En salles ce mercredi, "Le Jeune Imam" s’inspire de l’histoire vraie d’une arnaque aux pèlerinages à la Mecque.Un drame pour lequel le réalisateur Kim Chapiron a passé plusieurs mois en immersion, entre mosquées et écoles coraniques.L’ex-enfant terrible du cinéma français raconte à TF1info les coulisses de ce projet à la dimension politique assumée.
C’est l’un des membres les plus discrets – mais pas le moins doué – du collectif Kourtrajmé. Quelques mois après l’explosif Athena de Romain Gavras, Kim Chapiron propose un regard bien différent sur la banlieue avec Le Jeune Imam, un drame co-écrit par Ladj Ly, le réalisateur des Misérables. Ali, son héros, est un ado d’origine malienne, renvoyé au pays par sa mère célibataire, excédée par ses écarts de conduite à répétition.
Dix ans plus tard, après avoir suivi l’enseignement d’une école coranique, Ali devient l’imam de sa cité de Seine-Saint-Denis. Grisé par sa popularité, il se lance dans l’organisation de pèlerinages à la Mecque… À ses risques et périls. Conte cruel, Le Jeune Imam s’inspire d’une série d’arnaques qui ont frappé la communauté musulmane en France ces dernières années. Un sujet qui tient à cœur à son auteur, qui revendique l’approche politique de son travail…
On vous a découvert avec le film d’horreur Sheitan en 2006. Le Jeune Imam, qui sort mercredi, n’a plus rien à voir dans la forme. Mais sur le fond, êtes-vous toujours le même réalisateur ?
Je suis la même personne, oui. Avec la même volonté de toucher le cœur des gens par tous les moyens. La même volonté de bouleverser, de remuer, de court-circuiter. Après, j’opère de manière différente. Mais l’impulsion est la même. J’ai ce besoin de proximité avec mes sujets. Le besoin d’honnêteté. C’est très honnête d’être punk à 25 ans. Aujourd’hui, j’ai peut-être moins besoin de secouer. Mon ami Mouloud Achour dit que j’ai fait la paix avec ma guerre. Mais je garde les mêmes combats. Entre temps, je suis devenu père. Et ce que je cherche à transmettre, je le fais sans doute d’une autre manière.
J’ai passé deux ans dans les mosquées, en France comme en Afrique, dans des écoles coraniques, aussi bien avec les imams qu’avec les fidèles
Kim Chapiron
Le Jeune Imam est seulement votre quatrième long-métrage. Avez-vous besoin de prendre le temps de trouver la bonne histoire pour tourner ?
C’est vrai que c’est très espacé entre mes films. Pour Dogpound, le deuxième, je suis parti pendant un an à la découverte des prisons juvéniles aux États-Unis. Pareil pour La Crème de la crème qui se déroulait dans l’univers des grandes écoles et pour lequel j’ai passé pas mal de temps à HEC. Tout ça n’est qu’un vaste prétexte. Je vis des émotions très fortes et je mets autant d’importance dans le moment où je prépare des projets, que le moment où je le réalise, je le monte, où j’en fais la promo comme aujourd’hui. Ce sont des moments de vie. Pour Le Jeune Imam, j’ai passé deux ans dans les mosquées, en France comme en Afrique, dans des écoles coraniques, aussi bien avec les imams qu’avec les fidèles.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous plonger dans cet univers-là ? Est-ce l’histoire des arnaques aux pèlerinages dont le film s’inspire ? L’envie de parler de l’Islam aujourd’hui en France ?
L’étincelle, elle vient du scénario qu’on a écrit avec Ladj Ly et de ce personnage d’Ali Diallo, ce jeune imam qui se retrouve au cœur d’une arnaque aux pèlerinages. Quelqu’un qui va passer de la personne la plus aimée à la personne la plus haïe de sa communauté en l’espace de quelques heures. C’est on ne peut plus tragique et ça nous permettait d’exprimer des émotions cinématographiques très puissantes.
Si des gens me disent qu’ils ont mis pour la première fois les pieds dans une mosquée grâce à mon film, j’ai gagné ma journée !
Kim Chapiron
Mais ce jeune imam, il existe vraiment ?
Au départ, on s’est inspiré d’un premier imam qui a été victime d’une arnaque de ce type en France. Mais quand on a commencé à faire des recherches, on nous a demandé s’il s’agissait de l’imam de Limoges. Et en fait non. On nous a ensuite demandé s’il s’agissait d’un imam de la banlieue de Lyon. Non plus. Petit à petit, on est rentré dans plein d’histoires de ce type que personne ne connaît. Et le cinéma sert aussi à ça. On voulait raconter ça de manière la plus réaliste possible, dans une famille malienne, mais avec la dramaturgie du film de genre. Un peu à la manière de l’Iranien Asghar Farhadi. Ce que je voulais aussi, en tant que non musulman, c’est rendre hommage à ce rapport à la religion extrêmement apaisé, qui représente l’immense majorité silencieuse des musulmans. Je considère que c’est l’une de mes missions, dans une atmosphère "saturée" où la religion est au cœur de débats essentiellement polémiques. Pour moi, la démarche est aussi bien artistique que politique.
À la sortie d’Athena, Romain Gavras que vous connaissez bien défendait une approche d’abord esthétique de son travail. Chez vous, la dimension politique est clairement assumée ?
Absolument. Il y a 1,7 milliard de musulmans dans le monde. Peut-on parler de cette majorité silencieuse qui vit sa religion de manière pacifique de façon quotidienne ? Pourquoi les grains de sable seraient-ils au centre de l’attention ? Pourquoi cette confusion ? Pour moi, comme pour Ladj Ly qui est musulman, raconter les héros ordinaires de cette religion était essentiel.
Comme Les Misérables de Ladj Ly, Le Jeune Imam emmène le spectateur dans des quartiers de France qu’on voit peu au cinéma…
Moi, regarder des choses que je ne connais pas, c’est ce que je préfère en tant que spectateur. Si des gens me disent qu’ils ont mis pour la première fois les pieds dans une mosquée grâce à mon film, j’ai gagné ma journée !
Le héros du film reste ambigu jusqu’au bout. Il commet des erreurs tragiques. Mais on ne peut jamais totalement le détester, non ?
Parce qu’il est profondément humain ! On va le regarder se tromper, on va le regarder dans son côté naïf et impulsif lié à la jeunesse. Qui dit Imam, dit guidance. Et appeler notre film Le Jeune Imam, c’est raconter l’apprentissage de la guidance. Or pour apprendre, il faut faire des erreurs. En le regardant se tromper, on s’interroge sur ses intentions. Dans le film, son aîné, l’imam Abdelaziz, dit d’ailleurs que les actions ne valent que par leurs intentions. Cette sagesse millénaire des religions du Livre me passionne.
>> Le Jeune Imam de Kim Chapiron. Avec Abdulah Sissoko, Hady Berthe, Issaka Sawadogo. 1h38. En salles mercredi.
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