BILLET D'HUMEUR – Du 6 au 17 juillet, je vous raconte depuis la Croisette la 74e edition du Festival de Cannes de l'intérieur, entre coups de cœur et coups de griffes.
Le 74e Festival de Cannes ouvre ses portes ce soir, après une année blanche pour cause de pandémie planétaire. L'affiche s'annonce alléchante, avec la projection du très attendu Annette de Leos Carax avec Marion Cotillard et Adam Driver. Reste que depuis mon premier séjour sur la Croisette, j’entends à peu près toujours la même chose de la part de mes confrères. Des trucs du style : "Tu sais, c’est plus pareil, avant il y avait des stars, des vraies, et puis jamais Delon n’aurait accepté de monter les marches en même temps que l'autre starlette de téléréalité, comment s’appelle-t-elle déjà ?". Vous voyez de qui je parle et si ce n’est pas le cas, peu importe.
La vérité, c’est que si la définition du glamour a évolué au fil du temps, et pas forcément pour le meilleur, la mission du plus célèbre festival consacré au Septième art reste, elle, inchangée : défricher, révéler, consacrer le meilleur du cinéma d’auteur, un terme que j’oserais résumer aujourd’hui à "tout sauf des blockbusters américains et des comédies françaises". Ça laisse quand même de la marge, non ?
"Je crois qu’on n’a pas vu le même film"
Débarquer à Cannes, c’est la promesse d’assister à la révélation d’un futur classique du Septième art, voire plusieurs les bonnes années, et souvent pas ceux auxquels on s’attend. C’est aussi bâiller, trépigner, puis s’étriper à la sortie d’une projection avec un confrère qui n’a pas du tout le même avis que vous et auquel, à court d’arguments avant de recourir à la force, on finira par lâcher sur un ton à peine méprisant : "Je crois qu’on n’a pas vu le même film".
Qu’on ressorte ému, en colère, en extase ou à moitié endormi, il y a un point sur lequel tous les festivaliers s’accordent, par-delà les nationalités : la magie d’une séance collective devant un grand écran. Et sur ce point précis, Cannes fait aujourd’hui figure de village gaulois en refusant à Netflix les honneurs de la compétition. Motif officiel, encore avancé ce lundi en conférence de presse par Thierry Frémaux ? Le règlement du festival impose que les films en lice pour la Palme sortent en salles en France. Or d’après le délégué général, la plateforme rebelle refuserait toujours de s’y soumettre.
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C’est un brin hypocrite, voire carrément mensonger puisqu’en réalité la chronologie des médias spécifique à la France sépare de 36 mois une sortie en salles et une diffusion sur une plateforme de streaming payant. Bref, c'est la loi qui s'oppose au modèle économique de Netflix qui dans tous les autres pays du monde, peut cumuler sortie en salles et en streaming le même jour sans que personne ne bronche. Si le délai sera bientôt raccourci chez nous, en échange d’une contribution à la production made in France, l’inflexibilité de Cannes donne la sensation que le festival vit dans une bulle hors du temps. Sinon coupée du monde...
Pour certains experts de la profession, la situation est intenable, voire suicidaire. Ils ont peut-être raison… Ou pas. Parce que voir un film, ce n’est pas qu’une affaire d’algorithmes. C’est au contraire se laisser convaincre par le bouche-à-oreille, par les critiques dans la presse, par la beauté d’une affiche. Dans notre monde hyper connecté ou il faut décider toujours plus vite, Cannes défend l’idée qu’il ne faut pas avoir peur de s’asseoir devant un film d’un réalisateur qu’on déteste. Qui aborde un sujet a priori rébarbatif sur le papier. Ou qui a été tourné dans une langue dont on ne parle pas un traître mot. Ça ne fait pas de mal, même si parfois ça pique un peu, et on peut avoir de belles surprises à l'arrivée...