ON AIME – En librairie le 7 janvier, "Anéantir" marque le retour de Michel Houellebecq aux affaires, trois ans tout juste après Sérotonine. Nous l’avons lu en avant-première. Entre satire acerbe de la vie politique et thérapie de choc d’un couple en crise, il est à la hauteur de la réputation de son auteur.
Et si la réalité était devenue plus angoissante qu’un roman de Michel Houellebecq ? On vous prévient tout de suite : si la maladie rôde à tous les chapitres ou presque d’Anéantir, le Covid n’existe pas dans ce gros pavé de plus de 700 pages. Ce qui ne veut pas dire que son auteur est désormais déconnecté du monde qui l’entoure, au contraire. Mais avec son humour grinçant et son sens de la formule intact, l’auteur de La Carte et le Territoire a peut-être trouvé le sérum pour nous faire mordre dans la nouvelle année en ayant (un peu) moins mal au crâne.
Comme on pouvait s’y attendre, la vie politique de la France l’inspire toujours autant. Son regard sur la prochaine élection présidentielle ? C’est tout vu puisque l’intrigue débute courant 2026, à la fin du deuxième mandat du président sortant. Si le nom d’Emmanuel Macron n’est jamais cité dans ce très gros, les allusions à l’actuel locataire de l’Élysée ne laissent guère de place au doute. On se rappelle que dans Soumission, paru en janvier 2015, l’écrivain imaginait l’élection d’un président musulman face à Marine Le Pen en 2022. D’une dystopie à l’autre, c’est un paysage politique un peu plus crédible qu’il a inventé cette fois.
Un ticket inédit en 2027 face au RN
Ne pouvant briguer un troisième mandat consécutif, "le président" décide de passer son tour en adoubant Benjamin Sarfati, un animateur de TF1 qui a supplanté Cyril Hanouna dans le cœur des téléspectateurs, ce dernier ayant "explosé en plein vol" après un scandale à la #MeToo. Charismatique, mais inexpérimenté, il formera un ticket à l’américaine avec le ministre de l’Économie, un certain Bruno Juge, afin de battre le jeune candidat du RN, le premier à ne pas porter le nom Le Pen. Si le lecteur s’amusera à chasser les ressemblances au fil du récit, l’essentiel est ailleurs puisque Anéantir dresse d’abord le portrait de Paul Raison, un haut fonctionnaire de Bercy dont le patronyme savoureux en dit long.
Entre deux rêveries bizarroïdes, ce presque quinquagénaire constate avec impuissance le délitement de son couple puisqu'il fait chambre à part avec Prudence, son épouse qui ressemble à Carrie-Ann Moss, l’interprète de Trinity dans Matrix dont les posters ornaient sa chambre d'ado. Si bien que lorsqu'une vidéo simulant la décapitation de Bruno est envoyée au ministère, on se dit que Houellebecq va nous embarquer dans un techno-thriller digne de la saga des Wachowski, fraichement ressuscitée au cinéma.
Une famille (pas très) formidable
Mais c’est un autre événement qui va faire basculer le récit. Son père, un ancien grand ponte de la DGSI, ayant été victime d’un AVC, Paul doit se rendre à son chevet, à Lyon. C'est le début d’un pèlerinage intime qui le verra croiser la route de sa belle-mère, Madeleine, avec qui il n'a jamais échangé plus de trois mots, mais aussi de sa sœur Cécile, cuisinière à domicile, catho fervente et mariée à Hervé, un notaire au chômage. Ils sont tous les deux électeurs du RN. Mais la proximité de Paul avec le président sortant ne semble pas leur poser de problème.
Il y a également le jeune frère, Aurélien, un restaurateur de tapisseries anciennes qui partage la vie d'Indy, une journaliste bobo en mal de scoop qui a quitté Le Figaro parce qu’elle avait "vraiment du mal avec les éditoriaux de Zemmour". Leur fils métisse, fruit d'une GPA, prend moins de pincettes : "C'est un bâtard de sa race !", lâche-t-il au sujet de l'éditorialiste devenu candidat. Mais ça, c'est dans notre réalité à nous.
Mi-moqueur, mi-désabusé, Paul est le double évident de l’écrivain, même s’il affiche 15 ans de moins au compteur. À travers lui, Michel Houellebecq rejoue une petite musique connue, celle de l’effondrement de l’Occident, vampirisé par le néolibéralisme et la société de consommation qui va avec. Sa seule vraie colère, au fond, est dirigée en direction des Ehpad, "des mouroirs ignobles", symboles, selon lui, du mépris de l’époque pour toute forme de vieillissement, qu'il soit physique ou intellectuel.
Dans Anéantir, l’économie a supplanté toutes les valeurs, le progrès technologique n’est qu’une illusion et la politique un vague divertissement. Pour Houellebecq, au fond, chaque individu normalement constitué ferait mieux de se réconcilier avec son corps avant qu’il ne soit trop tard. "À quoi bon installer la 5G si l’on n’arrivait simplement plus à rentrer en contact, et à accomplir les gestes essentiels, ceux qui permettent à l’espèce humaine de se reproduire, ceux qui permettent aussi, parfois, d’être heureux ?", s’interroge-t-il au milieu du récit. Pas mieux.
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