de lui expliquer ce que c’était qu’être sudiste. C’est un acteur formidable. Je l’ai vu dans un film horrible qui s’appelle Monster Cars. Mais lui est vraiment bon dedans. Ça m’a impressionné et je trouvais aussi qu’il ressemblait à Bob. La première fois que Bob est venu sur le tournage, il m’a dit en plaisantant : "Il est presque aussi beau que moi !" (rires)
Chaka Forman, lui, incarne son père, Jim Forman, leader du mouvement des droits civiques...
C’était le choix le plus évident. Chaka est un acteur, un bon acteur. Est-ce que j’ai vraiment besoin de lui dire comment jouer son père ? Non (il rit). Je me tiens à l’écart. Jim se déplaçait toujours avec un énorme enregistreur à cassettes. Il a compris que ce qui se passait, c’était de l’histoire et qu’il fallait l’enregistrer. J’ai écouté certaines de ses cassettes, il y en a des milliers. Mais personne n’a réussi à retrouver celles où il parle à Bob. Et ce n’est pas faute d’avoir cherché !
Qu’espérez-vous que le public retienne de votre film ?
J’espère que les gens seront inspirés. J’aimerais leur ouvrir un monde qu’ils ne connaissent peut-être pas. Je veux aussi que les gens voient le Sud dans lequel j’ai grandi, qu’ils le sentent et qu’ils se disent : "Ça, c’était le Sud en 1961". Maya Angelou m’a dit : "Ce que j’ai vraiment aimé dans votre scénario, c’est que les horreurs sont en nous tous. On ne peut pas dire : 'c’est eux, c’est eux'. Parfois, nous pouvons aussi être coupables". C’est pour ça que je voulais faire un film où tous les personnages sont vrais.
>> Un fils du Sud de Barry Alexander Brown, avec Lucas Till, Lucy Hale, Sharonne Lannier et Cedric The Entertainer - au cinéma le 16 mars.
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