Depuis le début de la guerre en Ukraine, les studios américains ont décidé de ne plus sortir leurs films en Russie.Mais au fil des mois, un réseau de projections clandestines s’est développé dans les plus grandes villes du pays.À Moscou, le correspondant de la BBC a pu assister à une séance de "Barbie" et même déguster du popcorn rose.
Il était une fois un monde sans blockbusters. En mars 2022, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, Hollywood décidait de suspendre la sortie de l'ensemble de ses films en Russie. "Au nom des membres de nos entreprises, qui dirigent l’industrie du cinéma, de la télévision et du streaming, nous exprimons notre soutien le plus total à la communauté créative d’Ukraine qui mérite de vivre et de travailler en paix", avait alors déclaré la Motion Picture Association of America (MPAA), le puissant lobby en charge des intérêts des studios.
Depuis, les Disney, Warner, Paramount et autre Netflix sont restés inflexibles, faisant une croix sur des millions de dollars de recettes. Mais leurs films sont malgré tout parvenus à contourner le boycott. Plusieurs reportages de la presse britannique révèlent qu’un réseau de projections clandestines des grosses productions américaines s’est développé au fil des mois dans les plus grandes villes du pays comme Moscou, Saint-Petersbourg et Kazan. Un phénomène facilité par la circulation de copies numériques, partout dans le monde.
Les gens devraient avoir le droit de choisir ce qu’ils veulent regarder
Karina, une jeune spectatrice russe de "Barbie" interrogée par la BBC
En règle générale, les séances des films américains ne sont pas proposées sur le site internet des cinémas. Pour être mis au courant, il faut se promener sur les réseaux sociaux ou faire confiance au bouche-à-oreille. "Ils vendent un ticket pour un film russe et ils diffusent à la place un film secret en avant-première", explique au Guardian Alex, un cinéphile de Saint Petersbourg. C’est ainsi qu’il a vu cet été Barbie et Oppenheimer, les deux plus gros succès hollywoodiens de l’été. D’après lui, la plupart des spectateurs ont entre 15 et 25 ans. "Je ne crois pas que les gens plus âgés sont intéressés par ces films", estime-t-il.
Correspondant de la BBC en Russie, Steven Rosenberg a assisté à une séance "interdite" du film de Greta Gerwig, il y a quelques jours dans un centre commercial de Moscou. À l’intérieur, l’exploitant avait installé des répliques grandeur nature de Margot Robbie et Ryan Gosling et proposait même du pop-corn rose ! Un véritable défi aux autorités puisque début septembre, le ministre de la Culture Andrei Malyshev a estimé que les aventures de la poupée Mattel, tout comme Oppenheimer, étaient des films "contraires aux valeurs traditionnelles russes".
Une opposition qui n’a visiblement pas découragé les spectateurs moscovites, au contraire. "Je crois que c’est bien que certains cinémas nous montrent ces films. Les gens devraient avoir le droit de choisir ce qu’ils veulent regarder", déclare la jeune Karina, interrogée par notre confrère britannique. "Il faut être ouvert d’esprit aux autres cultures", ajoute Alyona. "Même si vous n’êtes pas d’accord avec leurs modes de vie, c’est quand même bien de pouvoir le constater par soi-même."
Les autorités russes ferment-elles les yeux sur ces séances clandestines ? Dans le cas de Barbie, les premières auraient débuté dès le mois d’août, peu après la sortie américaine. Et les salles auraient été clairement identifiées. Interrogée par Steve Rosenberg, la parlementaire russe Maria Butina affirme qu’elle a fait plusieurs demandes auprès des cinémas en question pour savoir "sur quelle base légale ils montrent ce film". Aucune sanction n’a toutefois encore été prononcée.