L’aventure "Love, Victor" touche à sa fin sur Disney+ ce mercredi 15 juin, en plein mois des fiertés, après trois saisons aussi touchantes que nécessaires dans laquelle un lycéen tombe amoureux de son camarade de classe.Auparavant cantonnés au rôle de faire-valoir, les personnages LGBT+ sont désormais le cœur vibrant de plusieurs séries à destination des adolescents et des jeunes adultes.Une visibilité de plus en plus grande que décrypte pour nous Fabien Randanne, journaliste culture chez 20 Minutes.
Ils s’appellent Victor, Benji, Juliette, Cal, Wilhelm, Simon, Charlie ou encore Nick. Leurs points communs ? Ils sont lycéens et sont tous tombés amoureux d’une personne du même sexe dans des séries dont ils sont les héros principaux. C’est peut-être un détail pour vous. Mais pas pour les millions de jeunes queers qui voient de plus en plus ces dernières années des doubles de fiction vivre les mêmes questionnements qu’eux.
La jeunesse LGBTQIA+ est-elle en train de prendre le pouvoir sur le petit écran ? "On voit depuis 5, 10 ans une croissance du nombre de personnages LGBT dans les séries, dont certaines centrées spécialement sur la communauté", nous confirme Fabien Randanne, journaliste culture chez 20 Minutes.
La révolution "Dawson"
Une progression d’autant plus notable que les personnages LGBTQIA+ ont régulièrement été réduits au second plan, dans des rôles très codifiés. "On a souvent eu le meilleur ami gay qui n'avait aucune intrigue sentimentale. Il était simplement là pour être l'allié, le faire-valoir du héros ou de l'héroïne, pour être drôle ou pour avoir de la répartie. Mais ça se compliquait quand il était question de sa vie", poursuit Fabien Randanne.
Jack McPhee, l’un des héros de la série pour ados Dawson, contribue à faire bouger les lignes. Au printemps 2000, il échange avec son petit ami le premier baiser gay diffusé en prime time à la télévision américaine.
"Ça a été assez révolutionnaire à l’époque", se souvient Fabien Randanne, notant que l’histoire de Jack était tout de même "beaucoup traitée sous l’angle de la souffrance, de la honte". "Aujourd’hui, on est dans des représentations beaucoup plus positives", explique-t-il. Les thématiques, elles, sont universelles. La peur que les sentiments ne soient pas réciproques, le chagrin d'amour, l'amitié, le soutien de la famille choisie en cas de coups durs. "Si à l'époque un ado pouvait s'identifier à un lycéen de Beverly Hills, je pense qu'il peut s'identifier aujourd’hui à un lycéen anglais dans un établissement pour garçons qui tombe amoureux d'un autre", insiste-t-il.
Si le coming out n’est plus nécessairement un axe scénaristique obligé, il reste souvent présent. Même dans des milieux jusque-là peu exploités. Netflix a mis en scène la romance du prince héritier de Suède avec un camarade de classe dans l’émouvante Young Royals, puis celle d’une jeune vampire et d’une chasseuse de vampires dans First Kill. Les Espagnols de Elite apportent eux "une représentation qui était quasiment absente" avec des scènes de sexe gays très explicites. Disponible sur MyCanal, la série Génération se déroule comme beaucoup dans un lycéen américain. Sauf qu’une minorité des personnages sont hétérosexuels. "Je ne suis pas sûr qu’elle aurait été complètement possible il y a dix ans", note Fabien Randanne.
Le déclic "Love, Simon"
Alors, d’où vient ce sursaut ? En 2018, Hollywood se décide enfin à faire d’un adolescent gay le héros d’une comédie romantique grand public. Avec toujours un récit très positif, loin des drames Philadelphia et Le Secret de Brokeback Mountain. Adaptation d’un roman à succès, Love, Simon bouleverse les États-Unis avec son récit simple et son approche universelle. "Tout le monde mérite une grande histoire d’amour", martèlent les affiches. "C’est un film qui a comblé une attente, a suscité une curiosité et qui est arrivé au bon moment. Le public était au rendez-vous", souligne Fabien Randanne. De quoi donner des idées aux têtes pensantes de chez Disney qui se décident à décliner l’histoire en série après leur rachat de la Fox.
Simon cède sa place à Victor, un jeune latino issu d’une famille très pieuse qui va apprendre à mener sa propre quête d’identité. "Cette série va changer des vies", nous disait son interprète Michael Cimino un mois avant la diffusion sur Disney+ en France du tout premier épisode de Love, Victor l’an dernier. Le film Love, Simon avait déjà permis d’ouvrir des heures de discussions dans les médias, mais aussi en privé. Offrant même l’opportunité au frère de Nick Robinson, le héros du long-métrage, de dire à sa famille qu’il était gay. La série Heartstopper a eu le même retentissement. Le monde entier a été attendri par le tendre coup de foudre entre le rugbyman Nick et le timide Charlie sur Netflix. Nés dans les romans graphiques de l’autrice queer Alice Oseman, ces personnages auront droit à deux saisons supplémentaires et ont été loués sur les réseaux sociaux par toutes les générations.
Le phénomène "Heartstopper"
"C’est la série que nous aurions aimé voir à la télévision dans les années 80. Nous n’avions pas beaucoup de modèles à l’époque. Même si l’époque était différente, elle aurait pu aider de nombreux adolescents qui se posaient des questions sur leur sexualité : comment aborder le sujet avec son entourage ? Comment ne pas avoir peur d’être soi-même ou tout du moins mieux vivre la découverte de son homosexualité ?", témoigne auprès de nous Sébastien, 51 ans. "Si je ne suis pas jaloux, j’estime que les jeunes gays d’aujourd’hui sont chanceux de pouvoir s’identifier à des personnages simples et profiter de cette expérience pour vivre comme ils le souhaitent", admet-il.
Le vote du mariage pour tous en France n’a pas fait disparaître les discriminations ni l’homophobie. "Il y a encore des résistances au sein de la société. Ces séries donnent peut-être l’impression que c’est facile aujourd’hui d’être un jeune homo mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Des adolescents ont peur de faire leur coming out, d’autres sont harcelés à l’école", insiste Fabien Randanne, évoquant aussi le nombre important de suicides chez les jeunes LGBTQIA+. Au-delà de l’orientation sexuelle, la question du genre est aussi traitée dans ces séries. La douce Heartstopper et l’impitoyable Euphoria mettent en lumière deux héroïnes transgenres incarnées par des actrices transgenres.
Opportunisme et queerbaiting
L’essor des plateformes contribue à cette meilleure visibilité de la communauté LGBTQIA+. C’est aussi là que se retrouve le public cible de ces séries. SKAM en France est par exemple diffusé en ligne sur FranceTV Slash. Mais ce coup de projecteur peut être à double tranchant. Alors qu’elle produit de nombreuses séries LGBTQIA+, Netflix a affiché son soutien à l’humoriste américain Dave Chappelle quand il a été accusé de transphobie.
Aux États-Unis, le groupe Disney a d'abord choisi de diffuser Love, Victor sur sa plateforme plus adulte Hulu avant de rebasculer sur Disney+ pour la troisième saison dès le 15 juin. Sans doute après avoir compris la nécessité de proposer cette série aux plus jeunes également. Et puis il y a cet opportunisme sous-jacent qui porte un nom : le queerbaiting. Une technique marketing qui consiste à faire croire qu’un personnage ou une histoire queer seront représentés sans que ça ne soit effectivement le cas. Dernier exemple en date ? La très populaire de Stranger Things, qui laisse planer le doute sur la sexualité de Will, l'un de ses ados.