Interview

VIDÉO - Alexandra Lamy réalise "Touchées" : "Il y a bien plus de victimes de violences sexuelles qu’on le croit"

Propos recueillis par Jérôme Vermelin
Publié le 22 septembre 2022 à 8h00, mis à jour le 22 septembre 2022 à 8h57

Source : TF1 Info

Alexandra Lamy passe derrière la caméra pour réaliser "Touchées", l'adaptation d'une BD de Quentin Zuttion.
Elle met en scène trois femmes victimes de violences sexuelles réunies par un cours d'escrime thérapeutique.
Un thème important pour l'actrice, très engagée auprès du milieu associatif comme elle l'explique à TF1info.

Elle est l’une des actrices préférées des Français. Et pour ses premiers pas derrière la caméra, Alexandra Lamy a choisi de mettre sa notoriété au service d’un sujet qui lui tient à cœur : la lutte contre les violences faites aux femmes. Diffusé en deux parties ce soir sur TF1, Touchées est l’adaptation de la bande dessinée du même nom du jeune auteur Quentin Zuttion. Elle met en scène trois victimes, d’âges et de milieux sociaux différents, qui se rencontrent et se découvrent lors d’un stage d’escrime thérapeutique.

Il y a Louise (Mélanie Doutey), une maman qui a quitté son conjoint violent. Tamara (Chloé Jouannet), une toute jeune femme qui a été abusée par son grand frère lorsqu’elle était enfant. Et enfin Nicole (Claudia Tagbo), l’aînée des trois, hantée par un terrible traumatisme. Récompensée par le trophée du meilleur téléfilm au Festival de la fiction française de La Rochelle, Touchées est à l'image de sa réalisatrice, à la fois grave et lumineuse. Elle s’est confiée auprès de TF1info…

La bande-annonce de "Touchées", le film d'Alexandra LamySource : TF1 Info

Passer derrière la caméra, c’est un rêve que vous aviez depuis longtemps ?

J’ai toujours eu envie de faire de la réalisation. Mais lorsque Philip Boëffard, mon producteur, m’a parlé d’un projet d’adaptation de la BD de Quentin Zution, j’ai pensé qu’il voulait me proposer un rôle dedans. Mais en fait non, il suggérait que je la réalise. Non seulement j’avais envie de passer derrière la caméra depuis longtemps. Mais avec un sujet comme celui des violences faites aux femmes, sur lequel je suis assez, et même carrément engagée, je me suis dit que c’était peut-être le bon projet pour me lancer.

Pourquoi ce sujet de société vous parle-t-il à ce point ?

Mais parce qu’on a toutes étaient concernées un jour ou l’autre ! On a toutes subi les abus de pouvoir, de domination. Pourquoi y a-t-il plus de victimes féminines ? Parce que les cibles sont plus faciles, ne serait-ce qu'à cause de la force physique. Moi, je viens d’une génération qui a été habituée à ce que tout ça soit complètement normal. Du genre "une petite main aux fesses, ça va… On peut rigoler !". Aujourd’hui les choses ont évolué, la parole s’est libérée. Et quand on en parle, on se rend compte qu’il y a bien plus de victimes de violences sexuelles qu’on le croit. Chez les enfants, les abus concernent un enfant sur cinq ! En France, il y a une femme violée toutes les sept minutes !

Pendant le premier confinement je me disais "c’est fou le nombre de victimes qui sont enfermées avec leur bourreau"
Alexandra Lamy

Touchées met l’accent sur le travail associatif qu'on ne voit pas souvent à l'écran, non ?

Ce qui m’intéressait avec ce film, c’est l’après. Comment se reconstruire après ces violences ? Est-ce qu’il y a des gens qui peuvent vous aider ? C’est pour ça que je voulais donner un coup de projecteur sur les bénévoles. Ils sont près de 12 millions à travailler dans les associations, ce qui représente un pourcentage énorme de la population. Durant le premier confinement, j’ai beaucoup travaillé avec la Gendarmerie nationale. Je me disais, c’est fou le nombre de victimes qui sont enfermées avec leur bourreau. Comment faire passer des messages, ne serait-ce qu’un numéro de téléphone à appeler ? Moi, j'habite dans une région où il n’y a pas toujours d’Internet, où les victimes sont obligées d’aller à la pharmacie, dans les magasins de première nécessité pour signaler les abus dont elles sont victimes. Ce que me permettait la BD de Quentin, c’est de montrer qu’il y a des gens pour les écouter et les aider à se reconstruire. Qu’on ne les oublie pas.

Connaissiez-vous la thérapie par l’escrime qu’on découvre dans le film ? 

Pas du tout ! Quand j’ai lu la BD de Quentin, tirée d’une histoire vraie, j’ai réalisé que c’était un sport où l’on met un masque : on montre ce qu’on veut, on est complètement protégé, on a une armure et donc peut sortir la violence qu’on a en soi, sans faire mal à l’autre contrairement au karaté où ce serait plus embêtant pour la personne en face (sourire). C’est aussi un moyen d’apprendre à toucher, à être touché. À trouver la bonne distance. L’escrime permet d’expulser les énergies meurtrières Je suis allé assister à plusieurs cours avec Olivier, le maitre d’armes qui joue son propre rôle dans le film. Et j’ai vu des femmes faire sortir des choses, des cris que je n’avais jamais entendus. Olivier travaille avec les victimes, des femmes, des enfants. Et aussi avec les agresseurs parce que dans 85% des cas, ce sont aussi des gens qui ont été agressés. Ça n’excuse pas du tout. Mais c’est un bon moyen de les faire travailler pour aller de l’avant.

Ma fille Chloé parle souvent de moi en disant "ma mère la féministe" !
Alexandra Lamy

Votre fille Chloé Jouannet incarne Tamara, une victime d’inceste qui exprime une grande violence. Comment êtes-vous parvenue à obtenir une performance aussi intense de sa part ? 

Chloé me connaît dans mes engagements. Souvent, elle parle de moi en disant "ma mère la féministe" ! On a toujours beaucoup discuté de ces sujets-là, de la violence à l’école en particulier. Malheureusement, on a tous autour de soi quelqu’un qui a été touché et Chloé a une amie qui a été concernée. Donc c’était important pour elle de jouer dans le film. Après, je trouvais que le rôle lui collait extrêmement bien. Parce qu’elle a cette force-là en elle. C’est le cas typique d’une actrice qui peut être un petit oiseau… et qui en une seconde peut devenir un énorme dragon ! Elle a des ruptures de jeu comme ça, elle est très "à vif". Je trouvais ça hyper intéressant. Après ce n’est pas toujours facile quand quelqu’un vous appelle "Maman" sur un tournage. Il y a eu une ou deux scènes un peu dures mais elle m’a fait confiance et c’était un bonheur de travailler ensemble.

Trois actrices intenses et étonnantes

Mélanie Doutey, elle, joue Lucie, une femme battue qui a toujours peur de son bourreau. Elle dégage une fragilité qui correspond bien au personnage, non ? 

Elle a une palette de jeu incroyable. Elle peut être dans la comédie, dans le drame. Je savais aussi qu’elle avait cette fragilité en elle. On est très amies dans la vie et on a souvent parlé de la mémoire et du langage du corps. C’est quelqu’un qui lit beaucoup sur le sujet. Elle me faisait remarquer toutes les expressions qu’on utilise presque chaque jour pour exprimer notre malaise comme "j’ai en plein le dos", "j’ai le souffle le coupé", "les bras m’en tombent". Dans le film, Mélanie joue la peur avec beaucoup de subtilité. Elle la fait sentir dans son corps, sur son visage. Ce qu’elle fait, c’est formidable.

L’humoriste Claudia Tagbo incarne Nicole, une femme qui dissimule longtemps les violences dont elle a été victime. Avec elle, vous cherchiez le contre-emploi ? 

Complètement ! Elle joue cette femme, très seule, qui vous accompagne au jour le jour et qu’on oublie presque. Elle a des maux de dos mais ça n’a rien à voir avec la scoliose, c’est une maladie auto-immune pour des raisons que je ne vais pas spoiler. Là aussi, c'est une affaire de confiance parce que lorsque je lui ai donné le scénario, il y avait encore beaucoup de réécriture. Sur le tournage, je lui ai fait des propositions pour l’amener ailleurs, lui donner une fenêtre de jeu pour exprimer des choses inédites pour elle à l’écran. On a fait un super travail ensemble.

Aujourd’hui, vous considérez-vous comme une artiste engagée ? Et si oui jusqu’où avez-vous d’aller avec les combats que vous portez ? 

Engagée, je le suis depuis longtemps. Je travaille notamment avec Ghada Atem de la Maison des femmes, j’essaie d’en monter une à Montpellier, une autre Nîmes. Je travaille aussi avec Diariata N’Diaye de l’association Résonance pour faire de la prévention dans les lycées, notamment avec ce film. On m’a parfois demandé d’aller voir le gouvernement, ce genre de choses. Mais j’ai toujours peur qu’on utilise mon image… et puis que finalement ça ne serve pas à grand-chose. Malheureusement, je crois plus au bénévolat, à la générosité du public qu’au soutien du gouvernement.

>> Touchées de Alexandra Lamy. Avec Mélanie Doutey, Chloé Jouannet, Claudia Tagbo. Jeudi soir à 21h10 sur TF1


Propos recueillis par Jérôme Vermelin

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