"On ne peut pas juger 'Autant en emporte le vent' avec les critères de la société actuelle'

Propos recueillis par Jérôme Vermelin
Publié le 11 juin 2020 à 23h18, mis à jour le 12 juin 2020 à 7h27
"Autant en emporte le vent"
"Autant en emporte le vent" - Source : Gallmeister

EVENEMENT - Au moment où l’adaptation cinématographique de "Autant en emporte le vent" refait polémique outre-Atlantique, les éditions Gallmeister publient en France une nouvelle traduction du roman de Margaret Mitchell, classique de la littérature américaine paru en 1936. Leur directeur, Oliver Gallmeister, livre les clés d’un roman plus moderne que certains pourraient le croire.

Il était une fois un classique. Paru en 1936, "Autant en emporte le vent", raconte l’histoire de Scarlett O’Hara, la fille de riches propriétaires sudistes dont le monde va s’effondrer avec la guerre de sécession. L’unique roman de Margaret Mitchell, couronné par le prix Pulitzer, est devenu l’un des films les plus célèbres d’Hollywood sous la direction de Victor Fleming, avec Vivien Leigh et Clark Gable dans les rôles principaux, couronné par 8 Oscars. 

Cette peinture flamboyante de l’Amérique esclavagiste vient d’être provisoirement retirée de la chaîne HBO Max qui souhaite la recontextualiser au regard des préjugés racistes de l’époque. Hasard du calendrier, le livre ressort cette semaine en France dans deux versions. Chez Gallimard dans sa traduction d’origine. Et chez Gallmeister avec une nouvelle traduction plus moderne comme l’a expliqué à LCI son directeur, Oliver Gallmeister.

LCI : Pourquoi, selon vous , un roman comme "Autant en emporte le vent" fait encore parler à ce point en 2020 ?

Oliver Gallmeister : "Autant en emporte le vent" a été publié à l’origine en 1936 et c’est un roman qui, dit-on, s’est vendu à plus de 30 millions d’exemplaires. Il a reçu le prestigieux Prix Pulitzer, il a été porté à l’écran avec le succès que l’on sait par Victor Fleming. C’est donc un livre qui, pour toutes ces raisons, fait partie de l’imaginaire collectif. Un livre qui depuis 80 ans a toujours été imprimé et se passe de génération en génération. C’est un classique ! "Autant en emporte le vent", c’est avant tout l’histoire d’une jeune femme éprise de liberté, dans un monde qui s’écroule. Mais il se trouve que ce monde-là, c’est le monde du Sud des Etats-Unis. Un Sud dont la culture repose sur l’esclavage, qui est une abomination. On met aujourd’hui l’accent sur cet aspect en raison des événements actuels dramatiques, mais ce n’est qu’un aspect du livre.

Pourquoi souhaitiez-vous proposer une nouvelle traduction ?

Chez Gallmeister, nous publions uniquement de la littérature américaine depuis 15 ans, des œuvres contemporaines et des classiques, que nous n’hésitons à retraduire. Pour ce qui est d'"Autant en emporte le vent", le livre est tombé dans le domaine public en 2020. Peut donc le republier qui veut. Et lorsque nous nous sommes lancés dans le projet, il nous a semblé que la traduction d’origine qui appartient à Gallimard pouvait être améliorée. Elle n’est pas indigne, loin de là. Elle a été faite de manière très sérieuse en son temps. Mais on ne traduisait pas en 1939 comme on traduit en 2020. 

Scarlett O’Hara, c’est quand même la première héroïne féministe de la littérature
Oliver Gallmeister

On a pu dire que la traduction d’origine était caricaturale, notamment dans le vocabulaire des personnages d’esclaves…

Ce n’est pas à moi de porter un jugement sur la traduction de 1939. Pour ce qui nous concerne, l’objectif de la traductrice Josette Chicheportiche était de coller au texte le plus fidèlement possible. Il était hors de question de réécrire dans un sens ou dans un autre, d’édulcorer le texte, de faire des coupes ou d’altérer la manière dont parlent les gens, en particulier les esclaves. Nous voulions que le lecteur ait entre les mains une traduction la plus proche de l’originale. Cela conduit donc à proposer un texte à la fois plus moderne, parce qu’on n’écrit plus le français comme on le faisait il y a 80 ans. Mais nous n’avons en rien dénaturer le texte de Margaret Mitchell.

Quel public visez-vous en priorité ? Les plus jeunes qui n’ont jamais lu "Autant en emporte le vent" ?

Pas seulement ! Je pense que les bons livres sont universels et peuvent plaire à des personnes jeunes ou âgées, hommes ou femmes. L’histoire d’"Autant en emporte le vent", c’est avant tout celle d’une jeune femme libre, qui souffre, c’est une histoire d’émancipation. Scarlett O’Hara, c’est quand même la première héroïne féministe de la littérature. On a eu des personnages féminins auparavant, mais qui à chaque fois, de la Marquise de Merteuil dans "Les Liaisons Dangereuse" à Anna Karénine en passant par Madame Bovary, étaient punies par la société des hommes. Scarlett O’Hara, elle, a une vie très dure par bien des aspects. Mais à la fin, elle sera victorieuse. D’ailleurs, Margaret Mitchell avait pour mère une suffragette, une militante pour le droit de vote des femmes, dont elle partageait évidemment les idées. Je vous rappelle que lorsque le livre est sorti en 1936, les femmes n’avaient pas encore le droit de vote en France. Il est important de replacer le livre dans son contexte. A l’époque les lecteurs et les lectrices étaient fascinés par cette femme qui se mariait trois fois, qui travaillait et qui allait danser alors qu’elle était encore veuve !

Pourquoi le film "Autant en emporte le vent" a-t-il été retiré de la plateforme HBO ?Source : 24H PUJADAS, L'info en questions

Cette dimension féministe est-elle, selon vous, éclipsée par la polémique autour de la représentation des esclaves ?

Je pense que la polémique porte avant tout sur le film, et qu'elle est essentiellement américaine en raison des événements dramatiques qui se déroulent là-bas. Les livres, eux, échappent à ce genre de choses. En lisant "Autant en emporte le vent", on est dans la tête d’une fille de 16 ans, qui grandit pendant la guerre de sécession dans une famille sudiste. Son point de vue nous semble raciste aujourd’hui, et il l’est. Mais on ne peut pas juger un livre écrit il y a 80 ans, qui parle d’une famille qui vivait il y a 150 ans, avec les critères de la société actuelle. La grandeur de la littérature, c’est de pouvoir nous entraîner dans les zones d’ombre des personnages et de nous forcer à nous interroger. On sort grandi de la lecture d’"Autant en emporte le vent".

>> "Autant en emporte le vent" de Margaret Mitchell. Tomes 1 et 2. Editions Gallmeister. En librairies.


Propos recueillis par Jérôme Vermelin

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