On a vu "Athena", le film choc de Romain Gavras sur une banlieue en guerre avec la police

Publié le 2 septembre 2022 à 21h45, mis à jour le 3 septembre 2022 à 10h26

Source : Sujet TF1 Info

Présenté ce vendredi à Venise, avant sa sortie sur Netflix fin septembre, "Athena" livre un regard sans appel sur la crise des banlieues.
Dans un lieu imaginaire, une bande de jeunes piège la police suite à la mort suspecte du plus jeune membre d’une fratrie.
Entre western urbain et drame familial, le réalisateur Romain Gavras signe un film hybride, à la fois spectaculaire et intimiste.

Avec Les Misérables, le cinéma français tenait son premier grand film sur les banlieues depuis La Haine de Mathieu Kassovitz. Si Ladj Ly, son réalisateur, tarde à retourner derrière la caméra, il a co-écrit et produit Athena, un intense drame urbain nourri du même regard inquiet, c’est un euphémisme, sur l’évolution des banlieues françaises. Mis en scène par le prodige Romain Gavras, il a été présenté ce vendredi à la Mostra de Venise, en amont de sa mise en ligne sur Netflix le 23 septembre prochain. TF1info a pu le découvrir en avant-première et c’est bel et bien l’événement attendu. Par sa forme virtuose qui fera débat. Mais surtout par sa vision toujours plus sombre d’une crise latente qui couve depuis trop longtemps à la périphérie des grandes villes.

Le pire cauchemar des sociologues ?

Le film s’ouvre par un plan séquence hallucinant de 10 minutes. De retour du front, Abdel arpente les couloirs du commissariat où il est venu, avec l’avocat de la famille, s’informer sur la mort de son plus jeune frère, victime d’une bavure policière. Des faits qu’il rapporte aux dizaines de jeunes qui l’attendent à l’extérieur. Attendre le résultat de l’enquête ? Ce n’est pas l’avis de Karim, le cadet, qui balance un cocktail molotov et donne le coup d’envoi d’une révolte qui va se propager dans toute la France. À la frontière du récit d’anticipation, Athena réalise le pire cauchemar des sociologues depuis 30 ans : l’embrasement total des quartiers abandonnés par les pouvoirs publics, sous l’impulsion d’une jeunesse nourrie par une colère que ni les aînés, ni les religieux, ni les médias et certainement pas les uniformes, ne semblent en mesure d’apaiser. 

Pour dresser ce constat pessimiste – certains diront nihiliste - Romain Gavras a choisi une forme hybride, à mi-chemin entre le reportage de guerre et une esthétique de la violence qu’on retrouvait déjà dans Stress, son clip controversé pour le groupe Justice dans lequel une bande de jeunes de cité détruisait tout sur son passage. Karim et ses disciples en sont les dignes héritiers, la démesure en plus puisqu’après avoir dérobé un véhicule de police et le matériel qui va avec, ils mettent en place un guet-apens qui transforme le film en western urbain anxiogène et sans temps mort. Sont-ils pour autant les méchants de l’histoire ? C’est toute l’ambiguïté du scénario co-écrit qui va les opposer à un jeune CRS tombé du nid.

Pour donner de la chair à son discours, Athena a été construit autour de l’opposition entre les frères de la victime. Trois survivants aux antipodes qui vont se régler leurs comptes sous les tirs de grenades de désencerclement et les gaz lacrymos. Stoïque et taiseux, Abdel le militaire croît encore à cette République qui lui a permis de dépasser ses origines modestes. À rebours du méchant de pacotille qu’il incarnait dans le dernier James Bond, Dali Benssalah livre une performance complexe, intense et imprévisible qui mériterait une nomination aux César si Netflix y était invité, sait-on jamais.

Trois frères en colère

Face à lui, se dresse l’intense Karim. Les cheveux longs, le torse nu et le verbe haut, c’est un prophète d’apocalypse que le jeune Sami Slimane interprète avec un mélange troublant de noirceur et de naïveté. Mokthar, le troisième larron, est un dealer de drogue qui est prêt à tout pour faire sortir sa marchandise avant que la police ne s’en empare. Interprété par Ouassini Embarek, il est le plus prévisible du lot, à la limite de la caricature du méchant de banlieue des nanars de Luc Besson. Les trois ont en commun la honte qu’éprouve leur personnage lorsque "Maman" apparaît sur l’écran de son téléphone portable. Face à eux, l’excellent Anthony Bajon incarne Jérôme, un CRS qui est moins acteur que témoin de la tragédie qui se noue sous nos yeux.

À l’heure où certains reprochent au cinéma français – à tort ou à raison – une forme de déconnexion avec la réalité, Athena met les pieds dans le plat et brasse des thèmes omniprésents dans l’actualité : les violences policières, la grogne sociale, la montée de l’extrême-droite… Ce n’est pas un film qui va rassurer sur la situation dans les banlieues, ni sur l’état de France en général, et après le spectacle de la crise des Gilets jaunes sur les chaînes étrangères, on imagine la tête des millions d’abonnés de Netflix à travers le monde en le découvrant. Mais à sa manière, à la fois virtuose et intimiste, il a la sagesse de nous dire que la violence, aussi fascinante soit-elle, n’est jamais la solution.


Jérôme VERMELIN

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