VIDÉO - Fred Cavayé : "'Adieu Monsieur Haffmann', c’est l’autopsie d’un salaud sous l’Occupation"

Propos recueillis par Jérôme Vermelin
Publié le 7 janvier 2022 à 13h17, mis à jour le 10 janvier 2022 à 15h10

Source : Sujet TF1 Info

INTERVIEW – Fred Cavayé porte à l’écran la pièce à succès "Adieu Monsieur Haffmann". En salles le 12 janvier, ce thriller qui se déroule sous l’Occupation est porté par les performances épatantes de Gilles Lellouche, Daniel Auteuil et Sara Giraudeau. Pour LCI, le cinéaste en révèle les secrets de fabrication.

C’est le premier grand film français de 2022. Adaptation de la pièce du même nom, primée aux Molière, Adieu Monsieur Haffmann raconte l’histoire d’un bijoutier juif qui décide de vendre sa boutique à son employé afin d’échapper à la déportation, dans l’espoir de récupérer son bien une fois la guerre terminée. Mais rien ne va se passer comme prévu… 

Auteur de thrillers à succès (Pour Elle, À bout portant), passé par la comédie (Radin !, Le Jeu), Fred Cavayé réalise là son premier film historique. Daniel Auteuil incarne Monsieur Haffmann, Gilles Lellouche son employé François Mercier tandis que Sara Giraudeau joue Blanche, l’épouse de ce dernier. Ce trio exceptionnel sert une intrigue machiavélique bien plus actuelle qu’on ne pourrait le croire, comme nous l’a confié le cinéaste.

Adieu Monsieur Haffman est d’abord une pièce de Jean-Philippe Daguerre. Comment est née l’idée de l’adapter au cinéma ?

Je connais Jean-Philippe Daguerre depuis très longtemps. Et quand il écrit la pièce, il m’envoie le texte que je ne lis pas. Pas par fainéantise mais parce que je préférais lui donner un avis de spectateur, une fois la pièce montée. Malgré tout, il me fait le pitch de l’histoire et je me fais mon histoire à moi. Et quand je vois finalement la pièce, qui est formidable, multi-récompensée à juste titre – ce n’est pas exactement l’histoire que je m’étais faite. Je lui dis alors que je serais prêt à l’adapter. Mais en prenant une autre direction. Avec son autorisation, je me suis mis à l’écriture avec Sarah Kaminsky, la co-scénariste. On garde le même point de départ. Et on prend une trajectoire différente qui va plus faire l’autopsie d’un salaud sous l’Occupation. Quelqu’un qui par lâcheté et par opportunisme, va faire des choix terribles pour Monsieur Haffman et pour lui-même. Ça donnait le ferment d’un véritable film à suspense, un vrai thriller plus qu’un film de guerre. C’est-à-dire que ce film pourrait se passer à l’heure actuelle. Et on aurait la même problématique.

Adieu monsieur Haffmann : la bande-annonceSource : Sujet TF1 Info

Vous avez reconstitué un quartier de Paris sous l’Occupation. Mais avez-vous tenté de faire du film un huis clos à 100 ? 

Je ne me suis rien interdit au départ. Je voulais juste aller là où l’histoire voulait bien m’emmener. J’avais une scène de gare, par exemple. Mais je l’ai très vite enlevée parce que dans Monsieur Klein, il y en a une très célèbre et je voulais éviter de tomber dans l’hommage ou même le plagiat. Après, même si on raconte la petite histoire dans la grande Histoire, il fallait quand même raconter la vie autour. Mais je me suis aperçu très vite que, de par la structure du film, ce qui intéressait le spectateur, ce sont ces trois personnages incarnés par Daniel Auteuil, Gilles Lellouche et Sara Giraudeau. Dès que j’essayais de dévier un peu, avec des choses que j’ai tournées, dès qu’on n’était plus avec eux, eh bien ça ne nous intéressait plus. Ça tient de leur interprétation à tous les trois. Et du fait que la cocotte minute tient avec ces trois personnages. Et qu’on ne sait pas à quel moment elle va exploser.

Les situations de peur révèlent chez certains l’héroïsme, la capacité à faire des choses extraordinaires, et chez d’autres ce qu’on voit dans le film
Fred Cavayé

Le suspense vient autant, sinon davantage, de la relation entre Haffman et Mercier, que de la menace que les Nazis font peser sur eux, non ?

L’ennemi pour Haffmann, bien sûr que ce sont les Nazis. Mais dans un premier cercle, c’est le personnage de François Mercier qui au départ est sympathique et qui va le devenir beaucoup moins. Et même un vrai danger. C’était intéressant d’observer un personnage qui devient salaud par appât du gain, mais du gain de petites choses. C’est quelqu’un de profondément égoïste. Sous prétexte d’agir par amour de sa femme, il ne fait que des choses qui vont arranger sa boutique comme l’ont fait certaines personnes sous l’Occupation. C’est un sujet assez peu traité dans le cinéma français, en réalité, même s’il y a des films superbes comme Uranus ou Lacombe Lucien. On en a fait beaucoup d’autre pour glorifier les héros, la résistance, à juste titre. Mais ce pendant beaucoup plus sombre est moins abordé alors qu’il permet d’explorer la noirceur de l’âme humaine de façon formidable. 

Ce qui dit le film, c’est que certaines situations extrêmes révèlent le pire chez certains d’entre nous. C’est un propos hélas très actuel, non ? 

Les situations de peur révèlent chez certains l’héroïsme, la capacité à faire des choses extraordinaires, et chez d’autres ce qu’on voit dans le film, oui. Dans la période actuelle aussi les gens ont peur, même si le contexte est moins dangereux. Et si on n’est pas vigilant avec soi-même, on peut se laisser aller à certains comportements, sans aller aussi loin que François. Bien se comporter, c’est un travail de tous les jours. 

Malheureusement, l’actualité fait qu’il faut continuer à parler de cette période
Fred Cavayé

Le film sort alors que la déportation des Juifs a ressurgi dans le débat politique à travers les déclarations d’un candidat à la présidentielle. Est-ce qu’un film comme celui-là sert aussi à rétablir quelques vérités ?

Même si c’est avant tout un thriller, il rappelle certaines vérités, oui. Les rafles, c’était la police française, commanditée par l’occupant, certes. Mais les petites mains, c’étaient les policiers français. Ce sont eux qui sont allés arrêter les Juifs. Après, il n’était pas question d’être manichéen en faisant le film. Quand on vous ordonne d’aller rafler une famille, quelle possibilité avez-vous de refuser ? Il y a des gens qui l’ont fait avec beaucoup de zèle. D’autres qui se sont arrangés pour aider. Mais il fallait avoir les moyens d’être courageux. Un policier qui a une femme et trois enfants, comment fait-il pour dire "Non, moi je n’y vais pas" ? Il prend le maquis avec sa famille ? Tout ça est extrêmement complexe et chacun se débat avec la notion de bien et de mal dans un moment très anxiogène. Sur ce type du film, on dit beaucoup "Encore un film sur cette période ?". Mais, malheureusement, l’actualité fait qu’il faut continuer à parler de cette période. Parce que, malheureusement, il y a des gens qui refont l’Histoire. Et on oublie vite.

>> Adieu Monsieur Haffmann de Fred Cavayé. Avec Daniel Auteuil, Gilles Lellouche, Sara Giraudeau. En salles le 12 janvier.


Propos recueillis par Jérôme Vermelin

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