Edouard Baer : "J’aimerais être Depardieu pour pouvoir manger et dormir chez les autres"

Propos recueillis par Mehdi Omaïs
Publié le 12 janvier 2017 à 9h08
Edouard Baer : "J’aimerais être Depardieu pour pouvoir manger et dormir chez les autres"
Source : Le Pacte

INTERVIEW - Dans l'enthousiasmant "Ouvert la nuit", en salles depuis mercredi, Edouard Baer se met en scène sous les traits facétieux d’un patron de théâtre qui doit sauver son entreprise avant le lever du soleil. LCI est allé à sa rencontre pour une discussion sur autrui, le destin et les pérégrinations nocturnes.

En 2004, vous réalisiez Akoibon. Et depuis : plus rien. Qu’est-ce qui, 13 ans plus tard, a nourri cette nouvelle envie de mise en scène ?

J’ai attendu longtemps parce que les spectacles qu’on a montés ces dernières années ont nécessité beaucoup de travail et d’énergie. Et, un beau jour, j’ai senti que la prochaine histoire que je souhaitais raconter serait destinée au grand écran. Avec Ouvert la nuit, j’avais à coeur de faire un road movie, de filmer les choses en mouvement, d’immortaliser Paris la nuit… J’avais cette envie d’un film qui virevolte, où le spectateur, comme la caméra, est souvent en retard sur le personnage puis finit par le rattraper in extremis. Je ne voulais surtout pas d’un truc qui donne le cafard avec l’emploi du champ/contre-champ.

Luigi, votre personnage, a une nuit pour regagner la confiance de son équipe et sauver son théâtre. Pour cela, il multiplie les rencontres  dans le Paris nocturne. Aviez-vous, dès le départ, identifié certains quartiers à sonder ?

Je savais ce qu’aimait mon héros. Et j’avais des ambiances en tête, des types d’endroits, des personnages, un barman ici, un cuisinier là… Mon intention était d’évoquer un Paris ni nostalgique ni branché. J’avais aussi ces images d’un bar-tabac ouvert 24h/24, un peu crado, avec quelques piliers mi-clodos, mi-poètes ; d’un autre grand bar, façon rive gauche ; d’un lieu de nuit comme Castel, plus mondain, avec des ragots sur le milieu du spectacle ; des lieux plus neutres, comme par exemple une épicerie… Je voyais ce qui allait m’influencer et me suis laissé aller à l’instinct.

Sans vous connaître vraiment, on a l’impression que Luigi, c’est un peu vous. A-t-on raison de le penser ?

Oui… Disons que je me suis fait un personnage que ça m’amusait d’être. J’aime sa façon de surfer sur la vie, de ne pas être atteint par les choses, de renaître de ses cendres, de ne pas s’effondrer, d’avoir confiance dans les autres et dans le contact humain… D’une certaine manière, il s’agit là d’un chant d’amour pour ce type de mec, de chantre du démerdage, qui parvient à tenir sa boutique contre vents et marées. On en connait tous des gens comme ça, capables de faire marcher le navire en toute circonstance.

Luigi est-il idéaliste, naïf ou pragmatique ?

Ce n’est pas un naïf. Il est en revanche idéaliste et pragmatique. Il  n’hésite pas à être retors, à manipuler les autres au service de quelque chose qu’il trouve juste et beau. Il veut que son spectacle ait lieu, que ça vive. Il déverrouille tous les codes sociaux. On aimerait être comme lui : pouvoir parler le même soir, et de la même façon, à deux mecs en bas d’une tour d’Aubervilliers et à une vieille dame du 16ème arrondissement. On devrait tous être comme ça. 

Est-il davantage dans le réel que ceux qui l’estiment hors de la réalité ?

(Réflexion) Vous avez raison de me demander ça… Cette question me touche parce que… Allez, au risque d’être un peu pompeux, ce que les gens appellent « désordre », je l’appelle "vie". Quand c’est désordonné, c’est vivant. Souvent, on est frappés de voir combien la vie ne parvient pas à pénétrer des dîners, des réunions d’entreprise ou des rencontres  politiques. Le désordre est une fenêtre ouverte. 

Quand tout prend l’eau, êtes-vous du genre à fuir vers l’avant comme ça, au hasard des rues de Paris ?

Hélas, j’ai l’impression que c’est quand tout va bien que je célèbre les choses. Pourtant, j’adore l’idée selon laquelle plus ça s’effondre, plus on fête la vie, comme l’orchestre du Titanic qui continue à jouer en plein naufrage. L’idée de transformer les choses en gaité… C’est ce que j’essaye de faire à la radio le matin. Pour revenir à votre question,  je me rappelle de cette histoire : Jean Carmet qui marche dans une rue, qui s’arrête devant une maison où une dame cuisine un pot-au-feu. Il lui dit que l’odeur est bonne et elle lui répond : "Venez manger Monsieur Carmet". C’est génial ! J’aimerais être Depardieu pour pouvoir manger et dormir chez les autres. Vivre partout comme chez soi. 


Propos recueillis par Mehdi Omaïs

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