40 ans après, la romancière Alice Sebold demande pardon à l’homme condamné à tort pour son viol

Publié le 1 décembre 2021 à 17h54

Source : Sujet TF1 Info

JUSTICE – Victime d’un viol à l’âge de 18 ans, la romancière Alice Sebold en avait fait un livre qui a lancé sa carrière. Alors que Netflix projetait d’en tourner l’adaptation, l’homme qui a été condamné à l’époque vient d’être innocenté près de 40 ans après les faits. Explications.

C’est l’histoire d’une incroyable erreur en judiciaire. En 1982, Anthony Broadwater, un jeune homme noir de 22 ans, est condamné pour le viol d’Alice Sebold, 18 ans, dans un tunnel près de l’université de Syracuse, dans l’Etat de New York. Ce drame, elle en fera un livre intitulé Lucky parce qu’un policier en charge de l’affaire lui racontera qu’elle a eu "de la chance", une autre femme ayant été assassinée à proximité, peu de temps auparavant. 

Vendu à un million d’exemplaires à sa sortie en 1999, Lucky lance la carrière d’Alice Sebold qui écrira ensuite The Lovely Bones (La Nostalgie de l’ange en VF), devenu un film à succès de Peter Jackson, le réalisateur du Seigneur des Anneaux. C’est un nouveau projet d’adaptation qui va être à l’origine d’un incroyable rebondissement judiciaire. 

Des incohérences flagrantes

Début 2020, Netflix annonce vouloir porter Lucky à l’écran avec Victoria Pedretti de la série You dans le rôle de la romancière. Mais très vite, le producteur Timothy Mucciante s’embrouille avec la réalisatrice Karen Moncrieff qui souhaite faire du violeur un homme blanc afin de ne pas reproduire les stéréotypes hollywoodiens.

Excédé par cette précaution qui lui semble contraire à la vérité des faits, Mucciante se penche sur le parcours du coupable, rebaptisé Gregory Madison dans le livre. Il engage un détective privé qui très vite, découvre une série d’incohérences. Contrairement à ce qu’a écrit Alice Sebold, Anthony Broadwater n’avait ainsi pas de casier judiciaire. 

Dans le livre, elle explique également qu’elle a croisé son agresseur cinq mois après le drame, qu’elle l’a identifié au commissariat et qu’il sera reconnu coupable grâce à une analyse capillaire. Or la nouvelle enquête montrera non seulement que ce n’est pas le suspect qu’elle a identifié qui a été présenté au tribunal. Mais que l’analyse capillaire en question n’a jamais été présentée à la cour.

D’après l’enquête commandée par Timothy Mucciante, Anthony Broadwater a été victime d’une justice expéditive, la future romancière faisant confiance aux conclusions du tribunal. Libéré en 1998, l’accusé a toujours clamé son innocence. Marié, il n’a jamais eu d’enfants, craignant qu’ils souffrent des conséquences de sa condamnation. Surtout il n’avait jamais eu les moyens de financer lui-même une nouvelle enquête prouvant son innocence.

Je suis désolée surtout du fait que la vie que vous auriez pu mener vous a été injustement volée, et je sais qu'aucune excuse ne peut ni ne pourra jamais changer ce qui vous est arrivé
Alice Sebold

Lundi 22 novembre, un tribunal de New York a formellement reconnu l’erreur de la justice et a annulé la peine d’Anthony Broadwater qui est tombé dans les bras de ses avocats puis de sa compagne à l’énoncé du verdict. "Sa vie a été ruinée. Pas seulement ruinée par son incarcération mais aussi parce qu'on lui a collé l'étiquette d'agresseur sexuel", a déclaré l'un de ses représentants.

Silencieuse pendant une semaine, Alice Sebold a enfin pris la parole ce mardi. "Je veux dire à Anthony Broadwater : je suis réellement désolée et je regrette profondément ce que vous avez enduré", a-t-elle écrit dans un billet sur le site Medium. "Je suis désolée surtout du fait que la vie que vous auriez pu mener vous a été injustement volée, et je sais qu'aucune excuse ne peut ni ne pourra jamais changer ce qui vous est arrivé", poursuit la romancière.

Le livre provisoirement retiré de la vente

"Je suis reconnaissante que Monsieur Broadwater ait finalement été innocenté mais le fait est qu'il est devenu il y a 40 ans un autre jeune homme noir maltraité par notre système judiciaire déficient", regrette-t-elle. "Je vais également être aux prises avec le fait que mon violeur ne sera, selon toute vraisemblance, jamais connu, qu’il a peut-être continué à violer d’autres femmes", ajoute-t-elle.

Outre-Atlantique, la réalité du viol d'Alise Sebold n’est pas remise en question. Mais les conséquences de l’erreur judiciaire à laquelle elle a participé créent un profond malaise, dans une Amérique qui lutte contre les préjugés raciaux. Alors que Netflix a renoncé à adapter Lucky, la maison d’édition Scribner a décidé de retirer le livre de la vente, le temps de réfléchir avec la romancière "à la manière dont son travail pourrait être révisé".


Jérôme VERMELIN

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