INTERVIEW – Actrice et réalisatrice, Mélanie Laurent adapte "Le Bal des folles", le roman à succès de Victoria Mas. Un drame historique qui sort ce vendredi sur la plateforme Prime Vidéo, s’offrant une exposition mondiale inédite.
Le Bal des folles, c’est d’abord un roman de Victoria Mas, carton en libraires et Prix Renaudot des lycéens en 2019. L’histoire d’Eugénie, une fille de bonne famille internée à la Pitié Salpêtrière, dans le Paris des années 1880, a fasciné l’actrice et réalisatrice Mélanie Laurent qui en a réalisé l’adaptation, donnant la réplique à Lou De Laâge qui tient le rôle principal. Ce drame historique et féministe est disponible en exclusivité ce vendredi sur la plateforme Prime Vidéo. L’occasion de poser quelques questions à son auteure…
Le livre de Victoria Mas a eu beaucoup de succès à sa sortie. Avez-vous eu tout de suite envie de le porter à l’écran ?
Ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça. Je m’étais installée à l’étranger, je venais d’avoir une petite fille, ce qui était très important pour moi. J’avais très envie de faire un film d’époque, et dans mon corps et dans mon esprit, il n’y avait que des chasses aux sorcières, des femmes mises sous silence, des femmes qui savaient des choses et qui faisaient peur à la société ou au clergé. Je n’avais que des histoires comme ça. Peut-être parce que je voulais parler de la condition des femmes à une époque pas si lointaine, pour nous rappeler d’où on vient. Un jour le producteur Alain Goldman m’appelle et me dit j’ai un livre, ça s’appelle Le Bal des folles, il me raconte rapidement l’histoire et là je me dis… C’est beau la vie !
C’est ce qu’on appelle le bon alignement des planètes…
Et moi j’adore ça ! Du coup il m’envoie le livre, par la poste, je passe quelques jours à l’attendre, et puis je le découvre, avec cette petite fille collée à moi. Et c’était véritablement l’histoire dont je rêvais. Je n’ai rencontré Victoria qu’il y a quelques jours et je l’ai trouvé brillante, douce, adorable, forte. Elle m’a laissé énormément de liberté dans l’adaptation, dans toutes les trahisons propres à ce genre d’exercice. Et en même temps, c’est ça qui est beau. Après, c’est vrai que le livre en lui-même avait une vraie structure cinématographique.
Pour n’importe quelle femme qui dérangeait à l’époque, La Salpêtrière était la solution. Pour des pères, et aussi des mères, qui ne savaient plus quoi faire de leurs enfants.
Mélanie Laurent
Beaucoup de lecteurs de Victoria Mas ont été choqués en découvrant les expériences que le professeur Charcot pratiquait sur ces femmes qu’on jugeait folles. Ça a été une surprise pour vous aussi ?
C’est peut-être mauvais signe mais moi ça ne m’a pas choquée de savoir que ça se passait comme ça. Parce qu’on s’est habitué à découvrir les violences faites aux femmes depuis des siècles. Ce qui m’a bouleversée, surtout, c’est de réaliser combien 1880, c’est vraiment l’époque du spiritisme. C’est pour ça que le film, et pas le livre, commence par les funérailles de Victor Hugo. Parce que Victor Hugo, qui avait perdu sa fille et ne s’en était jamais remis, était très adepte de ces séances de spiritisme. Il a parlé, il a retrouvé sa fille en esprit. Cet homme que tout le monde aimait, voire idolâtrait, avait le droit de faire ça. Si bien que moi je voulais commençait avec une petite silhouette toute fragile, toute fine, qui est bouleversée par la mort de cet homme. Parce qu’elle aurait pu le soulager avec son don. Mais qui n’a pas le droit de le faire parce qu’elle est une femme.
Le film interroge la notion de folie, telle qu’elle est décrétée par les médecins. Mais surtout ce que signifie "être normal" à cette époque, non ?
Absolument. Pour n’importe quelle femme qui dérangeait à l’époque, La Salpêtrière était la solution. Pour des pères, et aussi des mères, qui ne savaient plus quoi faire de leurs enfants. C’est pour ça que le personnage du frère m’intéressait aussi beaucoup. Il est homosexuel, mais ce n’est pas un problème à partir du moment où il se mariera un jour avec une femme. Comme c’est le fils, on ferme les yeux sur cette différence-là. Et c’est incroyable de se dire qu’en 2021, on dépose de jeunes garçons homosexuels dans des centres de rééducation pour essayer de "soigner le mal". À l’époque du film, les garçons étaient plutôt en sécurité dans ces familles-là, et aujourd’hui plus du tout. Alors que les jeunes filles n’avaient rien le droit de le faire puisque la société patriarcale leur empêchait d’avoir accès au pouvoir, à la culture, au savoir… Et dans le pire des cas certaines se retrouvaient dans cet hôpital qui ressemblait plus à une prison suite à un diagnostic pas très réaliste. Une femme pouvait y passer sa vie entière parce qu’elle souffrait de mélancolie et qu’on ne savait pas quoi en faire à l’époque.
J’avais envie de voir toute la beauté de Lou De Laâge, toute sa force, sa maturité de jeu aussi parce que c’est une actrice que je vois grandir depuis des années
Mélanie Laurent
Visuellement, c’est votre film le plus ambitieux. Est-ce un peu la somme de tout ce que vous avez pu faire avant ?
C’est le film de la maturité ! (Rires). C’est surtout un film que j’ai fait avec beaucoup de liberté. Non pas que j’en ai manqué avant. Disons qu’il a peut-être plus d’ampleur que les autres. Je crois que son sujet est peut-être plus fort aussi. J’ai eu envie de faire un film d’époque classique, avec quelques anachronismes, avec quelques petites sorties de route parfois. J’avais envie de me jeter dans mes références cinématographiques. J’avais Camille Claudel dans la tête, j’avais Bright Star dans la tête. Des films qui m’ont portée. J’avais envie de voir toute la beauté de Lou De Laâge, toute sa force, sa maturité de jeu aussi parce que c’est une actrice que je vois grandir depuis des années. J’avais envie qu’elle s’empare de cette robe d’époque, de ce chignon qui se défait. J’avais envie de la voir se débattre, se battre, être, renaître. Il y a quelque chose de très épique dans ce film.
Ce film, on aurait envie de le voir sur un écran de cinéma. N’est-ce pas frustrant qu’il soit diffusé sur une plateforme ?
Non, ma grande frustration ça aurait été de ne le sortir que dans quelques salles et uniquement en France. Alors que là, je le sors dans 240 pays, le même jour, à la même heure. Et ce film-là, avec cette histoire-là, ce message-là, j’ai une envie qu’il voyage et une envie d’aller me confronter à d’autres cultures. J’ai envie de rencontrer un jour une femme brésilienne qui va me dire : "Je vais vous raconter nous ce qui se passait en 1880". Et ça, c’est plus fort, ça dépasse toute frustration. Et puis je pense que plus on va avancer dans le temps, plus les plateformes vont arrêter d’être opposés aux salles. Je crois que les gens étaient tellement ravis et heureux dans cette période très sombre qu’on vient de traverser d’avoir accès à du vrai cinéma sur n’importe quel écran. Et ça, c’est magnifique.