INTERVIEW. Membre du jury du 42e Festival du Cinéma Américain de Deauville, l'écrivain Douglas Kennedy nous confie son amour du cinéma indépendant avec une affection particulière pour le cinéma underground New-Yorkais des années 70-80.
A quand remonte votre découverte du cinéma indépendant?
Douglas Kennedy: Je suis né en 1955 et très vite, j’ai développé une cinéphilie vorace. Je devais avoir 11-12 ans lorsque je me suis rendu pour la première fois seul dans une salle obscure et c’était une libération, je fuyais mes parents qui se disputaient tout le temps. La chance, c’est d’avoir grandi à New-York. Et grandir là-bas, après Paris, c’est le paradis culturellement parlant. J’allais souvent au Musée de l’art moderne parce que la Cinémathèque se trouvait alors au sous-sol. Ainsi, à la fin des années 60, nous traversions une intense convulsion sociale, une période de changement immense qui a littéralement bousculé la société américaine, exactement au même moment que la société française a été bousculée par Mai 68. Et cette révolution culturelle a également eu lieu au cinéma qui, lui aussi, commençait une mue. Les studios subventionnaient des cinéastes indépendants, tout en aidant les réalisateurs de studio comme Alfred Hitchcock.
Quels cinéastes de cette époque vous ont marqué?
Douglas Kennedy : Ils sont nombreux, évidemment. En tant que New-Yorkais, je peux vous assurer que le cinéma de Martin Scorsese, en particulier Mean Streets et Taxi Driver, ne vous laisse pas indifférent. Sa carrière est extraordinaire, de même que celle de Woody Allen, dans un autre genre. On ne réalise pas aujourd’hui à quel point New York était une ville dangereuse. Un article dans le New York Magazine affirmait qu’en 1968, il y avait eu 2000 meurtres, soit plus de 40 par semaine. Vertigineux. En même temps, c’était une époque de demi-monde. Lisez Just Kid de Patti Smith, que j’ai offert à ma fille. Ça raconte ce qu’était réellement New York : très glauque, violent, bourré de gangs. Quand on voit Taxi Driver de Martin Scorsese, on voit des cinémas pornos et des prostituées arpentant les rues. Brian de Palma aussi a très bien montré cette face sombre. C’était aussi l’époque de Lou Reed, du Velvet Underground, du photographe Robert Mapplethorpe. Et puis il y a eu l’épidémie du sida qui a décimé tant d’artistes, tant d’amis. Aujourd’hui, je vis dans le quartier coréen de Manhattan. Et c’est fou de voir à quel point les cinémas sont devenus des espèces en voie de disparition. De plus en plus menacés, ils ferment. Cela me dévaste, comme lorsque la Hune était menacée à Paris. Le cinéma reste une expérience collective, il faut garder l’envie de voir un film dans une salle de cinéma avec les autres. Autrement, parmi les cinéastes que j’adorais dans les années 70, il y a Hal Ashby dont les films auront à jamais bouleversé mon parcours de cinéphile. Mais si je devais citer un cinéaste, parmi tous les cinéastes indépendants de cette époque, ce serait Robert Altman. Immense. Au-dessus du lot.
Votre Altman préféré?
Douglas Kennedy : Nashville reste son chef-d’œuvre. Il y a tout dedans! Je vis dans le Xe arrondissement de Paris, pas loin de Barbès et j’ai proposé ce film lors d’une soirée ciné-club au Louxor. Impossible de proposer mieux que cette peinture des Etats-Unis dans le mitan des années 70. C’est féroce, très drôle, très cynique et c’est sans doute à ce moment précis que j’ai réalisé au fond que la tragédie américaine était absolument partout. De mon point de vue d'écrivain, Short Cuts, son adaptation de Raymond Carver, est extraordinaire aussi. Trois femmes, hallucinant. Et puis ses derniers films aussi… Il ne faut pas oublier son immense Gosford Park, dans lequel il proposait son regard d’américain sur l’Angleterre des années 30. Quand même, quel regard complexe sur une société aussi compliquée !
Comment se situe un artiste dans l’Amérique actuelle?
Douglas Kennedy : Dans mes romans, il est vrai que je n’ai jamais été très tendre dans la description des mœurs américaines. C’est simple, chaque artiste américain critique obligatoirement les Etats-Unis (il rit). Certes, j’ai décidé de revenir vivre aux Etats-Unis après trente ans en Europe, tout en conservant un pied-à-terre à Paris. Mais j’ai toujours un billet aller-retour. Pour moi, il était très important d’acheter une maison dans le Maine et de revenir à New York après mon divorce. Pourquoi? Parce que c’est chez moi. C’est mon pays. C’est un pays que j’adore et j’ai beaucoup d’inquiétude, surtout cette année avec ce dangereux monstre de Donald Trump. Les sondages lui sont favorables pour le moment, mais ils varient souvent d’une semaine à l’autre. On verra. Aux Etats-Unis, et c’est partout dans le cinéma américain, on est très schizophrène. Il y a une partie brillante, cultivée, progressiste ; il y a aussi une partie ignorante, conservatrice, très fermée à l’autre.
Propos recueillis par Romain Le Vern (au Festival de Deauville)
Sur le
même thème
- Paul Mescal, bouleversant dans "Aftersun" : et si c’était lui, l’Oscar du meilleur acteur ?Publié le 31 janvier 2023 à 17h29
- "Barbare" sur Disney + : ce petit film d'horreur qui a (même) terrifié Stephen KingPublié le 11 novembre 2022 à 17h18
- "Rifkin's Festival", la critique : alors, il est comment le nouveau film de Woody Allen ?Publié le 11 juillet 2022 à 17h03
- Barry Alexander Brown : "J’espère que le public sera inspiré par 'Un fils du Sud'"Publié le 14 mars 2022 à 9h00
- Mort de Pat Hitchcock, actrice et fille unique d’Alfred Hitchcock, à l’âge de 93 ansPublié le 11 août 2021 à 15h52
- Ces films qui, comme "Pretty Woman" selon Julia Roberts, ne pourraient (peut-être) plus sortir en 2019Publié le 21 mars 2019 à 15h45
- De "Kill Bill" à "Old Boy", le palmarès des "films de vengeance"Publié le 8 septembre 2018 à 13h18
- VIDEO - Alex Beaupain au Festival de Deauville : "David Lynch réalise les plus beaux cauchemars du cinéma américain"Publié le 2 septembre 2018 à 10h56
- Barack Obama : cinq films emblématiques des Etats-Unis sous sa présidencePublié le 11 janvier 2017 à 11h53
- "Manchester by the sea" : Top 10 des films qui font pleurerPublié le 12 décembre 2016 à 9h16
Tout
TF1 Info
- 1Mort de Sihem : que sait-on de Mahfoud H., mis en examen ce jeudi ?Publié le 2 février 2023 à 14h55
- 2Disparue depuis le 25 janvier, Sihem, 18 ans, retrouvée morte dans le GardPublié le 2 février 2023 à 9h01
- 3Grèves : trains, carburant, stations de ski... à quoi s'attendre pour les vacances scolaires ?Publié le 2 février 2023 à 14h42
- 4Des soldats ukrainiens combattent-ils sous l'effet du Captagon, cette drogue dérivée d'amphétamines ?Publié le 1 février 2023 à 16h47
- 5Mort de Sihem : le suspect dit l'avoir tuée "dans le cadre d'une dispute liée à leur relation amoureuse"Publié le 2 février 2023 à 11h35
- 6VIDÉO - Ne jetez pas votre vieux portable, il peut rapporter plusieurs centaines d'eurosPublié le 31 janvier 2023 à 16h44
- 7Disparition d'Héléna à Brest : un nouvel appel à témoins lancéPublié le 2 février 2023 à 15h04
- 8Israël : sans billet pour son bébé, un couple tente d'embarquer sans luiPublié le 1 février 2023 à 17h10
- 9Épargne : Livret A vs assurance-vie, où vaut-il mieux placer son argent ?Publié le 1 février 2023 à 21h24
- 10Cannes : alerté après des loyers impayés, un propriétaire découvre son locataire mort depuis quatre ansPublié le 1 février 2023 à 12h12
- 1EN DIRECT - Guerre en Ukraine : envoyer des avions prendrait des "mois" voire des "années" de formation, selon LondresPublié le 2 février 2023 à 23h35
- 2"C'est une histoire de poils, ça va, quoi !" : Edouard Philippe s'explique sur son changement d'apparencePublié le 2 février 2023 à 23h33
- 3VIDÉO - "Sous le choc" : Clarisse Crémer privée de Vendée Globe après sa maternitéPublié le 2 février 2023 à 23h29
- 4EuroMillions : "Une pluie de millionnaires" va inonder l'Europe ce vendrediPublié le 2 février 2023 à 23h04
- 5VIDÉO - Quand un étrange tourbillon lumineux apparait dans le ciel d’HawaïPublié le 2 février 2023 à 22h47
- 6Soupçons de féminicide en Martinique : la victime tuée par balle, son ex-compagnon interpelléPublié le 2 février 2023 à 22h28
- 7Brunet, Hammett & Cie du 2 février 2023Publié le 2 février 2023 à 22h06
- 8VIDÉO - "Elle avait toute sa vie devant elle" : l'émotion après la mort de Sihem dans le GardPublié le 2 février 2023 à 21h57
- 9Un Œil sur le Monde du 2 févrierPublié le 2 février 2023 à 21h53
- 10EN DIRECT - Réforme des retraites : "Pas simple" mais "indispensable", assure Elisabeth BornePublié le 2 février 2023 à 21h35
- 1Jack pouvait-il survivre à la fin de "Titanic" ? James Cameron donne enfin la réponsePublié le 2 février 2023 à 20h28
- 2Sylvester Stallone dément avoir proposé à Pamela Anderson d’être "sa petite amie n°1"Publié le 2 février 2023 à 13h41
- 3Box-office : quel démarrage pour "Astérix et Obélix : l’Empire du Milieu" ?Publié le 2 février 2023 à 15h58
- 4"The Last of Us" : les petits secrets de la romance gay qui nous a brisé le cœurPublié le 1 février 2023 à 16h38
- 5Affaire Bastien Vivès : une quarantaine d’artistes dénoncent "un climat de peur menaçant la liberté de création"Publié le 2 février 2023 à 18h15
- 6"Je suis plus en phase avec le polyamour" : Angèle se confie sans fard sur sa vie amoureusePublié le 1 février 2023 à 12h03
- 7"Coeurs noirs", la série saisissante qui nous embarque avec l'armée française contre DaechPublié le 2 février 2023 à 19h00
- 8L’Australie ne mettra pas le roi Charles III sur son nouveau billet de 5 dollarsPublié le 2 février 2023 à 10h50
- 9VIDÉO - "J'ai mal tout le temps" : Serge Lama se confie sur l'arrêt de sa carrière dans "Sept à Huit"Publié le 30 octobre 2022 à 20h16
- 10Michèle Chauvier, l’épouse de Serge Lama, retrouvée morte à son domicilePublié le 31 octobre 2016 à 10h52
- Police, justice et faits diversPortée disparue, Sihem, 18 ans, retrouvée morte dans le Gard
- InternationalMort de Tyre Nichols : la nouvelle affaire qui choque l'Amérique
- Sujets de société31 janvier, 2e round contre la réforme des retraites
- InternationalL'Occident se résout à livrer des chars à l'Ukraine
- TransportsUn "incendie volontaire" paralyse la gare de l'Est