De Beyoncé à Madonna, pourquoi acheter des billets de concert est presque devenu mission impossible

Publié le 9 février 2023 à 18h58

Source : JT 20h WE

Pour espérer décrocher une place au concert de Beyoncé, près de 300.000 personnes étaient connectées ce mardi 7 février.
Il y avait pourtant moitié moins de places disponibles pour les deux concerts français de Queen B au printemps.
Un phénomène impressionnant, mais pas isolé, qui semble se jouer à chaque spectacle de grands artistes internationaux.

Certains se sont souhaités bonne chance. D’autres, de "Joyeux Hunger Games", clin d’œil aux romans de Suzanne Collins dans lesquels des adolescents participent à une compétition mortelle remportée par l’unique survivant. Les internautes n’ont pas manqué d’humour au moment de partir en quête du Graal musical de l’année : un billet (ou deux) pour les concerts français de Beyoncé au printemps. Son retour après cinq ans d’absence a provoqué un embouteillage numérique monstre lors de l’ouverture de la billetterie, dans lequel s’est retrouvé bloqué Pierre. Il avait pourtant tout prévu pour la prévente de Queen B au Stade de France le 26 mai. 

287.639ᵉ client dans la file d'attente...

"Je me suis connecté dix minutes après un pote qui, lui, a réussi. J’étais 200.000ᵉ dans la file d’attente, il avait déjà deux billets", nous raconte-t-il en souriant, parlant d’une "expérience un peu humiliante", qui ne l’a pas empêché de retenter sa chance quatre jours plus tard lors de la mise en vente générale, à 10h pétantes. Mais rebelote. Cette fois, le voici 287.639ᵉ. "J’ai cru que c’était un bug", poursuit-il. Sa compagne, pour qui il essayait d’obtenir le fameux sésame, profitera finalement du concert avec le seul de leurs amis qui a réussi à vaincre la billetterie.  

"J'ai dû me rapprocher de l'écran pour vérifier que c'était bien le bon nombre", nous dit Pierre, 287.639e dans la file d'attente pour la billetterie de Beyoncé.
"J'ai dû me rapprocher de l'écran pour vérifier que c'était bien le bon nombre", nous dit Pierre, 287.639e dans la file d'attente pour la billetterie de Beyoncé. - DR

 Mais ce n’est pas le cas de bon nombre de spectateurs. En moins de 45 minutes, le Stade de France et le Stade Vélodrome affichaient complets. Fondateur du podcast Le Jour Pop, Thibaud a vu Beyoncé en concert il y a 10 ans à Montpellier. Sans avoir à jouer des coudes. "Elle venait de se produire au Super Bowl. J’étais à 10h en ligne pour prendre ma place, mais je n’ai pas galéré", se souvient-il. En 2014 et 2018, l'Américaine s'est produite dans un Stade de France pas tout à fait complet. Avec plus "d’une grosse centaine de concerts" d’artistes divers à son actif, il dit avoir vécu la même agitation que celle provoquée par le "Renaissance World Tour" de Beyoncé avec le chanteur canadien The Weeknd l’an dernier. "J’ai dû attendre le deuxième Stade de France pour avoir ma place", poursuit cet habitué de la machinerie des billetteries de spectacles.

L'impact des réseaux sociaux

Ils étaient 200.000 dans la file d’attente pour l’interprète de "Blinding Lights", 100.000 dans celle de Chris Brown à l’Accor Arena, selon Angelo Gopee, directeur général de Live Nation France. "Ça fait déjà quelques années qu’on connaît ce phénomène", nous précise le producteur. Il évoque les rois de la K-Pop BTS (deux Stades de France en 2019), les Britanniques One Direction (deux Stades de France en 2014), "les quatre Stades de France de Coldplay" l’an dernier ou encore les quatre Bercy de Madonna à venir en novembre"Dans les pays anglo-saxons, les concerts ont toujours été rapidement complets. On n'a pas eu cette habitude en France. On parle de Madonna et Beyoncé, mais on a eu la même chose sur Imagine Dragons", souligne-t-il. Le groupe de Las Vegas a rempli deux fois Paris La Défense Arena, d’une capacité de 40.000 places, "en à peine 20 minutes"

Alors, comment expliquer cette ruée ? Angelo Gopee met en avant "l’appétence" du public pour les concerts, "surtout ceux à forte demande" des stars internationales. Un intérêt décuplé par la pandémie. "Post-Covid, les gens ont envie de sortir et peut-être envie d’acheter plus vite aussi", ajoute-t-il. Qu’il semble loin, en effet, le temps où on pouvait aller à la Fnac tranquillement plusieurs semaines après l’ouverture de la billetterie… Thibaud estime lui que "les réseaux sociaux ont accentué le phénomène". "C'est ce que les Anglo-Saxons appellent le FOMO, la peur de ne pas y être, la peur de rater quelque chose. Instagram, TikTok, Snapchat… L'instantanéité des stories, les influenceurs présents lors des concerts… Tout ça participe à un cercle vicieux qui ne fait qu'accentuer la demande sur les gros événements. Certains se disent : 'J’ai envie d’en faire partie, même si je n’aime que 'Single Ladies' de Beyoncé'. Il faut faire sa story pour dire 'j’y étais'", analyse-t-il.  

C’est compliqué, aléatoire et frustrant. Mais ça fait partie du charme des concerts
Angelo Gopee, directeur général de Live Nation France

Même les prix de plus en plus exorbitants n’arrêtent pas les spectateurs. "Pour le premier Stade de France de Beyoncé en 2014, j’ai payé 70 euros en fosse", se rappelle Thibaud. Cette année, il fallait débourser 15 euros de plus pour une place en pelouse. La pelouse or, au plus près de l’artiste, était accessible contre 199,50 euros. Les packages platinum de 360 à 850 euros et les packs VIP de 233,60 à 3027,60 euros ont tous trouvé preneurs. "Depuis un an, tous les coûts de transport, de l’essence, ont triplé. Pas celui des places", justifie Angelo Gopee qui parle de "coûts de production assez vertigineux, car les artistes veulent rester ambitieux". "Le prix intrinsèque du billet, ce n’est pas que le jour du concert. Ce sont des équipes qui travaillent pendant des mois", insiste-t-il. Avec un public prêt à casser son PEL pour une soirée de bonheur, les différentes préventes organisées par les productions ou les artistes eux-mêmes pour fluidifier les ventes ne servent qu’à limiter la casse.  

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Le fond du problème est essentiellement mathématique. Face à cette vague de connexions, impossible de satisfaire tout le monde. "Il y a une équation sur laquelle on a très peu de poids et qui est inéluctable, c’est l’offre et la demande. On ne peut pas agrandir les capacités des salles", se défend Angelo Gopee. "C’est compliqué, aléatoire et frustrant. Mais ça fait partie du charme des concerts", sourit-il au bout du fil. Dans le cas des shows de Beyoncé à Paris et Marseille, "la demande a été conséquente par rapport au nombre de places disponibles" car seules deux dates étaient programmées dans l'Hexagone. Live Nation n’a pas été en mesure de proposer un concert supplémentaire au Stade de France en raison de travaux de la SNCF. Même la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, s’est dédouanée sur les réseaux sociaux.  

Rihanna, prochaine à soulever les foules ?

Le retour en France des plus grands noms de la musique mondiale attire également les spécialistes du marché noir. La solution ? Limiter le nombre de places achetées par client – 4 pour Beyoncé – et "envoyer les billets le plus tard possible, pour éviter toute spéculation". Ceux de Queen B ne seront ainsi reçus que trois jours avant ses concerts français. De quoi limiter les trafics, alors qu’une loi a rendu illégale la vente de places à des sites comme Viagogo. Les bourses d’échange, où les tickets sont proposés au prix d’achat, restent l’unique solution pour tenter de se procurer une place. 

Après Beyoncé, c’est Rihanna qui risque de faire trembler les Internets avec l’annonce imminente de sa prochaine tournée mondiale. Quand on lui demande son meilleur conseil pour s’offrir un billet, Thibaud éclate de rire : "Économisez déjà, parce que ça va coûter cher, posez un RTT pour rester le matin devant le site et armez-vous de patience". Sans jamais actualiser la page, sous peine de repartir au tout début de la file d’attente. "Puisse le sort vous être favorable", aurait dit Effie Trinket dans Hunger Games. 


Delphine DE FREITAS

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