Dinard 2016 : après le Brexit, le cinéma anglais dans l’incertitude la plus totale

Mehdi Omaïs, à Dinard
Publié le 30 septembre 2016 à 17h07
Dinard 2016 : après le Brexit, le cinéma anglais dans l’incertitude la plus totale
Source : DR

WHAT NEXT - Près de 100 jours après le Brexit, certains défenseurs du remain n’acceptent toujours pas la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne. Rebecca O’Brien, productrice des deux Palmes d’or de Ken Loach et marraine de la 27ème édition du Festival du Film Britannique de Dinard, en fait partie. Elle livre à LCI ses peurs et prédictions.

Derrière le grand sourire qui habille chacun de ses propos, Rebecca O’Brien s’inquiète. Comme 48,11% de ses concitoyens, la productrice attitrée de Ken Loach avait voté en juin dernier pour que le Royaume-Uni reste membre de l’Union Européenne. "J’avais signé un paquet de pétitions pour contrecarrer le leave", se souvient l’intéressée, marraine cette année du 27ème Festival du Film Britannique de Dinard. "L’Europe n’est certainement pas parfaite mais j’ai le sentiment qu’il est préférable de régler nos problèmes depuis l’intérieur que depuis l’extérieur."

Avant même de songer à l’avenir de son métier, il y a ainsi ce choc colossal à encaisser. Ce séisme. Cet ordre nouveau auquel il faut faire face, à cor et à cri. "Le pire, c’est que les gens du leave ne s’attendaient pas à gagner et, par conséquent, n’avaient aucun dispositif sous le coude", poursuit Rebecca O’Brien, dépitée. "On le voit très bien avec la réaction de recul de Boris Johnson. Ils ont joué sur les peurs des gens avec des slogans forts. Et ça a marché. David Cameron et son entourage ont leur part de responsabilité dans la mesure où ils ont fait preuve d’arrogance en minimisant la menace."

C’était un vote punitif contre Westminster
Rebecca O'Brien, productrice de Ken Loach

Dans les jours qui ont suivi le cataclysme, la productrice de 59 ans raconte avoir multiplié les rencontres avec des acteurs de l’industrie du cinéma et du spectacle. Il fallait qu’ils en parlent. Qu’ils digèrent les faits et réfléchissent aux lendemains. "Je vous le redis : il n’y a littéralement aucune stratégie en place et c’est ce qui nous pose problème. Les fondateurs du leave n’ont rien préparé. Leurs partisans ont choisi le Brexit pour protester", atteste O’Brien. "C’était un vote punitif contre Westminster, contre les classes dirigeantes, et bien sûr, contre cette immigration dont on leur parlait à l’aide de photos de la jungle de Calais. Ils ont eu peur de quelque chose qui ne les affecte pas."

Et le cinéma anglais dans tout ça ? Rebecca O’Brien s’interroge. Elle n’est sûre de rien. Elle doute. "Les conséquences seront importantes, c’est évident", poursuit-elle. "A commencer par la liberté de mouvement. Faire des films nécessite une certaine fluidité. Nous sommes dépendants des voyages et de tous ces festivals, comme Dinard, qui nous aident à promouvoir et vendre nos productions." Autre pan très problématique : les mécanismes de soutien financier européens qui sont d’une importance cruciale, pour ne pas dire vitale. "Les petites structures doivent pouvoir continuer à accéder à ces aides afin de développer leurs projets."

Vers une fuite des talents ?

Rebecca O’Brien craint ainsi de voir des inégalités se creuser même si elle ne désespère pas de voir Hollywood continuer à tourner des longs métrages coûteux, façon Harry Potter, sur son sol. De tels projets d’envergure sont en effet indispensables pour les talents locaux et pour l’économie en général. "Je pense que ce type de films continuera à se faire chez nous contrairement au scepticisme de certains mais le Brexit va être vraiment cruel pour les petites structures, plus fragiles. Que se passera-t-il par exemple si une société de production anglaise veut aller tourner en Belgique ? Quelles aides seront disponibles ?"

A l’entendre, on pourrait presque croire à une possible fuite des talents. Et si demain, des corps de métier se mettaient à chanceler ? Et si des chefs-opérateurs ou des scénaristes désertaient le Royaume-Uni parce que l’herbe serait plus verte ailleurs ? "Allez savoir, ça serait dramatique", concède Rebecca O’Brien, sans contredire ces sombres prédictions. "Nous avons besoin d’un gouvernement fort pour nous porter. Nous avons une culture qu’on a envie de partager avec le plus grand nombre et nous souhaitons continuer à le faire" Elle s’interrompt, le regard grave, et reprend : "Le Brexit n’a même pas encore commencé… Et personne ne nous dit rien sur rien. Ils attendent nos suggestions, vous l’imaginez ça ? C’est de l’amateurisme ! Nous ne sommes pas des politiciens."


Mehdi Omaïs, à Dinard

Tout
TF1 Info