"Les Gardiens de la Galaxie 3" ou la douce revanche du réalisateur James Gunn

Publié le 4 mai 2023 à 15h54

Source : TF1 Info

En salles depuis mercredi, "Les Gardiens de la Galaxie 3" conclut une trilogie à succès lancée en 2014.
Une saga au cours de laquelle le réalisateur James Gunn est passé de héros à paria avant d'être sauvé par ses vedettes.
Retour sur le parcours miraculeux d'un franc-tireur comme Hollywood n'en fait presque plus.

La scène se déroule un dimanche matin pluvieux, dans les salons luxueux de l’Hôtel Bristol, à deux pas de l'Élysée, au lendemain de l’avant-première mondial des Gardiens de la Galaxie 3 à Disneyland Paris. Alors qu’un journaliste espagnol demande aux stars du film pourquoi elles ont tant aimé travailler avec James Gunn, l’acteur Chris Pratt, assis à côté de lui, se dévoue et promet "de faire vite", provoquant les rires de l’assistance. Avant de se lancer dans une tirade qui va faire rougir le cinéaste à la barbe argentée.

"James, c’est un travailleur infatigable. Il n’éteint jamais son cerveau", raconte l’interprète du débonnaire Starlord. "Il a commencé en tournant des films fauchés et il a appris à exploiter le moindre dollar. Alors quand vous lui donnez 200 millions, comptez sur lui pour en tirer le meilleur retour sur investissement (…) Il dispose d’un savoir et d’une expérience incroyable, c’est un être profondément empathique qui se soucie des gens comme des animaux. C’est aussi un marginal et lorsqu’il faut créer une histoire de marginaux, il sait exactement de quoi lui parle." N'en jetez plus !

Il fait ses débuts au royaume de la série Z

Au royaume du Septième art, on sait bien que les stars adorent s’envoyer des fleurs. Dans le cas de Chris Pratt, difficile de douter de sa sincérité tant son destin est intiment lié à celui de James Gunn, le genre de franc-tireur comme on en fait de moins en moins à Hollywood. Élevé dans le Missouri dans une famille d’immigrés irlandais, ce fada d’épouvante n’a que 12 ans lorsqu’il transforme son grand-frère Sean en zombie dans ses premiers courts-métrages en Super-8. Trente ans après, il lui confiera le rôle de l’extraterrestre Kraglin dans Les Gardiens de la Galaxie. Mais aussi le rôle de doublure plateau de Rocket, le raton-laveur mutant auquel Bradley Cooper prête sa voix.

Dans cet intervalle, le parcours de James Gunn est peu commun. S’il a étudié les arts à l’Université de Columbia, c’est aux côtés de Lloyd Kaufmann, le mythique patron de Troma Entertainment, roi de la série Z à petit budget, qu’il entre dans le monde du cinéma. Après avoir été son assistant, il écrit et co-réalise avec lui en 1995 Tromeo & Juliet, une parodie sexe, gore & rock n’roll où son frangin fait déjà une apparition, tout comme Lemmy Kilmister, le regretté leader de Motörhead. Un sommet de bon goût qui aura droit à sa projection à Cannes, où la bande de Troma adore terrifier les retraités de la Croisette.

Après avoir prêté sa plume à l’adaptation live de Scooby Doo et à sa suite, puis à L’Armée des Morts de Zack Snyder, James Gunn passe pour de bon derrière la caméra avec Slither, une comédie d’horreur dans laquelle un parasite alien ravage une bourgade de Caroline du Sud. On y croise Nathan Fillion et Michael Rooker, deux comédiens qu’on retrouvera plus tard dans Les gardiens de la Galaxie. À l’époque, ce roi de la débrouille dispose d’un budget - "colossal" pour lui - de 15 millions de dollars. Hélas ! Malgré des critiques bienveillantes qui saluent son hommage aux maîtres du genre, c’est un flop abyssal au box-office.

Quatre ans plus tard, il n’a pas plus de chance avec Super, une satire des films de superhéros où l’acteur comique Rainn Wilson se grime en vengeur masqué pour mater le baron de la drogue qui lui a chipé sa petite amie. Là encore, la presse est positive. Mais son travail souffre de la comparaison avec Kick-Ass, l’adaptation du comic book de Mark Miller, sorti quelques mois plus tôt. Le public a fait son choix. Tandis que le film de Matthew Vaughn avec Aaron Taylor-Johnson cartonne, le sien se ramasse en beauté. Certains ne s’en seraient pas relevés. Mais c’est là qu’un premier miracle intervient.

Histoire de capitaliser sur le carton de la saga Avengers, le patron de Marvel Studios Kevin Feige décide de confier à James Gunn les destinées des Gardiens de la Galaxie. Une équipe de superhéros moins connus de l’écurie Marvel mais dont les aventures cosmiques lui semblent en parfaite adéquation avec l’univers déjanté du cinéaste, grand collectionneur de comics. Star de la série Parks and Recreation, Chris Pratt sera Peter Quill alias Starlord, le chasseur de primes mi-humain, mi-alien et fan de classic rock. Du bleu au vert, la star d'Avatar Zoe Saldaña jouera Gamora, son amoureuse extra-terrestre, le catcheur Dave Bautista son compère Drax le destructeur, tandis que Bradley Cooper et Vin Diesel prêteront leur voix à Rocket et Groot. 

Sorti en 2014, le premier film est un immense succès, aussi bien critique que public, avec 773 millions de dollars de recettes, soit plus de trois fois la mise initiale. James Gunn a enfin mis dans le mille sans renier son goût pour les créatures bizarres, les bons mots et les gros décibels. Une suite est vite enclenchée et rapporte encore plus à Marvel tandis que les personnages s’invitent dans plusieurs films de la saga Avengers avec Thor, Iron Man et leurs amis. Sans surprise, la production commande un troisième opus lorsqu’à l’été 2018, un scandale inattendu vient secouer le navire cosmique.

Un dérapage jugé "indéfendable"

Détracteur virulent de Donald Trump sur les réseaux sociaux, James Gunn est pris à son propre piège par le site conservateur The Daily Caller qui exhume des tweets dans lesquels le cinéaste, alors inconnu du grand public, balance des blagues plus que douteuses sur le viol et la pédophilie. Comme c’est souvent le cas, l’intéressé plaide l’erreur de jeunesse. Mais à l’ère de #MeToo et du politiquement correct, la direction de Disney, propriétaire de Marvel Studios, se montre inflexible. Jugé "indéfendable" par le big boss Alan Horn, James Gunn est évincé sans ménagement du film qu’il a déjà écrit.

Chez les fans, c’est la consternation. Pour les fans hardcores, il est impensable que Les Gardiens de la Galaxie 3 soit réalisé par un autre, quand bien même les noms de Taika Waititi, de Jon Favreau et des frères Russo, des réalisateurs de la maison, sont évoqués. Malgré les pétitions en ligne, la firme aux grandes oreilles ne bouge pas d’un iota, négociant en coulisses le départ de l’enfant prodige devenu l’ennemi public n°1. Et là encore, James Gunn va bénéficier d’un miracle. Dans une industrie où l’image compte plus que tout, l’ensemble du casting des Gardiens de la Galaxie décide de se mouiller pour le cinéaste.

En nous embauchant, chacun d’entre nous, pour l’aider à raconter l’histoire de ces marginaux en quête de rédemption, il a changé nos vies à jamais
Le casting des "Gardiens de la Galaxie" à propos de James Gunn

"Nous appuyons pleinement James Gunn", écrivent Chris Pratt, Zoe Saldaña, Dave Bautista, Bradley Cooper, Vin Diesel, Sean Gunn, Pom Klementieff, Michael Rooker et Karen Gillan dans un communiqué commun. "Nous avons tous été choqués par son éviction brutale la semaine dernière et nous avons attendu ces dix jours pour réfléchir, prier, écouter et discuter (…) En nous embauchant, chacun d’entre nous, pour l’aider à raconter l’histoire de ces marginaux en quête de rédemption, il a changé nos vies à jamais. Et nous avons foi en l’idée que le thème de la rédemption est plus pertinent que jamais aujourd’hui."

Ce soutien inédit à ce niveau va être décisif. À l’automne 2018, Alan Horn reçoit James Gunn en privé pour lui annoncer qu’il est pardonné. Le cinéaste se fera discret sur les circonstances de son retour, préférant se focaliser sur la conclusion de sa trilogie. Reste qu’entre temps, il s’est rapproché de DC Comics, la firme rivale de Marvel qui en a profité pour le mettre à l’essai sur The Suicide Squad, la suite du blockbuster bancal consacré à une bande super-méchants en mission pour sauver leur peau. Sorti à l’été 2021, le résultat est assez jouissif, poussant un cran plus loin son humour trash, doublé d’une satire corrosive de l’impérialisme américain. Comme s'il s'était nourri de ses récentes mésaventures.

L'automne venu, c’est ragaillardi comme jamais qu’il retrouve Chris Pratt & co. pour boucler la boucle et mettre en boîte le généreux blockbuster pop en salles depuis mercredi 3 mai chez nous. Des adieux à plus d’un titre puisqu’il s’agit de sa dernière collaboration avec Marvel pour un bon moment. Voire pour toujours. Le 1er novembre dernier, la Warner lui a en effet confié la présidence de DC Films et la responsabilité d’imaginer le futur des personnages maison pour la décennie à venir. Une nouvelle aventure qui débutera en 2025 avec Superman : Legacy, une réinvention hyper attendue du plus célèbre des superhéros.

"Au cours des 11 dernières années, j’ai passé 60% de mon temps à penser aux Gardiens de la Galaxie", avouait le cinéaste de 56 ans lors de son passage à Paris. "Ils ont pris possession de ma vie et je me retrouve dans une situation bizarre où je dois m’habituer à ce que mon quotidien ne soit plus consacré à ces personnages. C’est dur mais franchement c’est aussi un grand soulagement de se dire que nous avons terminé cette trilogie d’une manière dont nous sommes fiers. Et où chaque protagoniste a droit à une sortie dans la dignité." Lui y compris.


Jérôme VERMELIN

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