FOCUS - Créateur britannique des grinçantes séries "The Thick of it" et "Veep", Armando Iannucci est décrit par The Daily Telegraph comme un "héros de la satire politique". Sa dernière réalisation, "La Mort de Staline", comédie inspirée de faits réels en salles ce mercredi, dissèque la monstruosité des hommes par le rire. Portrait d'un artiste hors-pair.
Huit ans après le tordant In The Loop, Armando Iannucci, à qui l'on doit les séries The Thick of it et Veep, revient au cinéma avec La Mort de Staline, adaptation de la bande-dessinée de Fabien Nury et Thierry Robin (éd. Dargaud). Un film racontant ce qui s'est passé au moment de la mort du Petit père des peuples, avec tous les compagnons de route le laissant crever, partagés qu'ils étaient entre la crainte d’être purgés et l’espoir de lui succéder.
Cette farce trempée dans l'humour noir sonnant le glas de l’épisode central de l’histoire soviétique nous détaille la déstalinisation à travers le huis-clos lugubre des caciques du Politburo. Et c'est souvent fort drôle.
"The Thick of It" et "Veep", deux séries cultes au compteur
Aux commandes de cette satire à ambition discursive, l'as des as dans le genre, un chantre de la comédie anglo-saxonne : Armando Iannucci. Un nom qui, peut-être, ne vous dit rien mais dont vous avez sans doute déjà découvert les productions. Comme Scorsese, l'auteur écossais pensait devenir prêtre avant de bifurquer cinéaste. Drôle, de préférence.
Il a tout d'abord fait ses armes à la radio dans la série On the Hour, avec le non moins provocant Chris Morris (la série Jam et le film We are four lions) et le comédien Steve Coogan. Mais c'est en 2005 que tout explose : dans un premier temps avec les séries devenues cultes The Thick of It, sur BBC, et Veep, dans laquelle joue une Julia Louis-Dreyfus impeccable en vice-présidente américaine paumée dans la béance de sa fonction - la comédienne qualifiant l'auteur de "meilleur créateur de télévision vivant".
De la satire percutante façon Molière
A la manière d'un Molière dans la langue de Shakespeare, Armando Iannucci transpose ce qu'il faisait dans ses séries télévisées au cinéma, pratiquant la même forme du "mockumentaire" (le documentaire parodique) et carburant au même humour troupier sur le cirque du monde politique, celui épinglant les tartufes tous azimuts.
Adaptation d'une série de la BBC The Thick of It, In the loop s'impose comme son coup d'essai. Les vannes fusent, le rythme est effréné et le résultat, absolument jouissif, frappe là où ça fait mal et le fait bien.
En interview, Iannucci nous assure : "J'aime penser qu'il y a là un propos universel et en jetant un regard sur les gens du "milieu", les bureaucrates, il y a cette volonté de montrer des gens ayant de hautes responsabilités mais se comportant comme n'importe quel employé de bureau. Ils ont peur de faire une erreur, d'être démasqués. Quand on voit les erreurs qui ont été commises et la petitesse avec laquelle elles ont été commises, soit on en tire quelque chose de terrible et déprimant soit on en fait une farce... Et c'est ce que j'ai fait. Il me semble que la comédie permet de scruter un sujet ordinaire mais d'un angle original et on en tire peut-être des visions plus rafraîchissantes ou neuves."
In The Loop fait mouche, à tel point que le film est nommé à l’Oscar du meilleur scénario adapté.
La réalité est déjà une farce... Plus c'est vrai, plus l'effet comique est réussi.
Armando Iannucci
Avec La mort de Staline, observant la lutte folle des hauts placés du parti communiste pour s’emparer du pouvoir après la mort de Staline en 1953, Iannucci, fort du chaos du monde actuel (Trump, Brexit etc.), procède de la même façon que sur ses précédentes créations : transmuer les furies rythmiques de The Thick of It et Veep dans le cadre de la terreur stalinienne.
A dire vrai, il valait mieux en rire... En amont du tournage, Armando Iannucci s'est documenté sur le Moscou des années 1940 et 1950 et a pu constater à quel point cette époque était abominable, chacun connaissait quelqu’un qui avait été envoyé au goulag ou qui avait été exécuté. "Pour supporter une telle situation, des recueils de blagues circulaient sur Staline et Beria. Ces recueils étaient très populaires mais on aurait été exécutés si on était pris en possession d’un exemplaire. Cette tension est si effrayante que ça en devient étrangement comique, d’une manière légèrement hystérique. Notre intention était de réaliser un film drôle qui désarçonne".
Bien joué. Cette réflexion sur le pouvoir et comment il rend les bipèdes bêta a si bien désarçonné qu'elle a aussi été tout simplement interdite d’exploitation en Russie. Autant de bonnes raisons pour se précipiter en salles ce mercredi.