RÉVÉLATION. Second long métrage du réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho, "Aquarius" raconte le combat d’une ancienne critique musicale (Sônia Braga, fabuleuse) contre un important promoteur souhaitant récupérer son appartement, refuge de culture et de mémoire. Une célébration de l’art comme force transcendante, confirmant tout le bien que l’on pense de ce cinéaste surdoué.
Le Brésil, de nos jours. Clara (Sônia Braga), la soixantaine, ancienne critique musicale, est née dans un milieu bourgeois de Recife. Elle vit dans un immeuble construit dans les années 40, sur la très huppée Avenida Boa Viagem qui longe l’océan. Un important promoteur a racheté tous les appartements mais elle, se refuse à vendre le sien. Elle va rentrer en guerre froide avec la société immobilière qui la harcèle. Très perturbée par cette tension, elle repense à sa vie, son passé, ceux qu’elle aime.
Cinéphile, le réalisateur Kleber Mendonça Filho a été critique de cinéma pendant treize ans – de 1997 à 2010 pour être précis – avant de passer derrière une caméra pour réaliser son premier long métrage : Les Bruits de Recife, extraordinaire chronique polyphonique quelque part entre Robert Altman et John Carpenter dans laquelle un quartier de Recife, en apparence tranquille, était en proie à toutes les tensions sociales.
Le charme discret de la petite bourgeoisie
KMF creuse cette même veine dans Aquarius, son second long métrage présenté en compétition au dernier Festival de Cannes, instillant une angoisse sourde par petites touches anxiogènes et invitant à méditer sur les forces secrètes qui travaillent notre quotidien le plus familier. Sa grande spécialité : disséquer la classe moyenne et la petite bourgeoisie de Recife, aux antipodes de la carte postale dorée ou de l’inflation misérabilIiste des favelas, deux écueils récurrents du jeune cinéma brésilien.
Interviewé au Festival de Cannes, le cinéaste nous confiait: "Je viens de la classe moyenne donc je connais les gens que je décris dans mes films. Quand j’étais jeune critique, je voyais beaucoup de films brésiliens qui voulaient sociaux, axés sur les pauvres. En allant à la rencontre des réalisateurs de ces films, je me suis rendu compte qu’ils n’avaient en réalité jamais foutu les pieds dans une favela et qu’ils se complaisaient dans un cinéma choc et démagogique pour impressionner à l’étranger."
Aquarius raconte à travers le combat de Clara (Sônia Braga, star du cinéma brésilien et sex symbol à Hollywood dans les années 80) qui, à vingt ans comme à soixante, ne plie aucunement sur ses principes, surtout lorsqu’elle est confrontée à des agents immobiliers voraces prêts à tout pour s’accaparer son appartement – un antre traversé par tant de souvenirs qu’il importe de conserver envers et contre tous les profits.
Portrait d’une femme libre menant une guerre contre ceux qui veulent la déloger et refusant de céder aux pressions financières comme sociales, Aquarius prend les atours d’un appel à la résistance. C’est une manière pour le réalisateur brésilien qui, lui aussi, a été critique de parler de préservation de l’art, de transmission et de mémoire à une époque de mépris pour la sensibilité et d’oubli collectif. Refusant de céder aux intimidations, ce personnage téméraire, ayant vaincu un cancer, à une époque soumise au sacro-saint capitalisme devient facilement le nôtre et le réalisateur d’épouser son combat : "Pour moi, c'est une femme admirable. C'est une survivante. Elle ne se laisse pas intimider par des petits commerciaux hipster à chemise blanche et aux chaussures pointues qui veulent imposer leurs lois."
En réaction aux diktats de l’époque
On s’en souvient, l’équipe de Aquarius avait créé l’événement lors du dernier Festival de Cannes en brandissant une banderole sur les marches pour protester contre la destitution de la présidente Dilma Rousseff. Le Brésil n’est plus une démocratie, Nous résisterons, proclamaient d’autres slogans écrits sur des feuilles de papier brandies par l’équipe. Un genre de happening synchrone avec le film dans sa manière moderne de servir un héroïsme ancien : la vérité contre tous les profits.
Au-delà du discours puissant, Aquarius pose à chaque plan de passionnantes questions de cinéma, travaillant par le simple pouvoir de la mise en scène l’idée d’une invasion. La virtuosité est telle que l’on cherche encore à comprendre comment il réussit à obtenir cet effet de désorientation permanent qui épuise nos yeux et les régale en même temps. Comment il parle d’un pays et d’un monde d’avant et d’après. Comment il réussit à confondre la tension érotique et la tension horrifique. A l'arrivée, c'est une extraordinaire célébration de l’art comme force transcendante qui se mérite à mesure qu’elle se savoure.
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