Entre espoirs de reprise et visions d’apocalypse, le cinéma fait de la résistance à Deauville

Publié le 8 septembre 2020 à 13h01, mis à jour le 9 septembre 2020 à 19h29
Entre espoirs de reprise et visions d’apocalypse, le cinéma fait de la résistance à Deauville
Source : AFP

REPORTAGE - Le 46e édition du Festival du cinéma américain de Deauville a ouvert ses portes le week-end dernier. Une édition en mode Covid, entre mesures d’hygiènes drastiques et inquiétude des professionnels du Septième art, après un été douloureux pour les salles. LCI.fr est allé prendre la température du patient ciné.

Gel hydro-alcoolique à volonté l’entrée des salles, masque obligatoire à l’intérieur, pastilles rouges pour séparer les sièges… Pour sa 46e édition, le Festival du cinéma américain de Deauville s’est mis en ordre de bataille pour accueillir les cinéphiles dans les meilleures conditions. Pandémie oblige, aucune US star n’a fait le déplacement. Et c’est par vidéo interposée que Michael Douglas a remercié pour l’hommage rendu à son père Kirk, décédé en février dernier. Autant de restrictions drastiques qui ne devraient pas permettre d’accueillir les 60.000 spectateurs de l’an dernier. Mais qui garantissent la tenue de la première manifestation cinématographique de référence depuis l’annulation du Festival de Cannes en mai dernier.  

Alors que la fréquentation des salles repart à la hausse en France, notamment grâce à la sortie du mastodonte Tenet, le Septième art est-il pour autant tiré d’affaires ? "Du début de la chaîne, c’est-à-dire les tournages, jusqu’à sa fin avec les salles fermées, le cinéma a fait partie des métiers les plus impactés par le coronavirus parce que complètement à l’arrêt", rappelle à LCI.fr la productrice Sylvie Pialat, membre du jury présidé par Vanessa Paradis. "Ça ne m’était jamais arrivé depuis 20 ans que je fais ce métier, mais si on regarde bien ça n’était jamais arrivé dans l’histoire du cinéma tout court !".

Zombies coréens et loup-garou des Pyrénées

C’est sans doute cette situation inhabituelle qui a poussé Roselyne Bachelot à assister à l’ouverture de ce Deauville 2020 vendredi dernier, une première pour un ministre de la Culture en exercice depuis de longues années. Est-ce le signe que la culture redevient un enjeu politique en cette rentrée ? Sur le tapis rouge, on a pu apercevoir l'ancienne candidate à l'élection présidentielle Ségolène Royal. Mais aussi l’ex-Premier ministre Edouard Philippe, fan auto-proclamé du Parrain, venu en voisin depuis sa ville du Havre. 

Mais si cette édition a une dimension encore plus particulière, c’est parce que parmi les 70 films présentés, 9 sont des productions internationales qui avaient été sélectionnées pour le Festival de Cannes 2020, une collaboration inédite et solidaire entre les deux manifestations. Au cours du week-end on a ainsi pu voir le film de zombies sud-coréen Peninsula, la comédie sociale de Bruno Podalydès Les Deux Alfred, ou encore Teddy, le premier film des frères Ludovic et Zoran Boukherma avec le jeune Anthon Bajon en villageois des Pyrénées, mordu par une mystérieuse créature velue.

Suivront dans la semaine Des hommes, de Lucas Belvaux, avec Gérard Depardieu, Catherine Frot et Jean-Pierre Darroussin, puis  ADN, le nouveau Maiwenn avec Louis Garrel et Fanny Ardant, attendus sur les planches le week-end prochain. Des avant-premières de gala pour des films dont la plupart sortiront d’ici l’automne.

Cette offre alléchante, célébrée à Deauville, permettra-t-elle aux salles de refaire le plein, au terme d’un été meurtrier qui a vu certaines refermer provisoirement leurs portes ? "La grande chance qu’on a en France, c’est cette diversité extraordinaire dans la programmation et il faut la maintenir à tout prix", plaide Sylvie Pialat qui vient de produire Effacer l’historique, la comédie déjantée du duo Kervern-Delepine qui tient la dragée haute à Tenet avec déjà plus de 300.000 entrées.  

"Ce que les gens apprécient en France, c’est qu’à côté des blockbusters et des comédies, on puisse voir des films indépendants américains comme ceux présentés à Deauville, des films d’auteurs français et du monde entier... Franchement si dans un complexe de 20 salles, il y avait 15 qui jouaient Tenet, je ne pense pas qu’elles seraient remplies. Alors bien sûr la majorité des spectateurs en ce moment vont voir Tenet. Mais c’est la force de la proposition qui fait qu’il y a encore beaucoup de spectateurs."

Aller au cinéma, c’est s’asseoir dans le noir et se laisser envahir par une image qui vous dépasse en taille, où l’on se perd comme dans un rêve
Jonathan Nossiter, le réalisateur de "Last Words"

S’il y en a un qui est beaucoup moins optimiste, c’est Jonathan Nossiter, l’auteur américain de Last Words, un drame post-apocalyptique dont le préambule a fait trembler plus d’un spectateurs dimanche à Deauville. En l’an 2086, sur une planète ravagée par les guerres, les catastrophes écologiques et les virus, un jeune garçon africain fait la rencontre d’un cinéaste hollywoodien reclus dans un sous-sol où il regarde les classiques du cinéma en boucle, vestiges en celluloïd d’une civilisation disparue.  

"Avant le Covid, le cinéma était déjà sous assistance respiratoire", soupire celui qui avait décroché le Grand Prix du Festival de Deauville en 1997 avec Sunday. "Un art, pour rester vital, doit être capable de toucher toutes les générations. Or pour moi le cinéma avait déjà perdu les jeunes avant cette crise. Attention, je ne parle pas des blockbusters mais des films qui permettent de découvrir quelque chose sur l’état du monde et sur soi-même. Regardez la moyenne d’âge des salles d’art et essai et vous comprendrez."

Dans Last Words, le cinéaste interprété par le magnifique vétéran Nick Nolte organise des projections en plein air pour un groupe de survivants qui n’a jamais fait l’expérience de l’invention des frères Lumière. Prémonitoire ? "Aller au cinéma, c’est s’asseoir dans le noir et se laisser envahir par une image qui vous dépasse en taille, où l’on se perd comme dans un rêve", s’enthousiasme Jonathan Nossiter. "Comment raconter cette magie à une nouvelle génération qui regarde des séries en streaming en faisant trois autre choses à la fois ?". A méditer…  


Jérôme VERMELIN

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