PORTRAIT – Emmanuel Macron inaugure ce jeudi l’empaquetage de l’Arc de Triomphe imaginé par le Bulgare Christo. Un vieux rêve de ce personnage incontournable de l’art contemporain, décédé en mai 2020, 11 ans après son épouse avec laquelle il avait conçu tous ses grands projets.
Il avait "la folie des grandeurs et le génie de la splendeur", déclarait Emmanuel Macron le 31 mai 2020 à l’annonce de la mort de Christo. Le chef de l’État inaugure ce jeudi en fin d'après-midi l’œuvre posthume de cette superstar de l’art contemporain qui après avoir "emballé" le Pont Neuf en 1985, avait décidé de s’attaquer à un autre symbole de la capitale française : l’Arc de Triomphe, située sur la place de l’Étoile, en haut des Champs-Élysées. Ce vieux rêve, sur lequel Christo planchait avant sa disparition à partir de croquis réalisés dans les années 1960, a été repoussé à plusieurs reprises en raison de la pandémie. C’est Vladimir Yavachev, le neveu de l’artiste, qui a supervisé le projet final dont le public a pu assister à l'installation spectaculaire depuis le week-end dernier.
Né le 13 juin 1935 à Gabrovo en Bulgarie, Christo Vladimiroff Javacheff fuit en 1956 dans un train de marchandise le régime communiste et le réalisme soviétique enseigné aux Beaux-arts de Sofia. À Paris, le jeune homme fréquente les Nouveaux réalistes, comme Yves Klein ou Niki de Saint-Phalle, et s'initie à la peinture abstraite. Il y rencontre également la Française Jeanne-Claude Denat de Guillebon, la fille du directeur de l’École Polytechnique dont il était venu tirer le portrait. Née le même jour que lui, elle deviendra son épouse et sa principale collaboratrice.
Des oeuvres autofinancées à 100%
Dans le futur partage des tâches, Christo sera l'artiste et Jeanne-Claude l'organisatrice. "Ce n'est pas l’œuvre de Christo, c'est l’œuvre de Christo et Jeanne-Claude", répétera souvent cette femme de caractère, à la chevelure écarlate. Naturalisé américain, le couple aura un fils. Pour se financer et garder son indépendance, le couple vendait à prix d'or les travaux préparatoires de ses œuvres.
"Personne ne peut acheter ces œuvres, personne ne peut les commercialiser, personne ne peut vendre des billets pour les voir... Notre travail parle de liberté", disait l'artiste. C’est ainsi que l’empaquetage de l’Arc de Triomphe a été financé, à hauteur de 14 millions d’euros, sans aucune subvention publique. En mai dernier, la vente aux enchères chez Sotheby's, à Paris, d'une première partie de la collection personnelle du couple avait ainsi atteint la somme record de 8 millions d'euros.
Tout au long de sa vie, Christo a cherché à surprendre, quitte à provoquer. Révolté par la construction du mur de Berlin, il entasse en 1962 des barils de pétrole dans une rue de Saint-Germain-des-Prés, signant son premier coup d'éclat. En 1968, le couple emballe pour la première fois un monument : la Kunsthalle de Berne, en Suisse. "Chaque œuvre est une expédition", relevait cet artiste particulièrement tenace. Pour l'emballage du Reichstag, en 1995, un vote des députés allemands avait ainsi été nécessaire.
"Je veux provoquer un impact sensoriel nouveau", dira Christo lors de l'emballage du Pont Neuf en septembre 1985, un projet qui rencontra de nombreuses réticences malgré le soutien de Jacques Chirac. À l'époque, un piéton qui regardait les équipes de l'artiste en train de travailler avait été renversé par un autocar de tourisme et grièvement blessé. Quelques jours plus tard, une alerte à la bombe allait entraîner l'évacuation du pont et l'intervention d'artificiers et d'agents de la brigade fluviale. L'enquête révèlera qu'il s'agissait d'un canular.
"Sur 50 ans de travail, 37 projets ont été refusés, seuls 22 ont été acceptés", précisait Christo en 2010, lui qui n'avait jamais pris le même avion que Jeanne-Claude de peur de devoir interrompre la préparation d'une œuvre en cas de crash. Depuis le décès de son épouse en 2009, il s’était signalé en 2016 avec un pont flottant entouré de tissu sur un lac italien ou un mastaba à Londres : 7.506 bidons de 200 litres empilés en forme de trapèze. "Il n'y pas de message", insistait Christo. "Qu'elle soit critique ou positive, toute interprétation est légitime".