HISTOIRE - Dans son livre "L'ordre du jour", prix Goncourt 2017, Eric Vuillard revient sur les prémisses de l'horreur : le rôle des industriels allemands dans les agissements nazis. A l'arrivée, une évocation assez magistrale, grinçante par endroits, des coulisses de l'Anschluss.
Comment cela a-t-il bien pu arriver ? Personne n'a donc rien vu venir ? Dans son roman L'ordre du jour, Eric Vuillard revient sur le rôle des industriels allemands dans les agissements nazis, en faisant partager les discussions de salon et certains ratés techniques de l'armée. En somme, ce qui préfigure le pire.
De quoi ça parle ?
L'Allemagne nazie a sa légende. On y voit une armée rapide, moderne, dont le triomphe parait inexorable. Mais si au fondement de ses premiers exploits se découvraient plutôt des marchandages, de vulgaires combinaisons d'intérêts ? Et si les glorieuses images de la Wehrmacht entrant triomphalement en Autriche dissimulaient un immense embouteillage de panzers ? Une simple panne !
"Messieurs, vous venez d'entendre le chancelier Hitler, nous voulons une victoire aux élections du 5 mars pour stabiliser l'économie de l'Allemagne, éradiquer les communistes et les opposants et supprimer les syndicats pour rétablir le pouvoir du chef d'entreprise. Je vous prie donc de cracher au bassinet". C'est à peu près en ces termes que le président du parlement Goering s'adresse aux 24 industriels et banquiers convoqués le 20 février 1933.
"L'ordre du jour", Eric Vuillard
Ce qu'il faut savoir
Cherchant à dépeindre la colonisation, aussi bien au Pérou (Conquistadors) qu'en Afrique (Congo) et de la Grande Guerre (La Bataille d'Occident), Eric Vuillard aime à décrire les coulisses de l'Histoire, en faisant fi de tout vernis spectaculaire pour nous rappeler de quoi est capable l'être humain en tout temps.
Dans L'ordre du jour, il dévoile façon petite souris impuissante les coulisses de l'annexion autrichienne et revient avec la précision d'un Zola sur les prémisses de la Seconde Guerre mondiale. Ce fameux 20 février 1933, lorsque les "vingt-quatre grands prêtres de l'industrie allemande" sont conviés au salon du palais du président du Reichstag, Hermann Göring.
Au même moment, le Führer prépare ses sombres desseins, projetant d'occuper "une partie de l'Europe". Et l'on y voit bien la façon dont la prophétique catastrophe se profile, comment les petits accommodements de couloir ont généré l'horreur absolue. Face à ce bal tragique et grinçant, le lecteur est suffisamment intelligent pour faire le lien du passé au présent.
L'ordre du jour permet à Eric Vuillard de remporter le prix Goncourt 2017. Il avait face à lui, Bakhita de Véronique Olmi, Tiens ferme ta couronne de Yannick Haenel et L'Art de perdre d'Alice Zeniter.
L'ordre du jour, de Eric Vuillard
(Actes Sud - 154 pages - Prix 16 euros)