INTERVIEW – C’est le réalisateur le plus populaire de la nouvelle vague sud-coréenne. Le plus dérangeant aussi. Avec "Mademoiselle", en salles ce mardi, Park Chan-wook signe l’un de ses meilleurs films depuis le brillant "Old Boy", Grand prix à Cannes en 2004. Ou l’histoire, sous l’occupation japonaise, dans les années 1930, d’une servante qui tombe follement amoureuse de la riche héritière qu’elle est supposée arnaquer...
LCI : Si je vous dis que vous êtes un grand pervers, vous le prenez comment ?
Park Chan-wook : En Corée du Sud, après la sortie du film, on m’a qualifié de pervers cultivé (sourire). On peut trouver plusieurs interprétations à ce mot de "pervers". Mais moi j’ai envie de le défendre. Parce que pour moi être pervers, c’est montrer la face obscure de l’humanité. Se confronter à cette part d’ombre, et s’interroger soi-même par rapport à ça. Dans ce sens, j’estime que c’est un honneur d’être traité de pervers.
LCI : C’est la perversité de l’intrigue qui vous a séduit dans le roman de Sarah Waters, Du bout des doigts, dont le film est inspiré ?
Park Chan-wook : Ce roman a une dimension perverse mais c’est quelque chose d’autre qui m’a convaincu de l’adapter au cinéma. J’étais au tout début de ma lecture et je me rappelle avoir été très marqué par la scène du bain où la servante soigne la dent de sa maîtresse. C’est une séquence très forte, qui stimule tous les sens avec le bruit, le croisement des regards, la promiscuité des corps. Et aussi les odeurs. Cette scène est tellement cinématographique que je me suis dit qu’elle serait presque mieux en film qu’en roman.
LCI : Cinéma ou littérature, pour vous lequel de ces arts est le plus puissant ?
Park Chan-wook : Le livre, à la base, c’est du papier avec de l’encre imprimé dessus. Et pourtant il a le pouvoir de nous procurer des visions, de nous faire imaginer des choses très réelles. On peut comparer cette expérience à une forme d’hallucination et c’est ce qui fait la grandeur de la littérature. Mais c’est le cas avec le cinéma aussi. Le rêve de tout réalisateur est de créer un film où le spectateur ressent le toucher, l’odeur, ou même le battement du cœur des acteurs.
LCI : Quelles sont limites ? Que montrer, pas montrer pour exciter l’imagination du spectateur, justement ?
Park Chan-wook : J’ai fait très attention à un point. A la base, ce roman est une critique de la violence du regard masculin sur les femmes. C’est aussi l’histoire de ces femmes qui luttent pour s’affranchir de la violence machiste. En faisant le film, il était donc essentiel pour moi de ne pas tomber dans le voyeurisme…
LCI : Mais on pourrait quand même vous reprocher de filmer ce que vous dénoncez, non ? Je pense notamment aux scènes de sexe, très explicites…
Park Chan-wook : Mademoiselle est avant tout une histoire d’amour. Or le sexe est une composante incontournable de toute relation amoureuse. J’entends par là que l’acte charnel va avec les émotions amoureuses. Je n’avais pas envie de contourner cet aspect pour être politiquement correct. Je prends l’exemple des films de guerre où les scènes de mort et de cruauté sont inévitables. Dans ma tête, il était important de ne pas tomber dans le voyeurisme mais de célébrer le sentiment amoureux entre ces deux femmes. Mais si quelqu’un trouve l’une des scènes du film voyeuriste, je suis prêt à faire mon examen de conscience… (sourire).
LCI : Qu’est-ce qui est le plus amusant à filmer ? Le sexe ou la violence ?
Park Chan-wook : J’aime les deux ! Mais les scènes de violence sont plus faciles et amusantes à tourner. Même si le contenu est cruel, on rigole beaucoup sur le tournage. On fait des blagues pour détendre l’atmosphère. Alors que lorsqu’on tourne des scènes de sexe, il faut ménager mentalement et physiquement les acteurs, car ça peut être parfois très éprouvant pour eux. En tout cas beaucoup plus difficile que les scènes de violence, je vous l’assure (sourire).
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