#MeToo : l’affaire Sofiane Bennacer va-t-elle remettre le feu au cinéma français ?

Publié le 25 novembre 2022 à 14h21, mis à jour le 25 novembre 2022 à 15h22

Source : TF1 Info

À l’affiche du film "Les Amandiers", l’acteur Sofiane Bennacer a été mis en examen en octobre pour viols et violences sur plusieurs femmes.
Le jeune homme, qui clame son innocence, a été retiré de la liste des pré-nommés aux prochains César, dévoilée la semaine dernière.
Cinq ans après la naissance du mouvement #MeToo, cette nouvelle affaire illustre le fossé entre les générations au sein du cinéma français.

L’image est entrée dans l’Histoire du cinéma français. Le 28 février 2020, l’actrice Adèle Haenel quittait la salle Pleyel avec fracas à l’annonce du César de la meilleure réalisation remis à Roman Polanski pour J’accuse. En amont de la cérémonie, des militantes féministes avaient protesté aux abords de la salle de spectacle de la rue du Faubourg Saint-Honoré et sur scène, la maîtresse de cérémonie Florent Foresti allait multiplier les piques en direction du cinéaste franco-polonais qui avait préféré boycotter la cérémonie, comme tous les membres de son équipe.

Depuis, le cinéma français s’est officiellement promis de prendre la mesure du mouvement #MeToo. Le Centre National de la Cinématographie (CNC) organise des formations contre le harcèlement et les violences sexuelles pour les professionnels du secteur. Des référents qualifiés participent aux tournages. De son côté la nouvelle direction des César a pris une série de mesures en faveur de la parité. Même s'il a tout de même fallu attendre novembre 2020, et un nouveau tollé médiatique, pour que Roman Polanski soit exclu de la gouvernance des César...

Sur les marches de Cannes en mai dernier

Après l'affaire Judith Chemla cet été, la profession s’offre un nouveau coup de chaud qui interroge. Le 16 novembre, l’Académie des César a en effet publié la liste des 16 comédiens et 16 comédiennes prénomé(e)s aux trophées de la révélation. Parmi eux, un certain Sofiane Bennacer, 25 ans, rôle masculin principal du film de Valeria Bruni-Tedeschi Les Amandiers, sorti deux jours plus tôt sur les écrans après avoir été présenté à Cannes en mai dernier. Ce drame salué par la critique s’inspire de la propre expérience dans les années 1980 de la réalisatrice au sein de la troupe de Patrice Chéreau, incarné par Louis Garrel. 

Sofiane Bennacer, lui, interprète Etienne, le beau gosse ténébreux qui entretient une relation passionnelle avec Stella, l’héroïne jouée par Nadia Tereszkiewicz. S’il a monté les marches du Palais des Festivals en mai, le jeune homme n’a pas participé à la promo du film en France en octobre. Il était en revanche présent le même mois au Festival de Namur en Belgique, comme on peut le voir dans une interview qui figure sur YouTube. Un mystère dont on découvre l’explication ce mardi à la lecture du Parisien.

Des relations "sous emprise" selon les plaignantes

Le quotidien révèle en effet Sofiane Bennacer a été mis en examen courant octobre pour les viols présumés de deux anciennes compagnes et de violence sur une troisième. Ces jeunes femmes, qui ont évolué avec lui dans le monde du théâtre, décrivent toutes des relations "sous emprise" marquées par des rapports sexuels non consentis. L’acteur qui nie les faits, a également été placé sous le statut plus favorable de témoin assisté dans le cadre d’une quatrième plainte déposée par une autre jeune femme.

Confirmant auprès de l’AFP les informations du quotidien, la procureure de Mulhouse Edwige Roux-Morizot précise mercredi que le contrôle judiciaire du jeune homme lui interdit de se rendre à Paris et dans la région parisienne, à Strasbourg ainsi qu'à Mulhouse mais aussi de rencontrer les plaignantes et les témoins dont Valeria Bruni-Tedeschi elle-même.

Le ministère de la Culture informé en 2019

La magistrate indique également que les faits présumés ont eu lieu entre 2018 et 2019 à Mulhouse, Strasbourg et Paris. Elle précise enfin que la direction du Théâtre national de Strasbourg, où l’acteur a été admis en tant qu’élève en 2019, avait saisi le ministère de la Culture des faits de violences sexistes, sexuelles et de harcèlement dont elle avait été informée. Le ministère avait ensuite fait un signalement à la justice.

Du côté des César, le malaise est immense. Le Parisien révèle que le 16 novembre, lors des délibérations du comité des révélations, composé de 18 directeurs de casting dont 14 femmes, les rumeurs d’agressions sexuelles concernant Sofiane Bennacer ont été évoquées mais que son nom a malgré tout été retenu.

Contactée par nos confrères mercredi, la direction de l’Académie joue la montre. Puis dans la soirée, elle publie un communiqué dans lequel elle annonce sa décision de retirer l’acteur de la liste des nommés, "sans préjudice de la présomption d’innocence et par respect pour les victimes présumée".

La présomption d'innocence existe-t-elle encore ? Ou sommes-nous dans un état de non-droit, un état où la simple accusation sans fondement peut détruire une vie ?
Sofiane Bennacer sur Instagram

Le principal intéressé, de son côté, n’entend pas les choses de la même manière. Dans un message posté sur Instagram dans la nuit de jeudi à vendredi, il se dit innocent. Et lâche sa colère : "La présomption d'innocence existe-t-elle encore ? Ou sommes-nous dans un Etat de non-droit, un Etat où la simple accusation sans fondement peut détruire une vie ?", s'interroge-t-il. 

"Je vais peut-être me faire boycotter par le cinéma. De toute façon, je me suis fait humilier au plus profond de mon âme", poursuit le jeune homme. "Je vais être libre dans quelques mois car je n'ai rien fait. S'il y avait la moindre preuve contre moi, pas de simples témoignages bidons, des vraies preuves, je serais déjà en prison".

Des accusations connues dès les castings ?

Libération rajoute une nouvelle couche au dossier ce vendredi matin en publiant sa propre enquête où l’on apprend que les accusations à l’encontre de Sofiane Bennacer ont perturbé le tournage du film, en juin 2021. Les journalistes du quotidien ont interrogé ainsi une quinzaine de professionnels présents sur le plateau et plusieurs d’entre elles accusent Valeria Bruni-Tedeschi et les producteurs d’avoir protégé l’acteur en connaissance de cause.

Selon le quotidien, l’équipe aurait été mise au courant des accusations contre le jeune homme bien plus tôt, dès le mois de mars, par l’intermédiaire d’une amie de l’une des plaignantes venue passer les castings. La productrice Alexandra Henochsberg confirme avoir eu vent "d'une rumeur concernant une soirée avec son ancienne petite amie du TNS qui a mal tourné, avec un comportement violent de Sofiane."

Sofiane Bennacer à Cannes avec Valeria Bruni-Tedeschi et Nadia Tereszkiewicz.
Sofiane Bennacer à Cannes avec Valeria Bruni-Tedeschi et Nadia Tereszkiewicz. - AFP

"Fin mai 2021, décision est prise d’appeler Stanislas Nordey, qui dirige le théâtre", écrit le quotidien. Ce dernier affirme aujourd’hui avoir évoqué un "viol" avec la production du film, ce que cette dernière dément. Tout comme elle affirme ne pas avoir été informée de l’existence d’une plainte. Le tournage débutera finalement le 3 juin comme prévu.

Interrogé ce vendredi matin sur France Inter, le co-producteur Patrick Sobelman s’est, lui aussi, défendu d’avoir "orchestré la moindre omerta" sur le cas Sofiane Bennacer avant ou pendant les prises de vue. Selon lui, il était de toute façon "absolument impossible d'arrêter le tournage et de virer Sofiane pour une raison très simple. Nous n'avions aucune base juridique pour faire ça".

Si elle laissera sans doute des traces, cette nouvelle polémique souligne le clivage entre deux générations qui n’ont visiblement pas la même appréciation des questions soulevées depuis 2017 par l’affaire Weinstein. Dans Libération, une alternante rapporte une confrontation directe sur le sujet avec Valeria Bruni-Tedeschi, durant le tournage, en compagnie de plusieurs collègues. 

"On lui a expliqué ce n’était pas un taf anodin, qu’il allait y avoir une répercussion médiatique et que c’était valider le fait d’engager des mecs accusés de violences sexuelles", raconte-t-elle. "Valéria a été très claire : elle nous a dit que pour elle, il n’y avait aucun problème".  

Devant l’ensemble de l’équipe, mais en l’absence du principal intéressé, elle aurait même donné cette consigne surréaliste : "Elle nous a dit qu’il ne fallait pas que Sofiane sente que l’équipe était au courant ou que ça change nos comportements, rapporte l'alternante. C’était une bonne claque dans la gueule".


Jérôme VERMELIN

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