Médine star de la rentrée politique : itinéraire du rappeur qui sème la zizanie à gauche

Publié le 22 août 2023 à 18h27, mis à jour le 23 août 2023 à 14h58

Source : TF1 Info

Le rappeur normand d’origine algérienne est l’invité des Universités d’été d’Europe-Ecologie-Les Verts et la France Insoumise cette semaine.
Une participation dénoncée par une partie de la classe politique, y compris au sein de la gauche dont il partage pourtant les convictions.
Retour sur la carrière d’un artiste engagé dont les punchlines ont déjà suscité de multiples controverses.

La provoc', c’est peut-être bien sa deuxième nature. Au coeur de la tempête depuis son invitation aux Universités d’été d’Europe-Ecologie-Les Verts et de la France Insoumise, Médine rappe sur la corde raide depuis le début de sa carrière. À défaut de le transformer en star des charts – aucun de ses huit albums n’a atteint les 50.000 exemplaires qui valident un disque d’or - les polémiques ont fait de lui un artiste qui fait parler à chaque sortie. Et l'un des rares qui s'engagent sans discontinuer sur les questions de société. 

Fils d’un immigré algérien qui fut boxeur semi-professionnel, Médine Zaouiche est né au Havre en 1982. Comme l’ancien footballeur des Bleus et du PSG Vikash Dhorasoo, il a grandi dans le quartier populaire de Caucriauville. "Je n’ai peut-être pas les attributs d’un Normand comme on se le représente, mais je me sens profondément normand dans la tradition de la ville", expliquait-il en 2017 dans un entretien à Konbini. Fondant son label en 2002, c’est à Gonfreville-l’Orcher, une petite commune voisine de 9.000 habitants, qu’il installe son studio d’enregistrement.

Le malaise "Don’t Laïk"

Après une poignée de collaborations au sein du collectif local La Boussole, Médine publie en 2004 un premier album au titre équivoque : "11 septembre, récit du 11e jour". Épousant le destin de plusieurs personnages, il dénonce l’impérialisme américain et les amalgames entre musulmans et terroristes suite aux attentats du World Trade Center. "Moi, je suis plus qu'intégré, je suis intégriste. Un barbu anti-social et fondamentaliste, les omoplates au centre d’une cible", ironise-t-il sur le titre "À l’encre de Médine".

Mêlant géopolitique, spiritualité, références historiques et culture pop, Médine enchaîne les albums et les concerts sans discontinuer. Et à vrai dire sans trop faire de bruit. Qu’on juge ses punchlines ingénieuses, irresponsables ou juste maladroites, elles restent longtemps cantonnées à un public de supporters fidèles. Jusqu’à la parution le 1er janvier 2015 du clip de la chanson "Don’t Laïk"...

"Crucifions les laïcards comme à Golgotha", lance-t-il de sa voix rauque en s’en prenant aussi bien aux politiques de droite qu’à une partie de la gauche intellectuelle qui, selon lui, utiliseraient le texte de 1905 pour dissimuler son islamophobie. "J'mets des fatwas sur la tête des cons. Religion pour les francs-maçons, catéchisme pour les athées. La laïcité n'est plus qu'une ombre entre l'éclairé et l'illuminé."

Pas le bienvenu au Bataclan

Six jours plus tard, l’attentat de Charlie Hebdo et la prise d’otages de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes bouleversent la France et contraignent le rappeur à l’explication de texte. Se revendiquant "Charb de la République" dans un entretien à Libération, il plaide "le droit à la caricature, la satire et l'irrévérence". Et rappelle qu’il a participé à une marche au Havre en mémoire des victimes. "Pour que tout le monde voie qu'il y a des musulmans et des jeunes de banlieues qui disent non à ça."

Durant l’été 2018, sa décision de se produire au Bataclan à l’automne suscite la colère d’une partie de la droite et de l’extrême droite. De nouveau, on lui reproche les textes de "Don’t Laïk". Mais aussi d’avoir intitulé son deuxième album Jihad. "C'était en 2005, dans un autre contexte", dira Médine à Clique TV. "Mon message, à ce moment-là, s’adresse à ceux qui seraient tentés de partir combattre et en même temps à ceux qui ont une définition de ce terme complètement galvaudée."

On veut la justice sociale, on veut combattre l’extrême droite, on veut en finir avec les mécanismes d’oppression qui frappent les populations LGBT, les racisés, les féministes
Médine dans la revue "Ballast"

À l’époque, ses détracteurs rappellent également sa proximité avec l’association Le Havre de Paix, proche des Frères Musulmans. Rien de tout à fait surprenant puisque le rappeur assume depuis longtemps sa sympathie pour le controversé Tariq Ramadan. Alors que l'association de victimes du 13-Novembre Life for Paris avait dénoncé les récupérations et défendu la liberté du Bataclan de programmer le rappeur, ce dernier avait finalement renoncer à se produire dans la salle du XIe arrondissement.

Depuis la parution de l’album Médine France en novembre dernier, celui qui a appelé à voter Mélenchon au 1er tour de la dernière présidentielle – et Macron au 2nd – s’est illustré sur le front social en participant à plusieurs mobilisations contre la réforme des retraites. Il s’est notamment produit lors d’un grand concert à Pantin avec des stars du rap comme Sniper et Hatik, dont les bénéfices ont été reversés à la caisse nationale de grève.

En Normandie, où il réside depuis toujours avec son épouse Karinal et leurs trois enfants, Mekka, Massoud et Genghis, on l’a également aperçu auprès des ouvriers de la raffinerie TotalEnergies de Gonfreville-l’Orcher, où se trouve son studio, rejoignant plusieurs militants de gauche dont la comédienne Adèle Haenel. Et le 1er mai, c’est au Havre qu’il s’est joint à une contre-manifestation en réponse à la Fête de la Nation organisée par le Rassemblement National.

"On veut la justice sociale, on veut combattre l’extrême droite, on veut en finir avec les mécanismes d’oppression qui frappent à la fois les populations LGBT, à la fois les racisés, à la fois les féministes", déclarait-il à la revue anticapitaliste Ballast cet été. "On doit aller dans le même sens, avoir un ennemi commun. Ça ne se limite d’ailleurs pas au RN et à Reconquête : il y a porosité, notamment avec Les Républicains et le gouvernement."

Sa participation aux Universités d’EELV et LFI n’a donc rien de surprenant, au regard de ses engagements. Les réactions pour le moins contrastées à sa présence attestent clairement des dissensions idéologiques au sein de la NUPES. Mais le tweet dans lequel il qualifie l’essayiste Rachel Kahn de "resKHANpée" a étendu le malaise au-delà de la gauche, quand bien même l’intéressé s’en est excusé depuis. Plaidant "une formule pas adaptée", il a maintenu sa participation aux deux rendez-vous. Médine ou l’art de retenir l’attention ?


Jérôme VERMELIN

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