Interview

Marc Roussel, co-réalisateur de "Slava Ukraini" : "Bernard-Henri Lévy ose se frotter au terrain"

Publié le 22 février 2023 à 8h00, mis à jour le 22 février 2023 à 12h03

Source : JT 20h Semaine

Dans "Slava Ukraini", en salles ce mercredi, Bernard-Henri Lévy part à la rencontre du peuple ukrainien.
Un documentaire engagé qui sort à quelques jours du premier anniversaire de l'invasion russe.
Son co-réalisateur, le photographe de guerre Marc Roussel, raconte sa collaboration unique avec le philosophe.

Il accompagne Bernard-Henri Lévy depuis son périple en Libye, raconté dans Le Serment de Tobrouk en 2011. Photographe de guerre expérimenté, Marc Roussel était à ses côtés au début de l'invasion russe de l'Ukraine, il y a bientôt un an. Après un premier documentaire, diffusé l'été dernier sur Arte, ils y sont retournés pour filmer la contre-offensive de l'armée de Volodymyr Zelenski. En salles ce mercredi, Slava Ukraini est un carnet de bord engagé à l'image du philosophe dont l'ami proche défend la démarche auprès de TF1info.

Slava Ukraini est le prolongement de votre travail commun sur Pourquoi l’Ukraine diffusé sur Arte. Était-ce une évidence de continuer à tourner et d’en tirer ce film pour le cinéma ?

Nous avons tourné Pourquoi l’Ukraine dès le début de la guerre, fin février. Sous l’effet de surprise, même si les services secrets américains et britanniques avaient averti le monde entier d’une potentielle intervention russe. Le début de la contre-offensive ukrainienne nous a motivé à repartir pour réaliser ce second film qui raconte la reprise assez stupéfiante des territoires pris par l’armée russe. C’est d’autant plus naturel que c’est le fruit d’une collaboration de plus de dix ans. On a fait notre premier film ensemble en Libye en 2011. Puis en 2020, nous avons tourné Une autre idée du monde qui était déjà consacré en partie à l’Ukraine puisqu’il s’agissait d’un petit tour du monde des guerres oubliées.

Bernard-Henri Lévy l’a dit à maintes reprises : l'Ukraine est un rempart contre Poutine, pour la sauvegarde de l’Europe, de nos intérêts et de notre mode de vie
Marc Roussel

L’Ukraine aujourd’hui n’est plus oubliée. Elle est même filmée H24 par les télés du monde entier. Que vouliez-vous apporter, montrer, dire de différent avec ce film ? 

Slava Ukraini est un film militant, contrairement à ce qu’on peut voir à la télé. C’est un film qui affiche un parti pris, qui revendique une subjectivité. L’idée, c'est de sensibiliser et de mobiliser les opinions publiques à la nécessité de soutenir l’Ukraine. Bernard l’a dit à maintes reprises : c’est un rempart contre Poutine, pour la sauvegarde de l’Europe, de nos intérêts et de notre mode de vie. C’est aussi un film de cinéma, relativement pudique, avec quasiment aucune scène de combat. Il est également plus humain que la plupart des reportages télé dans le sens où nous avons consacré du temps aux personnes que nous avons rencontrées. Cette humanité, elle est là pour dire au public occidental : n’abandonnez pas l’Ukraine.

Votre périple était-il très préparé à l’avance ? Ou bien aviez-vous laissé la place à une part d’improvisation, notamment lors des rencontres avec les civils ? 

Les déplacements sont effectivement prévus à l’avance pour des raisons de sécurité. Mais comme nous étions une petite équipe, nous restions très mobiles et les rencontres dont vous parlez sont toutes improvisées. Je me rappelle à Koupiansk, à Izium ou Lyman, nous arrivions dans des quartiers presque entièrement déserts. Les hommes étaient partis se battre, les jeunes femmes avaient quitté l’Ukraine avec les enfants. Ne restait bien souvent que ces femmes plus âgées qui n’ont pas voulu abandonner leur ville. Dans ces moments-là, rien n’est préparé et c’est l’intérêt de la chose : il y a une vraie sincérité dans la rencontre et dans le propos.

Marc Roussel

À plusieurs reprises, l’équipe est contrainte de se mettre à l’abri. Vous êtes-vous sentis en danger au cours du tournage ?

Il est arrivé à Kherson ou à Bakhmout qu’on se retrouve dans des situations un peu tendues. Clairement. Nous avons alors dû abréger notre présence. Mais je dois dire qu’on partage avec Bernard-Henri Lévy ce point commun : on a rarement peur. Ce n’est pas de la forfanterie. C’est lié en partie à l’expérience, car nous avons passé beaucoup de temps l’un comme l’autre sur des zones en guerre. C’est aussi un état d’esprit, une forme de confiance. La peur, c’est quelque chose qu’il faut savoir entendre. Ça nous arrive. Mais assez rarement. On a peut-être une bonne étoile même si je déteste dire ça.

Bernard-Henri Lévy est un philosophe qui estime nécessaire d'aller sur le terrain. Que répondez-vous à ceux qui estiment qu’il n’est pas à sa place ? 

Moi je crois au contraire qu’il est tout à fait à sa place. Et j’invite tous les intellectuels de salon à prendre leur besace et à se frotter au terrain. Il est l’un des rares, voire le seul à oser le faire. La philosophie de terrain, telle qu’il la pratique, je trouve regrettable que les gens se permettent de la critiquer sans bouger de leur fauteuil. Qu’ils viennent ! Qu’ils aillent en Ukraine, dans le Donbass voir ce qu’il s’y passe. Et ils pourront commenter derrière. C’est un vieux débat, lié au fait que Bernard est un personnage clivant. Et je ne parle même pas de la chemise blanche et du costume noir…

Il a décidé une bonne fois pour toutes qu’un costume noir et une chemise blanche, c’était élégant et que ça convenait à toutes les situations
Marc Roussel

Justement. BHL, c’est aussi un personnage avec un look, une élégance, un certain charisme. Comment le filme-t-on sur le terrain sans que ça devienne too much ?

C’est simple : il faut oublier qu’il a un costume noir et une chemise blanche ! Ce qui m’intéresse, ce n’est pas son aspect extérieur, c’est son engagement, son humanité, ses prises de position, ses analyses. Son look ne change rien à sa manière de le filmer ou de le photographier.

Mais il y a tout de même une esthétique. À l’image, ça ne donne pas la même impression que s’il était en treillis. Ça dit même quelque chose…

Ça dit quelque chose, oui. Mais pour le connaître assez bien, il n’a aucun intérêt pour ça. Il a décidé une bonne fois pour toutes qu’un costume noir et une chemise blanche, c’était élégant et que ça convenait à toutes les situations. À partir de là, il considère qu’il n’a pas à se travestir sous prétexte qu’il va sur un terrain de guerre.

C’est l’inverse qui serait artificiel ?

Absolument. Si demain il arrivait en Rambo avec un blouson de cuir et un pantalon plein de poches, ce serait ridicule. Lui estime qu’il n’a pas à modifier sa tenue vestimentaire et que c’est une forme de respect pour les gens qu’il rencontre, que ce soient des présidents ou la petite babouchka de Lyman. Il ne veut pas faire de différence.

Marc Roussel

Pour revenir au message du film, que souhaitez-vous que les spectateurs retiennent ? L’urgence à soutenir l’Ukraine, surtout après les dernières déclarations de Vladimir Poutine qui ne semble rien lâcher ? 

Le grand risque de cette guerre, c’est la grande lassitude qui pourrait naître en Europe, aux États-Unis, chez les Occidentaux en général. L’opinion publique pourrait faire qu’à un moment donné, on lâche les Ukrainiens. Le message de ce film, c’est justement de ne pas lâcher. Parce que ce peuple est un rempart contre Poutine. Il faut soutenir l’Ukraine, lui livrer le matériel, les armes dont elle a un besoin. Je ne suis pas un belliciste, mais il faut se rendre à l’évidence. Si on ne le fait pas, demain l’Europe peut se retrouver face à la Russie.

Vous serez avec Bernard-Henri Lévy à Kiev le 24 février pour le premier anniversaire du conflit. Envisagez-vous de réaliser un troisième film sur le sujet ? 

Pour être très honnête, nous n’en avons pas encore parlé l’un avec l’autre. Mais je sais qu’il a ça en tête et moi aussi. Nous avons fait deux films qui correspondent à des phases distinctes de la guerre. La première, c'était l’invasion russe d’un pays souverain sans motif apparent. La seconde, c'est donc la contre-offensive ukrainienne. Là, nous sommes très clairement entrés dans une troisième phase. L’armée russe se ressaisit un peu, elle se remobilise, et dans le même temps l’armée ukrainienne reçoit un soutien de plus en plus important des puissances occidentales. On a l’impression que le conflit va monter d’un cran. Et en même temps, je pense qu’on se dirige vers une victoire de l’Ukraine. Il n’y a pas d’autre issue. Et forcément, ça appelle un troisième film.

>> Slava Ukraini de Marc Roussel et Bernard-Henri Lévy. 1h35. En salles ce mercredi


Jérôme VERMELIN

Tout
TF1 Info