INTERVIEW - Il est le A de AB Productions qui a multiplié les succès du "Club Dorothée" aux "Mystères de l'amour". Pour LCI, le prolifique producteur plonge dans la boîte à archives et nous donne un aperçu de ses prochains défis avant la diffusion du documentaire consacré à la "Génération AB Productions", mercredi 22 janvier sur TMC .
Son nom est indissociable des programmes cultes que des millions de Français chérissent encore aujourd'hui. Jean-Luc Azoulay a bouleversé une génération à qui un documentaire, diffusé mercredi 22 janvier à 21h15 sur TMC, rend hommage avec tendresse. Les anecdotes et images d'archives sont nombreuses dans "Dorothée, Hélène et les garçons : Génération AB Productions" qui déroule pendant près d'une heure et demie les coulisses de cet empire télévisuel créé à la fin des années 1970. LCI s'est entretenu avec son co-fondateur qui a replongé pour nous dans ses souvenirs.
Le documentaire nous apprend que sans Sylvie Vartan, "Hélène et les garçons" n’aurait peut-être jamais vu le jour. Racontez-nous…
Jean-Luc Azoulay, producteur : C'est drôle parce qu'hier soir, j'ai dîné avec elle et on a parlé de tout ça. J'étais étudiant en médecine et fan de Sylvie Vartan. J'ai créé son fan-club, je suis devenu copain avec un petit peu toute la bande et surtout Carlos. Quelques années plus tard, il a commencé à chanter et m'a dit : "Prends ma place comme secrétaire de Sylvie". Je l'ai fait avec joie et j'ai travaillé avec elle de 1968 à 1976. J'ai été secrétaire puis manager, je m'occupais de régler ses rendez-vous, sa promotion... Tout ce qu'il y a autour d'une star. On est parti en tournée dans le monde entier, du Japon à l'Amérique du Sud en passant par l'Italie où elle avait une émission toutes les semaines. Tout ce que je sais maintenant, je l'ai appris là dans les meilleures conditions au monde. J'ai connu Guy Lux, les Carpentier, la RAI avec des énormes shows.... C'est aussi grâce à elle que j'ai découvert les sitcoms. On allait régulièrement aux Etats-Unis où j'en ai été nourri.
En 1977, vous avez lancé AB Productions (A pour Azoulay et B comme Claude Berda, son associé, ndlr) pour produire du disco.
(Il coupe). À la base, c'était pour produire de la musique. Ce que je préférais, c'était le studio. On a fait du disco parce que c'était à la mode. On a fait beaucoup de choses, on a produit le disque de Roger Hanin par exemple.
Quel a donc été le déclic pour glisser des chansons "pour adultes" aux chansons pour enfants avec Dorothée ?
Je n'ai jamais considéré que Dorothée faisait des chansons pour enfants. Si vous écoutez "Tremblement de terre", "L'ordinateur"... Ce sont des morceaux pour tout le monde avec un côté très populaire qui plaisait aux enfants. Je ne pense pas que les chansons pour enfants existent vraiment.
Qu’y avait-il de si spécial dans la voix de Dorothée quand vous l’avez repérée sur Antenne 2 ?
C'est l'ensemble du personnage qui était spécial. Dorothée avait un tempérament, une malice dans le regard, une manière de s'exprimer et de bouger qui était totalement dynamique, sympathique, agréable. Elle ne voulait pas chanter au départ donc on a commencé par faire un livre-disque parlé qui s'appelait "Dorothée au pays des chansons". En écrivant l'album, on lui a demandé de faire un petit refrain par-ci, un petit refrain par-là et elle s'est aperçue elle-même qu'elle chantait très bien. Et c'est parti comme ça !
On vous entend répéter dans le documentaire : "Un texte, des comédiens et des caméras". C’est ça, la recette simple pour faire une bonne sitcom ?
Pour faire n'importe quoi, c'est la recette simple (il rit). Quand vous faites de la télévision d'information, il vous faut un ou deux journalistes et une caméra. Il faut démystifier un peu tout ça. Finalement, on montre aux gens leur histoire, avec une temporalité décalée car la plupart des choses sont enregistrées.
En parlant d'histoire, vous avez crée pléthore de séries dans les années 1990 ( dont "Salut les musclés", "Premiers baisers", "Hélène et les garçons", "Le Miel et les abeilles", "Les Filles d’à côté"). Mais pourquoi Jean-Luc Azoulay est-il devenu Jean-François Porry dans leurs génériques ?
Quand j'ai commencé à faire des chansons, il a fallu que je m'inscrive à la Sacem. Comme j'étais à la fois producteur et auteur, je voulais avoir un second nom. J'étais tout jeune et c'était chic d'avoir un pseudo. Pour m'amuser, j'avais écrit sur ma feuille de déclaration Sacem "Jean-François Poury". J'avais dû mal écrire pour la personne chargée de retranscrire parce que quand j'ai reçu ma carte, elle était au nom de Jean-François Porry. Et comme je m'appelle Jean-Luc, les gens après m'avoir rencontré m'appellent Jean-Marie, Jean-Yves... C'est une sorte de dérision qui s'est transformée en pseudonyme bizarre.
Dans le documentaire, la voix off glisse à propos de vous : "Tel Big Brother, il surveille tout". On vous voit dans votre bureau avec des dizaines d’écrans de télévision. À quoi ressemblait vos journées au milieu des années 90 ?
Je ne surveillais pas tout. Comme beaucoup de choses se passaient, c'était plus simple d'avoir les retours plateaux dans mon bureau plutôt que de devoir descendre sans arrêt. Le matin, on avait des réunions de programmation pour le Club Dorothée. J'écrivais les sitcoms, je regardais les tournages et puis ça continuait.
200 personnes ont écrit en boucle qu'Elsa Esnoult était nulle et 300 qu'elle était géniale. Ce n'est pas très grave. Twitter, ce n'est pas la république
Jean-Luc Azoulay
Vous dites qu’"un personnage bien incarné, c’est le succès assuré". Pourtant avec Hélène Rollès, ce n’était pas gagné au départ. Son premier disque sorti en 1988 n'a pas très bien fonctionné…
(Il corrige) Il n'avait pas trop mal marché. Elle avait du talent, une jolie voix, elle était jolie, elle composait des chansons. On a toujours cru en elle. Pour développer un artiste, il faut du temps. Regardez en ce moment, on a Elsa Esnoult qui est depuis neuf ans dans "Les Mystères de l'amour" et en développement chez nous comme chanteuse depuis cinq ans. Là, elle en est à son quatrième disque d'or. Il faut du temps.
On a pu avoir un aperçu de sa popularité dans "Danse avec les stars", où les votes du public lui ont permis d'atteindre la demi-finale en fin d'année dernière. C'est sa simplicité qui touche les gens ?
Je pense qu'elle a du talent. Si j'expliquais pourquoi les gens fonctionnent... Je n'en sais rien. J'ai eu la chance d'avoir autour de moi Sylvie Vartan, Dorothée, Hélène, Manuela Lopez, Elsa maintenant... Des artistes qui projettent quelque chose. Le public aime ce qu'ils font parce qu'ils ont quelque chose. La tournée d'Elsa affiche pratiquement complet partout, elle fait le Zénith de Paris en juin. C'est magique, on ne sait pas pourquoi. Je peux le cultiver mais je ne peux pas le fabriquer. S'il n'y a pas la base de l'artiste, je suis totalement incapable de faire quoi que ce soit.
C'est un peu ce que vous expliquiez sur Twitter à ses détracteurs, qui ont été très virulents pendant "Danse avec les stars".
Le problème de Twitter, c'est que c'est 200 personnes qui écrivent en boucle. 200 ont écrit en boucle qu'elle était nulle et 300 qu'elle était géniale. Ce n'est pas très grave. Twitter, ce n'est pas la république. Ce sont les gens qui ont envie de parler, pas les vrais gens.
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On me demande souvent comment je fais pour écrire autant d'épisodes mais quand on a des héros aussi forts, c'est facile de les faire rebondir sans arrêt
Jean-Luc Azoulay sur "Les Mystères de l'amour"
Les fictions AB Productions ont permis à de nombreux acteurs de faire leurs premiers pas face caméra : Ingrid Chauvin, Guillaume Canet, Alexandra Lamy… Vous revendiquez ce côté découvreur de talents ?
Non, parce que je ne les ai pas découverts. C'étaient des jeunes comédiens qui avaient du talent parce qu'on les a castés. Ensuite, ils ont fait leur chemin. Je ne suis pas découvreur. On a utilisé tellement de comédiens qu'il est normal que certains deviennent des vedettes. Mais ce n'est pas grâce à moi.
Entre les Français, Hélène et ses garçons, ça fait 27 ans que ça dure. "Les Mystères de l’amour" réalisent d’excellentes audiences sur TMC, avec des primes à la clé. Comment expliquez-vous cette longévité ?
Parce qu'il y a un univers global autour de cette série qui plaît aux gens. C'est un mélange complexe de sensibilité, de comique, de sentiments. Le public s'attache à cet univers, à ces personnages formidables et leurs interprètes. On me demande souvent comment je fais pour écrire autant d'épisodes mais quand on a des héros aussi forts, c'est facile de les faire rebondir sans arrêt.
La disparition d'Ariane Carletti en septembre a montré à quel point le public était attaché à cette génération Club Dorothée et à ses héros emblématiques.
Vous le public et nous, on faisait partie d'une même famille. Ce n'est pas pour rien que ça s'appelait le "Club Dorothée", il y a une notion de groupe. On était honnête avec vous, vous l'étiez avec nous. On se parlait, on s'amusait, on rigolait. Il y avait les spectacles où Hélène et Dorothée rencontraient le public. Ce n'était pas une télévision close, sans ouverture sur l'extérieur. Je crois qu'il est très important pour une télévision et pour une production de ne pas rester enfermé dans son monde. Quand on perd la conscience que les gens existent, on n'a pas d'affect avec eux.
Pensez-vous que vous auriez pu créer cet empire télévisuel à notre époque, où les chaînes et les plateformes se multiplient ?
SI on touche le public, on peut tout créer. Ce n'est pas une question de médias mais de contenus. Quand on offre aux gens quelque chose qui leur plaît, ils regardent. Si ça ne leur plaît pas, ils ne regardent pas. Que ce soit sur une chaîne, un serveur, YouTube, Netflix...
Votre prochain défi ?
Il y en a plein que j'aimerais lancer ! J'aimerais faire une suite de "Premiers baisers". Je veux reprendre les mêmes personnages - et ils sont tous d'accord - vingt ans après, quand ils sont dans la vie active, devenus adultes avec des familles, des enfants... Ce qu'il y a de bien dans "Les Mystères de l'amour" et ce qu'il y aurait de bien dans "Premiers baisers", c'est que les personnages ont déjà un background, une vie qui s'est déjà écrite. Donc les faire revivre vingt ans après, c'est passionnant.
Justine et Annette ont d'ailleurs fait une apparition dans "Les Mystères de l'amour".
On est resté un groupe de copains unis. On se voit toujours, on s'appelle toujours, on prend des nouvelles. Quand on a une occasion comme le mariage de Christian et Fanny, et bien toute la famille vient y assister. Ce qui est normal.
Avez-vous déjà une idée d'une éventuelle date de diffusion pour cette suite de "Premiers baisers" ?
Non, il faudrait déjà qu'il y ait une chaîne qui l'accepte. Pour l'instant, on est au stade de la préparation. On va ensuite proposer le projet aux chaînes ou aux plateformes, puis on verra si quelqu'un veut bien produire avec nous.
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"Dorothée, Hélène et les garçons : Génération AB Productions"
réalisé par OIivier Monssens
Le 22 janvier à 21h15 sur TMC