Le Nobel de littérature va-t-il être décerné à une opposante à Vladimir Poutine ?

par Jérôme VERMELIN avec AFP
Publié le 3 octobre 2023 à 13h04

Source : Sujet TF1 Info

Le nom de la romancière russe Ludmila Oulitskaïa, 80 ans, revient avec insistance à 48 heures de la remise du Nobel de littérature.
Depuis le printemps 2022, cette farouche opposante à Vladimir Poutine a quitté son pays pour s’installer à Berlin.
Née sous Staline, elle dénonce depuis plusieurs années les opérations militaires du Kremlin en Ukraine.

C’est la plume russe vivante la plus lue à l’étranger. Un an après le sacre de la Française Annie Ernaux, la romancière Ludmila Oulitskaïa, 80 ans, figure parmi les noms qui reviennent le plus souvent chez les pronostiqueurs à l’approche de la remise du prix Nobel de littérature, ce jeudi à Stockholm. "La choisir prouverait que la littérature reste libre face à la politique", estime auprès de l’AFP Lisa Irenius, le cheffe du service culturel du quotidien suédois Svenska Dagbladet.

Née en 1943 dans l'Oural où ses parents avaient été évacués pendant la guerre, Ludmila Oulitskaïa a grandi à Moscou et fait des études de biologie et de génétique. En 1970, époque où Léonid Brejnev impose un contrôle draconien sur la vie politique, idéologique et culturelle en URSS, elle perd sa chaire de génétique en raison de sa proximité avec des dissidents.

Je ressens de la honte, de la douleur et de la peur
Ludmila Oulitskaïa l'an dernier dans "Télérama"

C'est après avoir perdu son travail qu'elle se lance dans la littérature, devenant l'auteure prolifique de romans, nouvelles, pièces de théâtre et scénarios de films. Ses premiers livres, Les pauvres parents et Sonietchka, ont été publiés en France avant de trouver un éditeur en Russie. Depuis, son œuvre a été traduite dans de nombreuses langues et couronnées par de prestigieux prix littéraires dans le monde. Son dernier roman, Le corps de l'âme, est paru chez nous chez Gallimard en avril 2022.

Dans son pays, Ludmila Oulitskaïa est une opposante de longue date au régime de Vladimir Poutine, n’hésitant pas à soutenir les artistes emprisonnés ou poursuivis depuis son accession au Kremlin à l’image de Kirill Serebrennikov, le réalisateur de La Femme de Tchaïkovski, longtemps assigné à résidence pour une sombre histoire détournement de fonds publics. Comme ce dernier, elle a quitté la Russie quelques jours après l’invasion de l’Ukraine pour s’installer à Berlin.

En 2012, Ludmila Oulitskaïa participait à une manifestation à Moscou contre le retour de Vladimir Poutine au pouvoir.
En 2012, Ludmila Oulitskaïa participait à une manifestation à Moscou contre le retour de Vladimir Poutine au pouvoir. - AFP

"Je ressens de la honte, de la douleur et de la peur", expliquait-elle l'an dernier à Télérama. "De la honte pour notre pays et pour nous qui n’avons pas été capables d’agir sur l’agressivité de notre État. De la douleur pour ceux qui, des deux côtés, ont déjà été tués dans des actions militaires, pour leurs familles et leurs proches. La peur que la folie des dirigeants, ou plus exactement du dirigeant de notre pays, entraîne le monde dans une nouvelle guerre qui sera peut-être la dernière pour l’humanité."

Dès 2014, Ludmila Oulitskaïa avait co-signé une lettre d’écrivains appelant le Kremlin à "arrêter son jeu dangereux" en Ukraine. À cette époque, ses critiques du pouvoir russe lui avaient valu d’être attaquée en justice suite à la parution d’une collection de livres sur la famille qu’elle dirigeait et qui mentionnait l'homoparentalité. La Russie a adopté en 2013 une loi punissant la "propagande homosexuelle" devant les mineurs de peines d'amende et de prison.

En avril 2016, de jeunes militants pro-Poutine s'en sont pris à la romancière, lui jetant des oeufs et du liquide antiseptique vert alors qu’elle participait avec des collégiens à un concours littéraire organisé par Mémorial, principale ONG de défense des droits de l'Homme en Russie. "Nous vivons ici. Ce sont nos conditions de vie. Nous pouvons nous réjouir du fait que ce n'était que du liquide antiseptique, pas de l'acide sulfurique", avait-elle réagi alors.


Jérôme VERMELIN avec AFP

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