INTERVIEW – La chanteuse et ex-membre du groupe Brigitte passe derrière la caméra et signe un film touchant et réussi sur une octogénaire qui redécouvre la vie à la mort de son mari.
On la connaît comme la moitié du duo Brigitte. Chanteuse aux textes intimes et féministes, Aurélie Saada passe à la réalisation avec Rose, un premier film touchant, généreux et optimiste. Avec douceur et sincérité, elle nous conte l'histoire de Rose (Françoise Fabian), une femme de 78 ans qui, à la mort de son mari, se révèle à elle-même et décide de vivre intensément sans se soucier des autres, à commencer par ses enfants. Une renaissance qui fait écho à celle d'Aurélie Saada, qui ne cesse de se réinventer au gré des épreuves qu'elle traverse. Rencontre avec une artiste qui prouve qu'il n'est jamais trop tard pour en accord avec soi-même.
Qu'est-ce qui a déclenché votre envie de passer derrière la caméra ?
Ça m'a pris par surprise. J'avais déjà réalisé des clips, mais je ne voulais pas être réalisatrice. Et puis, cette histoire est venue m'attaquer. J'ai écrit Rose après un dîner chez moi il y a quelques années où je recevais la dernière grand-mère de ma famille qui venait de perdre son mari. Et à cette même table il y avait Marceline Loridan-Ivens, qui était dans le même convoi pour Auschwitz que Simone Veil. C'était une rescapée de la Shoah qui avait une audace folle, une super vivante qui parlait de sexe et fumait des joints. J'ai vu cette grand-mère être complètement hypnotisé par la vision de Marceline et se demander si la vie n'en valait pas la peine jusqu'au bout… J'ai eu un déclic.
Rose, au fond, c'est un peu vous ?
Rose, c'est complètement moi. Moi, quand j'avais 30 ans, j'avais deux petites filles et j'étais mariée avec un homme. Je pensais qu'il serait là pour toute la vie. Et puis, il m'a quitté, il est allé vivre avec une autre femme à 12.000 km de moi. Je pensais que sans lui je serai la plus triste des femmes, mais à la suite de ce deuil, j'ai ressenti une force incroyable. Je me suis mise à écrire, j'ai fait Brigitte, j'ai fait des choses qui m'ont révélé à moi-même. C'était merveilleux de prendre vie.
J'avais envie de faire un film très intime, je voulais inviter le spectateur à entrer dans ma famille, dans mon univers
Aurélie Saada
On lit beaucoup que faire un film sur une héroïne veuve, c'est culotté. Mais il serait peut-être temps de décomplexer la vieillesse non ?
Mais oui, complètement. Vieillir, c'est le chemin que nous prenons tous, non ? Je trouvais que c'était important de placer cette histoire dans le corps d'une femme à l'aube de ses 80 ans parce que parce que le corps des femmes de cet âge-là et leurs désirs sont totalement invisibles. Comme si, quand on est grand-mère, l'amour de nos petits-enfants nous suffisait. J'ai écrit ce film pour dire que, peu importe l'âge, notre désir n'a pas à être tu. Ni notre corps invisible parce qu'on prend de l'âge.
Françoise Fabian aussi, c'était une évidence ?
Oui, il n'y avait qu'elle. D'abord parce que c'est une grande vivante, une gourmande, une femme indépendante et audacieuse. Et puis, Françoise Fabian a grandi en Algérie, j'avais envie d'une comédienne qui connaisse l'Orient, lequel m'est très cher.
Vous filmez au plus près de vos personnages, comme pour sonder l’âme humaine…
Oui, j'aime les peaux, j'aime ce que racontent des détails sur les corps. J'avais envie de faire un film très intime, je voulais inviter le spectateur à entrer dans ma famille, dans mon univers. Je viens d'une famille où la pudeur et les silences se cachent dans le bruit. Il y a de moi dans tout, que ce soit dans les vêtements, dans la musique que j'ai composée ou dans ce que mangent les personnages, c'est d'ailleurs ma sœur qui a tout cuisiné. Il y a aussi les gens que j'aime à l'écran, mes amis, ma famille, ma mère, mes oncles, mes cousins. Ma fille a aussi composé aussi un des thèmes du film.
Brigitte, c'est mon immense histoire d'amour. Mais c'est fini
Aurélie Saada
L’histoire Rose aurait-elle pu être une chanson ?
C'était compliqué, car j'avais trop de choses à dire. J'avais aussi envie de la voir en images. Et puis j'aime l'aventure, quand je suis armée d'un désir fort pour quelque chose je fonce. C'est marrant, car c'était mon premier film et pourtant, j'avais l'impression d'avoir fait ça toute ma vie ! Je ne sais pas si je ferais d'autres films dans ma vie, mais je veux toujours être attaquée par le même désir fort.
Brigitte, c'est terminé. On a le sentiment que la fin du groupe a été pudique.
Oui, comme pour une grande histoire d'amour. On a passé treize ans ensemble à faire de la musique, des tournées, à dormir dans la même chambre. C'est mon immense histoire d'amour. Donc oui, c'est fini même si on n'a pas eu envie de s'étaler particulièrement là-dessus. Ce sont des choses qui arrivent. Et puis, c'est assez classique dans les groupes.
Qui est Aurélie Saada aujourd'hui ?
Je pense qu'aujourd'hui je m'autorise le droit de me réécrire sans cesse, d'affronter de nouvelles choses, de transformer ce qui m'a fait souffrir en films, en chansons, peut-être même en recettes de cuisine ! Peu importe. Je veux juste avoir le droit de m'inventer et de me raconter.